Chapitre 18 : Départ précipité (2e partie)

4 minutes de lecture

 Quel délice que cet agneau rôti au thym avec ses pommes de terres fondantes et ses flageolets cuits dans le jus de la viande! A chaque bouchée, le plaisir était si grand que je sentais comme une crispation presque douloureuse sous ma langue. J'étais ravie de pouvoir à présent savourer sans avoir à parler. Je décidai de me concentrer uniquement sur mon plat, laissant de côté le brouhaha extérieur et l'agitation autour de Jaskier qui était à présent en train de monopoliser l'attention en racontant, comme à son habitude, toutes sortes d'histoires basées, certes, sur la réalité mais dont il rendait les détails aussi croustillants que difficilement crédibles. La diversion qu'il offrait m'arrangeait bien, j'avais besoin de me recentrer. De toutes façons j'avais déjà entendu plusieurs de ces histoires sur les derniers jours et quelque chose me disait que j'aurai d'autres occasions de les entendre. Les suivantes de Dame Katarina, elles, étaient suspendues à ses lèvres, poussant de petits cris, gloussant ou soupirant selon l'action en cours.

 Jaskier maîtrisait l'art de conter tout en mangeant et buvant avec entrain, son auditoire entièrement captivé. J'étais assez effarée de la quantité de nourriture que lui et Geralt parvenaient à ingurgiter à chaque repas, à croire qu'ils compensaient leur temps passé sur les routes à se contenter de maigres repas. J'en étais à cette réflexion quand parut le dessert qui, étonnamment, ravit à Jaskier l'attention qu'il monopolisait. Il s'agissait d'une gigantesque pièce montée formée de divers choux et agrémentée de chocolat et de chantilly. Je me demandais en quel honneur était un tel gâteau !

 C'était en fait l'anniversaire de Dame Katarina et, dans sa grande modestie, elle souhaitait que toute l'auberge le sache et mesure sa générosité par le partage de la gourmandise. Elle fit signe à Jaskier qui, bon prince, prit son luth dans son dos pour entonner la chanson rituelle, accompagné par toute la salle. C'est dans le silence qui suivit les applaudissements que Dame Katarina surprit tout le monde en annonçant qu'elle et Jaskier allaient se marier. La manière dont le concerné manqua de s'étouffer dans sa boisson, m'indiqua qu'il n'était pas vraiment concerté. Il nous lança un regard paniqué pendant que sa Dame lui tapotait le dos pour l'aider à expectorer. Geralt éclata de rire et partit en me lançant :

– Profite du dessert et prépare les affaires, je vais récupérer les chevaux.

 Je ne me fis pas prier. Je savourais lentement un des choux, profitant de la saveur extatique du chocolat et de la douceur fraîche et sucrée de la chantilly tout en observant Jaskier subir les attentions de sa Dame. Maintenant qu'elle avait fait son annonce, elle se montrait décemment tactile, assurant son emprise physique sur lui. Le pauvre essayait d'esquiver ses embrassades sans la vexer. J'avais pu comprendre, extorquant quelques informations à ses suivantes, qu'elle avait un certain pouvoir dans la région et qu'elle était réputée pour ses colères et ses châtiments publics.

 Suivant les recommandations de Geralt, je m'éclipsai discrètement pour faire nos bagages à tous les trois. Ce fut vite fait et bientôt la chambre ne comportait plus trace de notre passage, si on faisait abstraction du lit!

 Je ne sais quel prétexte trouva Jaskier mais à l'instant où Geralt apparu à la porte de l'auberge, il s'échappa avec une profonde révérence pour remercier son public, envoya de la main un baiser à Dame Katarina qui étouffait de rage, et tourna dignement les talons à la suite du Sorceleur. Le temps de mettre les bagages sur les chevaux et de se mettre en selle, moi sur Orage, Jaskier en croupe derrière Geralt et nous étions partis. Nous eûmes quand même le temps d'entendre les imprécations de Dame Katarina à l'égard du Barde. Un coup d'œil en arrière me la révéla rouge de colère et vociférante. Jaskier rentra la tête dans les épaules et sollicita une accélération impossible étant donné la foule environnante. La grande Dame ne s'abaissa pas à nous poursuivre mais il était fort à parier que Jaskier ne serait plus le bienvenu par ici.

 Les gardes nous laissèrent partir sans heurts ce qui nous amena à croiser les nombreuses personnes qui attendaient pour entrer dans la ville. A l'extérieur de l'enceinte, un marché parallèle semblait se tenir : comme nous l'avait indiqué Jaskier, un énorme campement sauvage s'était constitué de diverses tentes et baraquements assortis d'échoppes de fortunes et de vendeurs ambulants. Le marché avant le marché. Certains badauds semblaient s'en contenter, découragés par la file d'attente pour entrer dans la place. C'est là que nous dénichâmes quelques provisions pour la route : des saucissons, de belles tourtes à la viande, des pommes et des carotte, une grosse miche de pain et un fromage. Quand les sacoches furent pleines et que les hommes se furent offert en prime une outre d'alcool chacun, nous nous éloignâmes de l'agitation ambiante, reprenant route vers Brokilone.

 Sitôt éloigné de sa "fiancée", Jaskier avait repris son babillage habituel, racontant insouciamment comment il avait eu une aventure avec la dite Dame qui était alors mariée. C'était il y avait bien une décennie de ça. Il lui avait bêtement, sous le coup d'une inspiration aussi poétique qu'inconsidérée, fait la promesse de l'épouser si un jour elle venait à se trouver veuve. Volage comme il était il avait complètement oublié ses dires et était donc tombé des nues quand elle les lui avait rappelé, lui détaillant la promesse d'une nuit de noce bien épicée. Jaskier soupira de soulagement de n'avoir pas perdu sa précieuse liberté avec cette femme aussi influente que caractérielle : séduire faisait partie de lui au même titre que chanter ou respirer et c'était un coup à se retrouver à l'échafaud avec une telle femme comme épouse.

 Hormis le blabla jaskien, le calme était revenu autour de nous, nous marchions sur un chemin pavé bordé de champs où les semailles commençaient à germer, déployant leurs jeunes pousses sous le soleil du début d'après-midi. Les fers de nos chevaux résonnaient sur les pavés, le rythme que cela induisit sembla inspirer soudainement le musicien qui, bondissant de la croupe d'Ablette, se saisit de son luth pour plaquer quelques accords. Marchant aux côtés de nos chevaux, il déclara vouloir écrire une chanson en mon honneur ce qui me toucha autant que cela m'embarassa :

Annotations

Vous aimez lire EnSorceleurisée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0