Passion

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Plus tard cette nuit-là, Leandro fut appelé par le capo pour ramener son invitée chez elle.

En revenant, il monta boire un verre chez son chef, privilège que sa position lui conférait.

Il trouva ce dernier au bar, torse nu, un whisky à la main.

— Tiens, Leandro, est-ce que tu veux goûter ce single malt japonais, que j’ai fait venir de Nagano ? C’est une pure merveille.

— Je veux bien goûter, même si je doute que les japonais réussissent si bien que ça à produire des whiskies d’exception, j’aime la tradition, moi.

— Goûte un peu avant de juger, et en termes de tradition, ils ne sont pas mal, ça fait presque 150 ans qu’ils distillent du whisky.

Leandro trempa ses lèvres dans le liquide ambré, dubitatif.

— Humm, en effet, il n’est pas mal du tout, comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences…Dis, Malaspina, il faut que je te parle de quelque chose qui s’est produit ce soir.

— Je suis tout ouïe.

— En allant chercher ta compagnie du soir, je suis tombé sur Flavia qui se faisait draguer par un type en terrasse du Lanificia, alors, je l’ai forcée à rentrer chez elle. Elle était hors d’elle, et m’a jeté à la face que c’est toi qui l’avais poussée dans les bras d’autres hommes.

— C’est vrai, dit lentement le capo, soudainement sérieux, en fixant Leandro.

— Mais ce n’est pas fini, elle a dit que tu lui avais proposé de lui envoyer nos hommes pour s’occuper d’elle, enfin, tu vois comment…Et du coup, elle s’est déshabillée et m’a demandé de t’obéir et de … enfin, tu vois…Toujours est-il que j’ai refusé, compléta-t-il, très embarrassé.

— Ça t’a troublé, on dirait, est-ce que tu as envie d’elle ?

Comme Leandro demeurait silencieux, Malaspina reprit la parole.

— J’ai fini de me servir d’elle, tu sais, tu peux l’utiliser comme bon te semble. Je ne vois pas pourquoi tu es gêné, ça nous est déjà arrivé de partager une femme. J’irai même plus loin… Je préfèrerais que ce soit toi qui prennes ma suite.

Il contourna le comptoir et prit quelque chose dans un tiroir qu’il lança à Leandro. Celui-ci l’attrapa au vol. Il s’agissait d’une plaquette de comprimés contraceptifs.

— Par contre, pas de vague. Tu peux y aller, je n’ai plus besoin de toi pour ce soir, conclut-il en le congédiant d’un geste, se replongeant dans son verre.

Leandro se dépêcha de sortir, et resta un moment dans le couloir, pétrifié par le blanc-seing que venait de lui donner Malaspina, tordant nerveusement l’emballage des médicaments.

Il regagna sa chambre, située un étage au-dessous.

Le quartier général de l’organisation offrait de nombreux dortoirs, mais il ne s’agissait évidemment pas des résidences principales des mafieux. Lui-même était propriétaire d’un appartement dans le très huppé quartier de Chiaia, et Malaspina possédait de son côté une somptueuse villa vésuvienne sur le littoral du Miglio d’Oro, à Portici.

Mais tous les deux étant accaparés par les affaires de la Fiammata, ils étaient souvent contraints de dormir sur place, toujours sur le qui-vive, tout comme nombre de leurs hommes.

Leandro se coucha tout habillé, mais ne parvint pas à trouver le sommeil, tourmenté par la proposition du capo.

D’ailleurs, était-ce une proposition ou un ordre ? Même s’il connaissait l’homme par cœur, cette fois, il n’arrivait pas à percer la signification de ses paroles.

La vision de la jeune fille, quasi-nue et suppliante, s’imposa à son esprit.

« Et merde !» jura-t-il en se levant.

Sur le trajet, il faillit rebrousser chemin mille fois, mais le souvenir du corps de Flavia contre le sien finit par l’emporter, et il s’engagea résolument dans les escaliers du 457 Via San Lorenzello.

Flavia dormait déjà profondément quand elle fut éveillée en sursaut par le bruit de la porte qu’on tambourinait.

L'horloge de son téléphone, rapidement consulté, indiquait trois heures du matin, de qui pouvait-il s’agir si tardivement ?

Cette fois, elle n’ouvrirait pas avant de savoir d’abord qui se présentait, elle demanda donc à travers la fine planche de sapin qui tenait lieu de porte :

— Qui est-ce ?

— Leandro, rétorqua une voix gutturale.

Stupéfaite, elle actionna le loquet. Était-elle vraiment réveillée ? N’était-ce pas que le prolongement de son rêve ?

— Entre, l’invita-t-elle.

A ces mots, Leandro se rua sur elle et plaqua très longuement ses lèvres sur celles de la jeune fille.

Flavia fut suffoquée dans un premier temps par l’ivresse qu’il lui communiquait, mais une idée se fit jour en elle et elle rompit le baiser.

— Reviens-tu parce que tu y as été autorisé par Malaspina ? demanda-t-elle, éperdue.

Il garda le silence un instant mais l’attira à nouveau vers lui.

— Tu ne peux pas savoir depuis combien de temps j’avais envie de faire ça.

Flavia ne répondit rien mais se laissa reprendre par un nouveau baiser. Elle réalisait qu’elle aussi attendait cela depuis longtemps, à vrai dire, depuis le moment où la douce main de Leandro avait exercé une légère pression sur la sienne pour la réconforter.

Leandro la renversa d’un coup sec sur le lit, tirant sur l’élastique de son short pour le faire glisser au sol.

Flavia pensa qu’elle subirait encore une étreinte brutale, mais après cette brusque entrée en matière, les gestes de Leandro s’apaisèrent, et elle retrouva la chaleur qu’elle avait toujours appréciée chez lui.

« Excuse-moi, je te désire trop » souffla-t-il dans son cou.

Dès lors, il prit son temps pour découvrir chaque parcelle de peau, retirant lentement la brassière et la culotte, et recouvrant les surfaces dénudées de baisers passionnés.

Puis Flavia se redressa avec lui pour le débarrasser de sa veste, de son pantalon, et enfin de son caleçon. Elle admira son corps aux muscles lourds, moins secs et plus enrobés que ceux de Malaspina.

Alors que ce dernier avait une peau satinée, la sienne était plutôt veloutée, presque duveteuse voire franchement velue par endroit. Sa carnation était aussi plus pâle, mettant en valeur la toison noire de son torse et de son pubis, où trônait un sexe massif, parfaitement proportionné à sa large carrure.

« Est-ce que ce que tu vois te plaît ?», demanda-t-il à Flavia, amusé de ce long examen.

En guise de réponse, elle s’étendit sur le lit, s’offrant entièrement, et murmura « Viens ».

Comme il tardait à la rejoindre, elle lui tendit la main pour l’amener à elle.

— J’ai le droit de te regarder, moi aussi, ironisa-t-il.

Mais Flavia était mal à l’aise avec le regard soutenu dont il l’enrobait, jugeant son corps trop menu, trop longiligne, trop plat enfin.

— Je sais qu’il me manque des formes aux endroits où les hommes les apprécient, s’excusa-t-elle.

— Tout ça me convient parfaitement au contraire, répliqua-t-il en venant la recouvrir de son corps.

Puis, tout s’abolit, il ne restait plus que le goût suave des lèvres sur les siennes, partout, et le membre qui la remplissait, allant et venant dans un assaut étourdissant.

Leandro se révéla un amant attentif au plaisir de Flavia, épiant ses réactions pour ajuster le rythme et la profondeur de l’étreinte. De son côté, il fut étonné de son ardeur, car elle n’hésita pas à en redemander, une fois, puis plusieurs fois, si bien que le soleil les surprit, faisant toujours l’amour.

Leandro veilla à offrir un dernier orgasme à Flavia avant de se lever pour prendre congé.

— Il faut que j’y aille, déclara-t-il à regret, en s’habillant.

Puis, comme elle s’enroulait dans les draps, épuisée, il revint s’asseoir près d’elle, et embrassa une épaule qui dépassait.

— Je suis désolé de te le demander, mais il faut que tu prennes ça, dit-il en séparant un comprimé de son emballage.

Flavia observa le cachet, et l’étonnement fit place à l’incompréhension, puis à la consternation.

Il avait donc bien demandé à Malaspina son autorisation, et ceci résultait certainement d’une recommandation du capo.

A cette idée, une boule se forma dans sa gorge et les larmes lui montèrent aux yeux.

— Est-ce que c’est quelque chose qu’il fait souvent ? balbutia-t-elle.

— De quoi parles-tu ?

— Te laisser les femmes dont il ne veut plus ? Ou alors c’est une récompense ? Est-ce pour service rendu, ou est-ce systématique ? Est-ce que, parfois, vous vous les partagez sur le vif ?

— D’accord, je vais être franc, oui, c’est déjà arrivé, mais là tu te trompes si tu crois que c’est comme ça pour toi. Je te désire vraiment, et Malaspina l’a compris, c’est tout.

— Alors, il m’a cédée à toi, juste comme ça, répéta-t-elle, le cœur serré.

— Écoute, je ne crois pas qu’il te considère comme ses autres conquêtes d’un soir, je pense même qu’il tient à toi, d’une certaine façon, mais il ne s’accrochera jamais à une femme, c’est mauvais pour les affaires. Il est notre capo avant d’être un homme. En ce qui me concerne, je ne suis pas venu ce soir juste pour rigoler un coup et repartir.

Puis, la regardant intensément, il reprit.

— Flavia, je te veux vraiment, pas que pour cette nuit, mais aussi pour les nuits qui viendront, si tu acceptes.

Comme Flavia gardait le silence, fixant l’humiliant cachet, il la prit dans ses bras et l’embrassa tendrement.

— Flavia, veux-tu me revoir ? reprit-il calmement.

— Oui…oui…mais par contre, n’amène plus jamais cette saleté, je vais m’occuper moi-même de ma contraception à partir d’aujourd’hui.

Et elle enfouit sa tête dans l’oreiller.

Leandro rejoignit sa voiture, une Alfa Romeo Giulia noire qu’il conduisait pendant son temps libre, et regagna le quartier général sur les hauteurs d’Ercolano.

Il était huit heures, il était donc très en retard, lui qui devait être prêt aux aurores pour assister le chef. En effet, Malaspina ne dormait que cinq heures par nuit environ, ce qui lui permettait de veiller tard et de se lever tôt.

Toute la bande était en effervescence et le salua d’invectives courroucées.

Marco avait réuni son équipe dans la grande salle, et leur donnait des instructions sous l’oreille attentive du capo, entouré de Lorenzo, Fabio et Dario.

— Qu’est-ce que tu faisais, Leandro ? Cette nuit, il y a eu une stesa dans le quartier de Materdei, il y a plusieurs blessés chez nos hommes qui étaient attablés sur la Salita Principa.

— Je suis rentré chez moi me reposer un peu…

— Vraiment ? Vu ta tête, on dirait plutôt que tu t’es amusé toute la nuit, plaisanta Fabio.

— Occupe-toi de tes affaires, idiota ! Parlez-moi plutôt des responsables, est-ce qu’on sait de qui il s’agit ?

— Visiblement, ce serait un baby gang, c’était très maladroit, car ils sont venus nombreux, mais je doute qu’ils aient agi de leur propre chef.

— Oui, je les vois mal organiser un raid sur un de nos établissements s’ils n’ont pas assuré leurs arrières.

— Leandro, je te confie l’enquête en sous-main, ordonna Malaspina, Fabio, tu me convoques tous les chefs de baby gang de la ville pour cet après-midi. Toi, Marco, tu vas passer le quartier au peigne fin, nos hommes ont riposté, et il est possible qu’un ou deux assaillants aient été blessés, ils doivent toujours se cacher à Materdei. J’ai une petite idée de qui pourrait être derrière tout ça.

— Qui donc ? demanda Dario.

— J’en parlerai quand j’aurai plus d’éléments, coupa court le capo.

Leandro s’affaira immédiatement à téléphoner à ses contacts à Materdei, et tout à sa tâche, ne remarqua pas outre mesure la mine sombre que Malaspina arborait, l’attribuant à l’attaque de la nuit.

Flavia dormit très tard ce jour-là, ne se réveillant qu’au son de la voix de Chiara qui l’appelait à travers la porte. Elle déboula dans l’appartement comme une furie.

— Eh bien, comment ça va, la belle au bois dormant ? Je t’appelle, tu ne réponds pas, je tape à la porte, tu ne réponds pas, il a fallu que je crie !

— Je suis désolée, c’est que je me suis couchée très tard hier soir.

— Parlons-en d’hier soir, tu es partie comme une voleuse. Au début, avec Vittorio, on a cru que vous vous étiez envolés ensemble, avec Antonio. Mais ce matin, il nous a dit qu’un type patibulaire t’avait mis le grappin dessus et qu’il t’avait emmenée. Tu imagines comme j’ai eu peur, surtout que tu ne répondais pas ! Est-ce que c’était Malaspina ?

— Non, c’était son bras droit, Leandro, il a voulu me ramener ici.

— Un vrai chien de garde pour son maître, celui-là! Peut-être que ce satané mafioso te veut rien que pour lui ?

— Non, ce n’est pas ça, il était en train de chercher une nouvelle maîtresse pour Malaspina, une très jolie blonde au demeurant.

Ma che cazzo ! Il ne se prive pas évidemment, ce stronzo ! Et en plus, il se permet de régenter ta vie ! Si je le tenais, celui-là !

— Et toi, tu es bien rentrée hier soir ? demanda Flavia pour détourner la conversation.

—Tu veux savoir si j’ai passé la nuit avec Vittorio. Eh bien oui ! Mais à discuter, pour changer ! On est allés chez lui, il a un loft sur Riviera di Chiaia, figure-toi, avec vue sur les fontane, en plus, et sur la mer ! On s’est découverts plein de connaissances communes ! Et Antonio, comment était-il ? Est-ce que ça a collé entre vous avant que l’autre vienne t’embêter ?

— Bof, il était assez plat, mais mignon, ça c’est sûr. Enfin, nous ne sommes pas du même milieu, je ne crois pas avoir d’atomes crochus avec lui.

— En parlant d’atomes crochus, tu ne sais pas qui m’a relancée pour toi ? Ettore ! Vous avez les mêmes goûts tous les deux, enfin, tu vois, pour les vieilles choses poussiéreuses ? En plus, il vient d’une bonne famille, c’est un gars sérieux.

— Je crois que je vais m’abstenir pour le moment…

— C’est que tu as toujours le mafioso en tête, mais tu vois qu’il n’en vaut vraiment pas la peine.

Flavia préféra en rester là, promettant à son amie qu’elles sortiraient de nouveau un soir prochain pour qu’elle la laisse en paix. Elles partagèrent ensemble un café en devisant de tout et de rien, mais Flavia se demandait si un fossé s’était creusé entre elles, puisque qu’elle lui cachait désormais ses secrets.

Elle retourna se coucher dès que Chiara la quitta, car elle était encore toute courbatue des ébats de la nuit dernière.

Elle éprouvait une plénitude teintée d’amertume. Elle avait passé une nuit merveilleuse, exactement comme dans ses rêves les plus fous. Leandro semblait s’intéresser à elle, il l’avait comblée, mais elle ne parvenait pas à cerner ses motivations… Était-il sincère, ou ne recherchait-il pas simplement une liaison commode ?

D’un autre côté, Malaspina l’avait balayée de sa vie, et de façon ignominieuse, en la jetant dans les bras d’un autre homme, d’un subordonné a fortiori.

Elle se demanda si Leandro viendrait lui rendre visite le soir venu, elle désirait que ce soit le cas, mais quel accueil lui ferait-elle ?

Cependant, il ne vint pas, ni ce soir-là, ni ceux qui suivirent.

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