Chapitre 22 : Inquiétudes et espérance (2e partie)

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 Les premières heures se déroulèrent ainsi sans encombres. Nous étions partis avant que le soleil soit au zénith, aussi nous nous arrêtâmes une première fois pour déjeuner et changer de chevaux, puis régulièrement pour les besoins du Sorceleur. J'alternais entre la position d'éclaireuse et les soins, Finn me relayait, montant Gasmauw qui, bien qu'un peu petite pour ses longues jambes, convenait bien à sa faible corpulence. Orage récupérait alors au rythme du chariot. De la même façon, Jaskier et Wellan alternaient les rôles pour économiser l'énergie des chevaux comme la leur. 


 Les moments d'éveil de Geralt persistaient à rester trop ténus pour qu'il puisse me donner la précieuse information dont j'avais besoin, la moindre parcelle du peu d'énergie qu'il arrivait à reconstituer partant dans la réponse à ses besoins d'alimentation et d'élimination. Cette constatation de mon impuissance me vrillait les entrailles. Le souvenir du visage résigné de ma mère au chevet de mon père peu avant sa mort me revenait sans cesse… 


 Nous avions convenu de faire halte avant le coucher du soleil pour organiser un bivouac le plus sécur possible et ainsi repartir avant le lever du jour suivant. J'étais satisfaite de notre avancée, la forêt de Brokilone semblait plus proche d'heure en heure. Avec un peu de chance nous y serions le lendemain soir, le surlendemain matin au plus tard. Je priais les Dieux pour que Geralt tienne jusque là : à chaque fois que je changeais son pansement, la plaie apparaissait plus profonde et suintante que jamais. L'odeur qui s'en dégageait me levait le cœur, les tissus semblaient en train de se nécroser. Il fallait absolument arrêter le processus avant qu'il ne soit trop tard…


 Le soleil commençait à descendre à l'horizon et je jouais de nouveau les eclaireuses. J'avais déniché l'endroit idéal pour nous arrêter : un petit espace au calme, dans lequel coulait une source cristaline, abrité par plusieurs bosquets. J'avais fait le tour avec Orage, rien à signaler. Je comptais mettre à contribution Karvill, le chien, pour confirmer mon intuition que l'endroit était sûr : n'en déplaise à Jaskier, qui devait certes être un allié de poids face aux gens de pouvoir, pas question d'affronter quelques créatures avec mon peu d'expérience (merci les marais!) et seulement deux gamins à mes côtés… 


 Je revins au galop vers le reste du groupe pour indiquer notre lieu de repos. La nouvelle fut accueillie avec satisfaction, la fatigue commençant à se faire doucement sentir. Geralt, toujours aussi fiévreux délirait à l'arrière, criant des choses incompréhensibles. Je carrai les épaules, prenant mentalement la décision de tout faire pour savoir enfin lequel de ses élixirs je pouvais utiliser pour lui. 


 Dès que nous fûment arrêtés, je sollicitai l'aide de Jaskier pour sortir les précieux flacons pendant que je stimulais Geralt sans ménagement pour qu'il ouvre les yeux :


– Geralt ! Il faut que tu m'aides! Ouvre les yeux ! Montre-moi lequel je peux utiliser ! Tu vas mourir si on ne fait rien ! Tu dois tenir bon ! Si ce n'est pas pour toi, fais le pour Yennefer ! 


 Il s'était raidi quand j'avais prononcé son prénom, je l'avais fait sciemment : j'avais l'impression qu'il était en train de lâcher prise, de renoncer au combat et c'était insupportable pour moi. Je sentais qu'il avait encore un rôle à jouer, ne serait-ce qu'avec cette histoire d'enfant surprise dont il m'avait parlé, et puis pour Elle. Pas question de le laisser s'abandonner ainsi. J'insistais encore :


– Je sais que tu as mal et que tu es épuisé mais tu dois me montrer ! Je ne peux rien faire sinon. Et je refuse de te regarder mourir ! 

– Je ne suis pas prêt pour ta mort non plus ! Je ne veux jamais composer cette ballade ! Et je vais faire quoi sur les routes sans toi pour m'inspirer et me protéger ? D'ailleurs tu m'as toujours dit qu'on n'a jamais vu un Sorceleur mourir dans son lit, tu veux vraiment être le premier ?!


 Je sentis qu'il rassemblait ses forces. Il ouvrit péniblement un oeil, regarda les flacons que Jaskier tenait à hauteur de son visage, laissa son oeil se refermer et lâcha dans un souffle :


– Le... trois...zième… 


 Jaskier s'en saisit, demandant confirmation :


– Celui-ci?


 Geralt ré-ouvrit son oeil avec la même difficulté :


– Oui… ver...sez...sur… la…


 Sa voix mourut sans qu'il parvienne à finir sa phrase mais j'avais enfin ma réponse. Jaskier m'aida à le basculer depuis le côté sur le ventre. Le bouchon était coincé. Je dus l'enlever avec les dents. Il céda enfin avec un grand pop! incongru et festif digne d'une bonne bouteille. L'odeur de l'élixir était entêtante et répulsive à la fois. Je versai le contenu du flacon sur la plaie vive. Le liquide se mit à fumer et mousser violemment dans un atroce son grésillant. Geralt hurla de douleur, faisant bondir le chien sur ses pattes, un grondement menaçant à notre égard, puis perdit conscience. L'effet se calma, Karvill aussi. La morsure à l'épaule de Geralt, bien que toujours aussi impressionnante, apparaissait maintenant propre et nette, débarrassée de tout signe d'infection ou de nécrose. La bête quitta le chariot appelé par Wellan qui, avec Finn, s'inquiétait et était venu voir ce qu'il se passait.

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