Chapitre 20 : Point par point (2e partie)

4 minutes de lecture

 Le soleil était maintenant haut dans le ciel et Geralt ne revenait pas à lui. Régulièrement, je vérifiais sa respiration et son pouls : ses signes vitaux restaient faibles mais présents. J’allais arriver au bout de ce que je pouvais faire pour lui. Il me fallut encore le temps de protéger chacune de ses blessures préalablement couvertes de baume par des bandages. Je dus sacrifier des vêtements pour avoir assez de bandes. Les jeunes avaient fini leur tâche macabre. Ils étaient à présent occupés à récupérer des griffes et des dents des goules en guise de trophées. Je les entendais chuchoter entre eux, sur leurs découvertes et leurs observations, mi-fascinés, mi-révulsés. C'est Wellan qui nous indiqua à Jaskier et moi :


– Une de ces créatures est vraiment différente des autres, nettement plus grosse, toute hérissée, encore plus hideuse et effrayante que les deux autres... Ce doit être elle qui l'a mise à mal comme ça... Peut-être est-ce une algoule[1]? Lui seul pourrait nous le confirmer...


 Nous ne pûmes que hausser les épaules en réponse... Je ne connaissais pas suffisamment les monstres pour pretendre les identifier. J'imaginais cependant que les blessures récemment guéries de Geralt avaient du jouer en sa défaveur. Sans compter que ses élixirs qui auraient pu l'aider à la fin du combat étaient restés dans la selle d'Ablette où il les avait rangés, certainement par habitude, après s'être préparé. Pour l'heure je faisais ce que je pouvais pour lui.


 Les garçons entreprirent de faire brûler les carcasses putrides des monstres. L'odeur qui s'en dégageait augmentait encore la puanteur environnante, me donnant la nausée. Il me tardait vraiment de quitter cet endroit maudit.


 Geralt ne reprenait toujours pas conscience. Cela m'inquiétais profondément, même si ça lui évitait de souffrir. Jaskier m'aida à le redresser suffisamment pour lui donner un peu d'eau, ses réflexes fonctionnaient encore correctement et il parvint à déglutir sans fausse-route. J'en profitai pour lui faire ingurgiter le précieux élixir que j'avais récupéré chez moi. Ses propriétés magiques devaient l'aider à survivre jusqu'à Brokilone. Avec la quantité de sang qu'il avait perdu, tout autre homme que lui serait déjà mort. S'il devait s'en sortir ce serait grâce aux soins des Dryades et aux capacités de régénération exceptionnelles de son organisme de mutant. Encore fallait-il réussir à l'acheminer jusque là-bas…


 Reconnaissants pour son sacrifice involontaire, les garçons prirent l'initiative de fabriquer un brancard de fortune à l'aide de leurs haches d'arme et des cordes que nous avions à disposition. Pour cela ils abbatirent deux jeunes arbres aux troncs fins, solides et bien droits et les assemblèrent à plusieurs traverses destinées à soutenir le corps de Geralt, garnissant le tout de hautes herbes pour un semblant de moelleux. Je profitai de ce temps pour prendre un peu de repos et me sustenter. Je vins me caler contre Jaskier, toujours aussi terriblement silencieux. Il poussa un grand soupir et s'exprima enfin :


– Je ne suis pas prêt pour composer la ballade de sa mort. J'avais escompté ne jamais avoir à la faire…

– Il est en vie. Il est fort. Il a survécu à pire que ça et tu es bien placé pour le savoir. J'ai fait tout ce qui était en mes moyens, maintenant c'est à lui de se battre jusqu'à Brokilone. Les Dryades nous le remettront sur pieds, il n'y a pas de soins plus puissants que les leurs. Allez mange un peu, ce n'est pas en te laissant mourir de faim que tu vas l'aider.


 Jaskier hocha la tête et accepta le morceau de pain que je lui tendais. Il mordit dedans sans appétit.


 Le brancard était prêt. Il ne restait plus qu'à y installer Geralt avant d'atteler Ablette. Cette dernière s'était couchée contre son maître lui partageant sa chaleur, caressant du bout du nez et des lèvres les cheveux blancs du Sorceleur, comme pour essayer de le réveiller. A défaut de le rhabiller, nous avions enveloppé son corps dans plusieurs couvertures pour le garder au chaud tout en me laissant la possibilité d'accéder facilement ses blessures en cas de besoin. 


 Quand elle vit les jeunes hommes amener la civière improvisée, la jument se leva d'elle-même pour nous laisser le champ libre le temps du transfert du Sorceleur. Je laissais cette fois les garçons le porter, supervisant les opérations. Ils étaient robustes et habitués à travailler ensemble, ils le déplacèrent en douceur dans un mouvement parfaitement synchronisé. Je pris alors soins de l'attacher solidement pour lui éviter toute chute impromptue durant le trajet. 


 Lui caressant le chanfrein, j'expliquai à Ablette ce que l'on attendait d'elle et elle recula d'elle-même entre les bras du brancard ce qui nous permis de le fixer solidement de part et d'autre de sa selle, inclinant l'homme inconscient. Jaskier flatta l'encolure de la jument avant de se mettre en selle, s'adaptant tant bien que mal au dispositif. Nous étions prêts à prendre la route.

 

 Nous nous mîmes en marche en silence, cherchant les terrains les plus lisses possibles pour le confort du Sorceleur dont la civière glissait derrière la jument, dans un son de frottement aussi monotone qu'irritant. Je suivais Ablette avec Orage, surveillant l'état de mon patient qui était bringuebalé par les irrégularités du sol. Chacun semblait plongé dans ses pensées. 


_______________________________________

[1]Les algoules sont des goules qui ont mangé des cadavres pendant des années, jusqu'à ce qu'elles découvrent la saveur de la chair humaine et commencent à attaquer les vivants pour se repaître de leur viande tiède. On les trouve dans les cryptes et sur les champs de bataille, généralement entourées de goules. Le commun des mortels ne voit pas de différences entre les charognards, mais les sorceleurs savent que l'algoule est un adversaire plus agressif et plus redoutable.

Annotations

Vous aimez lire EnSorceleurisée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0