Chapitre 17 : Le même jour du côté de Rodric (3e partie)

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 La vie sans Gaëlliane était étrange. Je me rendais compte à quel point j'avais pris l'habitude de m'appuyer sur elle au quotidien, oubliant trop souvent de profiter de sa présence. J'essayais de me rappeler de notre dernier moment de tendresse, en vain. Je réalisai alors que depuis la naissance de notre fille j'avais rarement pris le temps de nourrir notre relation, trop occupé à travailler d'arrache-pied pour nous assurer confort et sécurité au quotidien. Je me couchais souvent tard dans la nuit, me blotissant contre son corps profondément endormi, et, comme elle se levait tôt le matin, je m'éveillai chaque jour dans un lit vide et froid. Les moments où nous pouvions goûter la passion de nos corps étaient devenus anecdotiques. Je m'étonnais de n'en avoir pas tant senti de manque contrairement à elle, qui venait parfois me solliciter, mais j'étais malheureusement trop pris dans mes projets pour me rendre disponible. Comme je le regrettais à présent. Que de temps perdu, peut-être à jamais…

 Toujours était-il que nous étions arrivés au moment de la pleine lune. J'avais attendu le lever du soleil pour demander à Éclair de traverser à gué le Ribbon. Le chariot avait réagi exactement comme je l'espérais, flottant derrière le cheval blanc sans le gêner, reprenant roues sur la berge sans encombres.

 L'ambiance dans la forêt de Brokilone était tout à fait particulière : les arbres pluri-centenaires, préservés de toute coupe, étaient aussi démesurés que majestueux, le sous-bois était envahi de fougères géantes et de buissons de ronces et d'aubépines. Un silence inquiétant s'était fait dès lors que le cheval avait posé un sabot sur la berge. Même les oiseaux s'étaient arrêtés de chanter. J'avais invité Mélusine à descendre et nous avions dételé notre cheval pour l'attacher sur le côté du chariot où il se mit à brouter avec ardeur.

 Nous nous étions alors avancé prudemment sous le couvert des arbres. Je sentais un filet de sueur glacé glisser le long de ma colonne vertébrale et la peur me nouer les entrailles : nous étions sur un territoire interdit. Les Dryades sylvestres ne toléraient presque personne dans cette forêt sacrée qu'elles préservaient de toute influence humaine.

 Conformément aux recommandations de Gaëlliane, qu'elle tenait elle-même de ses aïeules, j'avais incité Mélusine à marcher quelques pas devant moi. Son statut d'enfant, de fillette devait la protéger. Je voyais ses boucles brunes sautiller au rythme de ses pas. Cela me coûtait énormément de la laisser ainsi exposée. Elle me jetait par moment des petits coups d'oeil inquiets, vérifiant ma présence, j'essayais alors de lui sourire pour la rassurer. Je savais qu'elle savait ce qu'elle avait à faire.

 Une flèche siffla dans l'air et se planta dans le tronc de l'arbre à côté de moi. Je me figeai : c'était un avertissement, un pas de plus et la suivante me serait fatale. Je levai lentement les mains pour montrer que je n'étais pas armé. Le moment était arrivé. Tout reposait à présent sur les épaules de Mélusine. Elle se tourna vers moi, ses yeux indigo écarquillés d'appréhension. Je me forçai une fois de plus à sourire, puis hochai la tête pour lui confirmer en silence que le moment était venu.

 Je la vis prendre une profonde inspiration puis sa voix s'éleva, fluette, fragile. Je ne comprenais pas les paroles dont la langue ancienne avait une musicalité toute particulière. Elle entonna le chant transmis par sa mère, gagnant progressivement en aplomb. Bientôt sa voix résonna claire, limpide comme le chant d'une source ou celui d'un petit oiseau. Des voix firent écho à la sienne, tout un choeur. Progressivement, les dryades qui nous entouraient se révélèrent. De petites tailles, fines, elles avaient une peau verdâtre qui, tout comme leurs vêtements dans des nuances de vert et de brun, les faisait se confondre avec la végétation environnante. Leurs chevelures avait des couleurs variables. La plupart d'entre-elles portait un arc et un carquois rempli de flèches aux empennages colorés. Toutes avaient un air sauvage, féroce.

 L'une d'entre elle, vêtue d'une longue robe vert pâle légère et traînante, s'avança vers Mélusine. Pour ce que j'en voyais, ses cheveux tout comme ses yeux avaient la couleur de l'argent liquide. Sa beauté contrastait avec son visage fermé, sévère voire menaçant. J'eus l'élan de rejoindre ma fille pour la protéger mais aussitôt une demi-douzaine d'arc bandés furent pointés sur moi. La peur de voir mon enfant blessée sous mes yeux me noua, me faisant blêmir.

 La dryade fit un geste de la main, aussitôt les arcs furent baissés et je fus autorisé à m'approcher. Elle se présenta comme Eithné aux yeux argentés, reine de ce peuple. Elle indiqua se souvenir de l'humaine à qui ce chant avait été transmis et donc consentir, au nom de cette amitié ancienne, à nous accepter sur son territoire. En contrepartie nous devions promettre solennellement de nous garder de faire quoi que ce soit mettant en péril les arbres de la forêt : Interdiction de faire du feu, interdiction de ne couper ne serait-ce qu'une branche d'un arbre. Les arbres étaient sacrés et nous étions dans leur sanctuaire. Le moindre écart de ma part se solderait par la mort. Elle accepta néanmoins que je lui montre mes inventions concernant la lumière et la cuisine et les jugea suffisamment secures pour les tolérer.

 Soulagés que tout se soit bien passé et après avoir attelé à nouveau Éclair à notre chariot, nous suivîmes les Dryades à travers la forêt sauvage. Nous dûmes faire des détours compliqués pour trouver des passages accessibles avec l'attelage et il nous fallut plusieurs jours pour arriver au cœur de la forêt de Brokilone, dans l'espace où les Dryades avaient construit leur village. Les dernières heures s'étaient fait à l'aveugle pour nous, préservant ainsi le secret de sa localisation.

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