Chapitre 23 : Dernière étape (2e partie)

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 Il me fallait à présent accepter de laisser mes paupières s’ouvrir à nouveau pour ne pas achever de glisser dans la douce torpeur qui me tendait les bras. Après un petit moment de lutte intérieure je parvins à dépasser mon envie de m’abandonner pour retrouver un peu de tonus et de mouvement.

 J’ouvris les yeux, éblouie un instant par la lumière du feu. Je me laissai fasciner quelques minutes avant de détailler à nouveau tout mon environnement proche : le bosquet était composé de différentes essences d’arbustes et de plantes, baignées par la lumière argentée de la lune : du sureau qui ouvrait ses premières fleurs délicates et parfumées, des noisetiers couverts de chatons duveteux, des cerisiers sauvages dont les petites fleurs blanches s’épanouissaient et un prunus aux feuilles rouges rivalisant avec la teinte rose délicate de ses dernières fleurs de la saison. J’aperçus le déplacement d’un lièvre dans les fourrés, Karvill y jeta un œil flegmatique. A en croire la position des étoiles, il restait encore environ deux heures avant l’aube naissante ce qui me laissait encore le temps de profiter du calme.

 C’était sans compter sur mes pensées qui revinrent à la charge dès que l’occasion se présenta : par association d’idées, les arbustes présents m’avaient amenée aux arbres, les arbres à la forêt, la forêt à Rodric... Geralt avait monopolisé toutes mes pensées ces derniers jours et quelque part cela m’arrangeait… J’avais soigneusement mis de côté mes retrouvailles prochaines avec mon mari, retrouvailles que je venais à appréhender plus qu’autre-chose. Je n’étais vraiment pas confortable avec ma conduite vis-à-vis de lui. Je le savais jaloux et il pourrait l’être à juste titre…

 Mes tripes se nouèrent à l’idée qu’il pouvait tout simplement me rejeter, j’imaginais le dégoût sur son visage, la colère dans sa voix et les mots violents qui viendraient pulvériser ce qu’il pouvait rester de notre mariage. Pourtant je n’avais de sentiment amoureux que pour lui : Geralt c’était autre chose… Une ouverture sur une autre vision de la vie peut-être… Un gain de liberté ? Il était tellement âgé, expérimenté, blessé…, il avait tant à transmettre. Il était désirable par sa force tranquille, sa dangereuse puissance et son corps viril qui, mis à part les cicatrices, ne témoignait pas de ses décennies sur la voie mais c’étaient ses valeurs qui me touchaient le plus : depuis notre rencontre, il s’était montré vraiment digne de confiance, loyal et fiable. Il m’offrait un précieux sentiment de sécurité qui me permettait d’être moi-même sans filtres ni craintes mais je savais que ce que je vivais avec lui n’était pas destiné à perdurer : ce n’était qu’une expérience de vie qui m’avait apprise beaucoup sur moi-même, au-delà de l’aspect orgasmique de l’histoire.

 La Gaëlliane que j’étais quand les soudards m’avaient enlevée n’existait plus : j’étais à présent une femme plus forte et entière, connectée à mes envies et mes besoins et capable de lutter pour ma survie et de tuer si nécessaire, bien que je ne m’habituerais probablement jamais à verser le sang d’autrui. Rodric avait toujours été protecteur avec moi, me jugeant fragile, prévenant toute situation à risque, désapprouvant certains de mes choix et me reprochant souvent de ne pas suivre ses recommandations. Je doutais qu’il apprécie mon nouvel aplomb... Encore fallait-il que je me sente aussi solide face à lui et, pour l’heure, la peur qu’il ne veuille plus de moi dominait. La pensée de son rejet me traversa à nouveau, mêlant les sensations d’angoisse à une vague de tristesse… Il me fallait me préparer à cette éventualité-là.

 Geralt me tira de mes ruminations en s'éveillant. Il avait soif. Bénissant la bienvenue diversion de ses besoins, je lui apportais de quoi se désaltérer. Il parvint à m'aider à le redresser ce qui était un net progrès même si cela le laissa anormalement essoufflé. Il n'était pas encore tiré d'affaire… Profitant de son éveil, je lui proposai à nouveau de la soupe puis, à la lueur de ma veilleuse, fis le tour de ses pansements, réenduisant de baume les différentes blessures qui le nécessitaient, vérifiant que tout était en ordre. C'était le cas et cette constatation me soulagea : pas sorti d'affaire mais sur la bonne voie. J'aidai le Sorceleur à se rallonger tandis qu'il replongeait dans les limbes. Le ciel commençait à blanchir à l'horizon : il était temps de préparer le petit déjeuner et de réveiller mes compagnons.

 Farfouillant dans les fontes de selles, je trouvais les merveilles offertes par les gens du village : des tourtes salées et sucrées, du pain, du fromage, de la charcuterie, de belles pommes et des carottes. Je pris le parti de tirer les hommes de leurs sommes en leur chatouillant les narines avec l'odeur des tourtes se réchauffant doucement. J'en profitais pour poêler quelques pommes qui diffusèrent un agréable parfum caramélisé, j'en avais l'eau à la bouche!

 C'est Jaskier qui s'éveilla le premier, l'air ensommeillé, les cheveux sens dessus dessous, il vint s'asseoir auprès de moi après m'avoir offert un baiser sur la tempe. Je me blottis contre lui pour profiter de sa chaleur. Karvill qui s'était installé un peu à distance vint se joindre à nous en mode pot de colle. Jaskier rit devant cette concurrence déloyale.

– Tu as faim?
– Toujours! Donne-moi donc une de ses tourtes, elle à l'air chaude à point !

 Il se léchait les babines en tendant les mains. Je lui offrait l'ustensile pour qu'il se serve lui-même, tenant l'assiette pour réceptionner sa tourte.

– Tu as bien dormi ?

 Il me répondit la bouche pleine avec une lueur grivoise dans le regard :

– Hummm ! Délicieux ! Ça peut aller… Quelques tensions difficiles à faire passer... je t'aurais bien demandé de l'aide maintenant que Geralt est un peu mieux mais bon… avec les gamins à côté ça n'aurait pas été très approprié… Et puis deux ça avait l'air bien suffisant pour toi la fois dernière, imagine trois !
– Jaskier! Tu es incorrigible ! Ce sont des enfants, tu n'imagines quand-même pas que ça pourrait me tenter?! J'espère en tous cas que tu auras bien profité la fois dernière parce qu'il n'y aura pas de prochaine fois.

 Je dis cela d'une voix ferme tout en le maudissant intérieurement pour la crispation de désir et la vague de chaleur humide que ses propos avaient provoquées en moi à l'idée de ses mains sur mon corps, de son corps dans le mien. Le souvenir du plaisir était encore vivace et cet homme connaissait son affaire. Heureusement qu'il avait nommé les jeunes : même s'ils dormaient encore, je n'avais aucune envie de les mêler de près ou de loin à ma vie sexuelle ! Et puis bientôt toutes ces frasques seraient derrière moi, je retrouverai ma place d'épouse, si mon mari veut toujours de moi, et de bonne mère de famille. Au moins personne ne pourrait me reprendre le plaisir intense que j'avais vécu avec Geralt, Triss et Jaskier… A défaut de revivre une telle intensité j'aurais toujours le loisir de me la remémorer dans mes plaisirs solitaires….

– C'est dommage…, reprit Jaskier, je suis sûr que j'aurai eu encore des choses à te faire découvrir…
– Jaskier! Arrête tu t'fais du mal!
– Bon… Plus sérieusement, ça m'attriste un peu que nos chemins se séparent bientôt. Ça a été un réel plaisir de faire ta connaissance. J'ai aimé ce qu'on a partagé et pas seulement au lit…
– Le plaisir a été partagé... J'imagine que tu ne pourras pas nous suivre dans Brokilone…
– Non… Je ne prendrais pas ce risque… Les humains n'y sont pas les bienvenus. Geralt c'est un peu différent… Je repartirai au village avec les garçons, j'y attendrai Geralt quelques semaines avant de partir pour Gors Velen : j'y suis attendu pour une noce mi-mai.
– D'accord… Bon, allez, il est plus que temps de réveiller les garçons : on leur chante quelque chose?

 Un grand sourire illumina le visage de Jaskier à cette proposition. Il alla chercher son luth et nos voix se mêlèrent, joyeuses.

 Quelques minutes après, les jeunes nous avaient rejoints et mangeaient avec appétit ce que nous leur avions laissé. Pour ma part j'étais encore en train de déguster mes pommes cuites. J'en mis un peu de côté pour Geralt quand il s'éveillerait. Le temps de finir de nous sustenter, de ranger nos affaires et d'éteindre le feu et nous étions de nouveau sur les routes, avançant à bonne allure sur le terrain dégagé. Le Ribbon était maintenant bien visible. Nous allions le suivre un bon moment, restant hors de portée de flèches, remontant vers le Nord pour entrer dans Brokilone sans devoir passer à gué.

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