Chapitre 15 : Sentiments ambivalents (2e partie)

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 Je dus m'assoupir. C'est la fraîcheur de l'eau qui me réveilla. Le silence régnait dans la pièce. Je me lavai puis me séchai rapidement, me vêtissant d'une chemise de nuit un peu trop courte à mon goût au vu des circonstances. Je retrouvai la chambre vide, aucune trace des deux hommes. Mon assiette pleine m'attendait. Je mangeai sans appétit la nourriture refroidie puis pris le parti de me mettre au lit, me glissant avec délice dans les draps frais et parfumés qui se réchauffèrent rapidement au contact de ma peau.


 Ils rentrèrent tard dans la nuit, visiblement alcoolisés, gloussant comme deux gamins tout en faisant "chuuuut !" pour ne pas me réveiller. C'était raté mais je fis mine de dormir encore. Ils avaient allumé une des bougies pour que Jaskier puisse y voir et qu'il arrête de se cogner dans les meubles. Il faut dire qu'il ne tenait plus correctement debout.


 Ils firent un détour par la baignoire pour se rafraîchir, pestant contre la froideur de l'eau tout en continuant de ricaner. Une part de moi regrettait de ne pas voir directement la scène mais j'en avais une assez bonne idée. Jaskier se plaignit que Geralt prenait toute la place. J'entendis alors l'eau clapoter vivement puis éclabousser le sol. Je les imaginais à deux dans le baquet et cela me fit rire sous cape. Oui, décidément une drôle de paire que ces deux là.


 Ce qui devait arriver, arriva : en voulant sortir, Jaskier glissa sur l'eau répandue au sol, faisant tomber dans sa chute le paravent. Je ne tins pas plus longtemps, éclatant de rire face à son air ahuri et vexé. Le fou-rire se propagea si bien qu'il ne parvenait pas à se relever, ni Geralt à l'aider. Ils finirent tous deux nus, assis au sol, essuyant les larmes qui ruisselaient sur leurs joues tandis que je faisais de même au chaud dans le lit. J'avais mal aux joues et aux abdos à force de rire. Toute la tension accumulée les dernières heures semblait en train de s'évacuer d'un coup.


 Ce fut un soupir collectif qui mit fin au fou-rire et les deux hommes en tenue d'Adam avancèrent vers moi, me laissant le loisir d'observer leurs différences de morphologie et de pilosité. Jaskier apparaissait fluet à côté de Geralt. Il était bien moitié moins large d'épaules mais laissait voire une musculature finement dessinée et un torse glabre contrastant avec la toison grisonnante de son ami. Contrairement à Geralt, son corps était quasiment dépourvu de cicatrices. Il était aisé de voir combien leurs modes de vie étaient différents. Jaskier semblait également nettement plus jeune que Geralt dont le visage, souligné par sa longue chevelure blanche, apparaissait marqué par la vie. Jaskier, lui portait des cheveux châtains coupés courts à l'exception d'une mèche plus longue sur le devant. J'observai par ailleurs les nouveaux hématomes impressionnants sur le corps de Geralt, témoins de la bagarre du début de soirée : son avant-bras apparaissait fortement meurtri mais j'avais appris la leçon : je ne lui en toucherai pas mot. Bien que j'étais curieuse de comparer le reste, j'essayais de garder mon regard sur les parties chastes de leurs corps. C'était déroutant de les voir comme ça face à moi.


 Le temps s'était comme suspendu. Je me demandai ce qu'ils attendaient au juste. Une invitation ? Même si cela était tentant, je n'avais pas pour projet d'aggraver encore mon statut d'épouse adultère.

– Si vous voulez de la place dans le lit, merci de vous vêtir un minimum Messieurs.


 J'avais dit cela en repoussant inconsciemment les couvertures, révélant la nuisette qui me couvrait tant bien que mal (encore un cadeau de Rodric qui aimait ces vêtements minimalistes qui me faisaient paraître encore plus nue). Je sentis le regard des deux hommes se poser sur mes épaules et ma poitrine. Ils déglutirent de concert puis croisèrent un instant leurs regards pour me fixer à nouveau l'instant d'après. Un frisson me parcourut "Oh la la, dans quelle situation t'es-tu encore fourrée ?" me demandais-je en sentant ma peau se couvrir de chair de poule et mes seins commencer à pointer à travers le fin tissu de mon vêtement de nuit.


 Ils ne bougeaient toujours pas. Ils échangèrent à nouveau un regard éloquent et je sentis qu'il se passait quelques chose entre eux deux, comme un accord tacite, une autorisation délivrée, dont je m'offusquai intérieurement, en étant apparemment le sujet. Jaskier eut un sourire charmeur et gourmand. Il commença à me parler d'une voix douce tout en s'approchant tranquillement du lit. Geralt pris du recul, s'asseyant sur une chaise, observateur.


 Je n'aimais pas du tout cette situation. J'avais la très désagréable impression d'être une brebi face à deux loups. Pire : d'avoir été offerte par Geralt à son ami. Malgré ses mots flatteurs, poétiques et enjôleurs, je ne me sentais pas séduite par l'attitude de Jaskier dont les yeux brillaient de désir et l'haleine exhalait une entêtante odeur d'alcool. Défensive, je réitérai ma demande de manière plus ferme encore.
– Vous passez un caleçon tous les deux ou vous dormez par terre, entendu ?!

 Geralt haussa les sourcils puis les épaules et fit ce que je demandais tout en lançant un caleçon à Jaskier.

– Excuse-moi Gaëlliane, après le petit numéro que tu m'as fait avec Triss, je pensais que tu serais partante… Tu montres depuis notre rencontre une certaine… gourmandise.
– J'ai vu vos regards entendus à tous les deux. Jusqu'à preuve du contraire c'est mon corps, ce n'est pas à toi de l'accorder à qui que ce soit. De toutes façons vous êtes plus saouls l'un que l'autre. Dormez. On en parlera demain. Et restez de votre côté où je vous pousse du lit.

 Ils obtempérèrent, ronflant bientôt de concert l'un contre l'autre tandis que je ne parvenais pas à retrouver le sommeil. J'étais tellement en rage. Contre eux. Contre Geralt. Contre moi en fait. Difficile de regarder en face le fait que malgré mes bonnes résolutions j'avais envie de ce qu'ils m'avaient proposé, sans pression aucune d'ailleurs. Seule la manière dont ils s'étaient comportés, comme si je leur était acquise, m'avait permis de lutter contre mes pulsions. Je n'avais pas été juste avec eux, qui s'étaient, somme toute, montrés respectueux.

 Intérieurement, je me traitai à nouveau de salope et j'avais honte. Je me tournai et retournai sans cesse tandis que leur concert prenait de l'ampleur. J'étais troublée : j'avais là l'occasion de vivre une nouvelle, et probablement dernière, expérience inédite et certainement incroyable mais en franchissant cette nouvelle limite je risquais de ne plus savoir me regarder en face, ni Rodric d'ailleurs…

 Plus le temps passait, plus l'idée faisait son chemin. Le sommeil, lui, continuait de me fuir. Je me surpris à compter les jours depuis mes dernières menstrues, évaluant le risque d'une éventuelle grossesse. Très élevé, trop élevé. Avec Geralt la question ne se posait pas, la stérilité des sorceleurs était un fait connu, mais Jaskier… A moins de… non quand-même pas... Si? Pratique agréable et sans risque côté grossesse… Humm… C'est en imaginant la scène que je me laissai glisser dans les bras de Morphée.

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