Chapitre 28 : Yoyo émotionnel (3e partie)

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 Je fis ce qu'il disait, terminant les derniers points avant d'enduire la plaie de baume antiseptique à la consoude, tandis que Geralt avait trouvé ce qu'il cherchait et lui faisait avaler son remède. Rodric sembla reprendre des couleurs, sa respiration devint plus ample. La colère me monta au nez, j'apostrophai Geralt :

– Qu'est-ce qui vous a pris de chasser un cerf de cette taille ?! Vous êtes à pieds! Vous comptiez le ramener comment ?! Sur tes épaules de convalescent?!

 Il haussa les épaules l'air désinvolte.

– Ne t'en prends pas à moi. Un accident ça arrive. Il va s'en sortir ton homme. Il est fort. Regarde, l'hirondelle fait son effet. Apparemment il la supporte bien.

 Il me dévoila l'abdomen bleui de Rodric où les hématomes semblaient disparaître sous mes yeux.

– Comment ça, apparemment il la supporte bien?!

– Chez certains humains l'effet peut être épouvantable…

– Epouvantable comment ? Souffla Rodric en entrouvrant un oeil.

– Agonie lente et douloureuse, informa placidement Geralt, qui évita sciemment de regarder mon air aussi furieux qu'épouvanté. Comment tu te sens?

– Comme si j'avais été piétiné par un cerf… Quel con de l'avoir loupé comme ça ! Il s'est sauvé ?

– Tu as failli mourir et ce que tu demandes c'est si le cerf s'est sauvé ?! M'écriai-je oscillant entre soulagement, colère et hystérie.

– Je l'ai achevé, repris Geralt comme si de rien n'était. Tu pourras garder le trophée en souvenir.

 Rodric répondit par un grand sourire. Il ouvrit cette fois ses deux yeux immensément bleus pour contempler mon visage inquiet au dessus de lui :

– Je suis content de te voir ma chérie, ça aurait été con que je meure juste après ton retour près de moi…

– Oui ça aurait été très con. Je vous en aurais voulu à tous les deux, répondis-je en me penchant pour l'embrasser.

 Il me rendit mon baiser. C'était doux, chaleureux, j'avais l'impression de le retrouver vraiment. Il voulut lever les bras pour toucher mon visage mais cria de douleur.

– Je suis désolée… Ton avant-bras droit est cassé. On va te mettre une attelle. Heureusement que tu es gaucher…

 Geralt qui s'était éloigné revint avec des branches solides qu'il tailla de façon à immobiliser le membre blessé. Je l'aidai à fixer l'atèle à l'aide de bandes de tissus que j'enroulai tout autour, aussi serré que possible, tandis que Rodric, de nouveau très pâle, luttait pour ne pas laisser échapper de plainte.

– As-tu mal autre part ?

– Un peu partout mais ça devrait aller. On regardera ça en détail à la maison.

 Je l'aidai à s'asseoir complètement pour me dégager de sous son corps puis lui proposai un peu d'eau et des écorces de saule à mâcher en attendant de pouvoir en faire une décoction. Après lui avoir installé le bras en écharpe pour l'immobiliser au mieux, je restai agréablement blottie contre lui le temps de le laisser récupérer.

 Pendant ce temps-là, Geralt dépeçait méthodiquement leur cerf, prélevant la peau, la viande, les organes, la graisse et les tendons. Il fixa la tête aux bois majestueux, sur les flancs d'Ablette, enveloppa le reste dans la peau de l'animal pour la fixer à son tour à la selle. Il ne restait plus que les viscères et les os, qu'il enterra, un vrai travail de professionnel.

– Êtes-vous prêts à repartir ?

– Pas vraiment le choix… J'ai demandé à Mélusine de rentrer pour le repas du soir, j'espère qu'on arrivera avant elle…

 Nous aidâmes Rodric à se mettre debout. Sa douleur était un peu apaisée par l'écorce de saule mais il était affaibli. Il eut un étourdissement et il nous fallut assurer son équilibre. Geralt l'aida à monter sur Ablette, montant derrière lui au cas où il perdrait à nouveau connaissance et je pris la tête avec Orage. J'avais hâte d'être de retour au chariot pour m'assurer que tout allait bien du côté de Mélusine, je distançai donc les hommes en laissant ma jument prendre le petit trot. Je savais que Geralt veillait sur Rodric malgré tout. Je lui en voulais un peu pour cette prise de risques, même s'il n'avait pas tort sur le fait qu'un accident pouvait arriver et, y ayant assisté, je savais que s'en était un.

 J'avais du mal à réaliser que j'étais passée à deux doigts d'être veuve! Sans la projection astrale, Geralt n'aurait pas eu ses élixirs et jamais il ne l'aurait ramené à temps pour le soigner… Une vague d'angoisse et de tristesse me submergea, je me payais le contrecoup de l'adrénaline. Je ne voulais pas craquer maintenant. Il fallait que je reste forte pour ne pas inquiéter Mélusine.

 J'arrivai juste avant elle au chariot et elle demanda à monter avec moi pour ramener la jument à l'enclos. Cela permit à Geralt et Rodric de rentrer sans l'inquiéter. En revenant, j'envoyai Mélusine cueillir des plantes aromatiques pour apprêter la viande pendant que je pelais quelques légumes et autres tubercules. Bientôt une bonne odeur de cuisine flotta dans l'air depuis l'intérieur du chariot.

 Notre fille s'inquiéta un peu de voir son père blessé mais nous minimisâmes la chose, jugeant inutile de lui dévoiler qu'il avait failli mourir piétiné par le cerf. Elle s'avéra fascinée par le trophée qu'elle examina longuement, sous toutes les coutures.

 Quand le repas fût prêt et le reste de la viande mis à conserver, nous nous attablâmes tous les quatre pour déguster ensemble le fruit de la chasse du jour. Mélusine se fit alors une joie d'aider son père à couper ses aliments, fière de pouvoir se rendre utile et d'inverser les rôles. Cette nourriture chaude et consistante me fit du bien. Cela me détourna un peu de mes émotions. J'avais hâte de mettre la petite au lit pour retrouver de l'intimité avec son père et enfin accueillir le raz-de-marée émotionnel que je contenais depuis le matin.

 Sitôt le repas terminé, je couchai Mélusine, lui indiquant que j'avais besoin de prendre soin de son père. Elle se montra étonnamment docile et s'endormit vite. Accompagnée de Geralt et Rodric, j'allai ensuite chez Elenwëe pour savoir s'il était possible de bénéficier de l'eau de leur source magique pour soigner mon mari.

 Quand elle nous vit arriver, son visage blêmit et celui de Rodric s'empourpra. Il nous informa à voix basse qu'elle était la dryade avec qui il avait été indélicat. Geralt arca un sourcil à cette information. J'étais embarrassée pour lui.

 Elenwëe se tenait face à nous, fixant Rodric visage fermé, lèvres pincées, les poings sur les hanches. Rodric se montra d'une humilité que je ne lui avait jamais vu : malgré son bras en écharpe, il s'agenouilla devant la dryade, baissa les yeux honteux.

– Je te prie de m'excuser pour le mal que je t'ai fait… J'espère ne pas t'avoir blessée…

 Elenwëe prononça une phrase en langue ancienne que je ne compris pas. Geralt lui répondit dans la même langue. Il parlait lentement avec quelques hésitations mais elle semblait le comprendre, elle fixa à nouveau Rodric un instant avant de répondre, puis reporta son attention sur Geralt qui parlait à nouveau.

 Le visage de la dryade changea d'expression à plusieurs reprises durant leur échange qui dura quelques minutes : hostilité, tristesse, agacement, puis le charme de Geralt sembla opérer et elle se mit à sourire en coin puis à rire franchement. Tout en suivant la tournure de l'échange, je croisai à plusieurs reprises le regard de Rodric qui semblait aussi décontenancé que moi, incapable de comprendre ce qu'ils se disaient.

 Elenwëe fit signe à Rodric de se relever. Geralt indiqua :

– Elle accepte tes excuses malgré son sentiment d'humiliation. La seule chose qui l'a retenue de te tuer c'est que tu es sous la protection de la reine. Elle ne veut plus jamais avoir affaire à toi et a dissuadé ses sœurs de tout contact charnel. Tu vas devoir te racheter pour trouver ta place dans la communauté.

– Ça me paraît équitable, souffla Rodric l'air contrit. Remercie-la pour sa magnanimité.

– Remercie-la de ma part aussi, s'il te plaît, et fais lui part de mes regrets pour cette situation… demandai-je.

 Geralt traduisit, Elenwëe hocha la tête, ajouta quelque chose et il reprit :

– Elle accepte de nous guider jusqu'aux bassins où coule leur source. L'eau y a des vertus magiques puissantes.

– Je n'en espérais pas tant. Quelque chose me dit qu'elle ne t'a pas offert gratuitement cette invitation, intervins-je.

 Geralt eut ce franc sourire coquin que je lui connaissais, me confirmant qu'il allait donner de sa personne pour réparer le mal commis par mon époux. Elenwëe se blottit contre lui, se mettant sur la pointe des pieds pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Je vis les yeux de Geralt s'allumer de désir et cela raviva à nouveau le mien envers Rodric. J'avais hâte d'arriver à ces fameux bassins!

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