Chapitre 12 : De nouveau seuls sur les routes (2e partie)

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 Nous laissâmes les juments se défouler un petit moment avant de les ramener à une allure plus raisonnable, trottant sur le chemin. La journée passa vite et sans heurt. Le midi nous avions fait halte aux abords d'un petit bois tranquille le temps de prendre un petit repas.

 J'en avais profité pour m'entraîner un peu au tir à l'arc que je n'avais plus pratiqué depuis mon agression. Mes épaules restaient sensibles mais j'avais retrouvé ma tonicité et ma précision s'améliorait de plus en plus. Geralt en profita pour prendre soin de ses lames et répéter ses mouvements d'attaque et de parade.

 Nous avions repris la route peu après, choisissant à présent une allure plus tranquille. Le soir venu, nous bivoiquâmes un peu à l'écart du chemin, là où la végétation nous offrait un peu d'intimité. Une nuit de plus à nous réchauffer mutuellement. Geralt était toujours tendre et attentionné dans les moments d'intimité. Lui comme moi savions que notre "relation" n'était pas destinée à durer. Nos coeurs appartenaient à d'autres. Il criait d'ailleurs souvent son nom dans son sommeil.

 C'est justement son cri rauque et désespéré qui nous réveilla ce matin-là. Il avait l'air bouleversé en ouvrant les yeux, me serrant convulsivement dans ses bras avant de me lâcher en constatant que je n'étais pas Yennefer. Je posai une main sur son épaule :

– Un cauchemar ?

– Je l'espère...

 Il n'en dit pas plus, se levant et sortant son glaive pour s'entraîner. Certainement une tentative de se détourner de ce qu'il avait vu et ressenti. Après l'avoir regardé quelques minutes, admirant une fois de plus son corps en mouvement, je pris le parti de nous préparer un petit déjeuner.

 Le soleil commençait tout juste à se lever et le ciel était encore tout parsemé d'étoiles. J'observais les constellations au-dessus de ma tête, regrettant de ne pas mieux les connaître. Le ciel était en train de s'éclaircir à l'horizon, offrant toute une gamme de bleus du plus clair au plus sombre. Bientôt le ciel vira au rose et le soleil encore tout rouge de sommeil pointa le bout de son nez, éveillant la nature alentours.

 Un oiseau de nuit vola en silence au-dessus de Geralt, se dirigeant probablement vers son perchoir pour y passer la journée. Les chauves-souris et les hirondelles pourchassaient les moustiques qui nous avaient harcelés toute la nuit, piquant le peu de peau apparente. Je me mis en quête de plantin pour calmer les démangeaisons et d'autres plantes médicinales pour servir de répulsif. Nous nous rapprochions d'une zone marécageuse et tout laissait présager que les moustiques nous tiendraient compagnie encore un moment.

 Geralt avait fini son entraînement. Il semblait avoir retrouvé son impassibilité habituelle. Il mangea ce que j'avais préparé avec un grognement appréciateur et consenti à ce que je traite ses piqûres même si cela lui semblait ridicule d'y accorder la moindre importance.

 Nous reprîmes la route sous un ciel couvert. Les moustiques continuaient de nous harceler ainsi que les juments qui frémissaient sans cesse, agitant leurs muscles peaucier pour chasser les indésirables, secouant leurs encolures et fouettant leurs flancs, et accessoirement nos jambes de leurs queues. C'était assez désagréable comme sensations.

 Je me désespérai de trouver de la citronnelle quand j'en apperçus à une cinquantaine de mètres du chemin : des touffes de belle taille dans les marais. Je mis pied à terre, confiant les rênes d'Orage à Geralt. Je me devais d'être prudente au risque de m'enliser. Je tâtai prudemment le sol du pied avant chaque pas.

 Je me croyais rendue à destination quand mon pendentif vibra tandis que quelque chose s'enroulait subitement autour de ma cheville. Je poussai un cris de surprise en tombant, entraînée par la chose qui était cachée dans la boue. Je ne dus mon salut qu'à mon réflexe de me saisir de ma serpe pour frapper au niveau de ma cheville tranchant net ce qui me retenait. La créature siffla de concert avec la lame du Sorceleur, d'autres tentacules et une gueule pleine de dents jaillirent de la boue dans ma direction. Mon amulette vibra de nouveau. Geralt virevolta soudain entre la créature et moi, tranchant les différents appendices, évitant et parant la gueule mortelle avant de sectionner net le cou de la bête au moment où elle pointait dans ma direction.

– Merde ! C'était quoi ça ?!

– Aucune idée. Prends tes herbes et tirons-nous. Je ne tiens pas à savoir s'il y en a d'autres dans le coin ni si c'était un modèle juvénile.

 Je ne me fis pas prier, je récupérai ma précieuse citronnelle et revint auprès de ma jument. Geralt l'avait attachée à Ablette ce qui avait évité qu'elle s'enfuie épouvantée. Elle frissonnait de peur, les naseaux dilatés, montrant le blanc de ses yeux. Ablette à côté semblait parfaitement blasée. Je rassurai Orage avec l'aide de Geralt qui usa de son Signe, vérifiai l'état de ma cheville, nettoyai rapidement ma serpe et entrepris de frictionner les chevaux avec les herbes pendant que lui nettoyait son épée souillée par le sang verdâtre du monstre. Il refusa que je le parfume lui aussi de citronnelle, estimant que l'odeur était déjà bien assez présente sur son cheval. Nous ne nous attardâmes pas d'avantage.

 Le terrain était de plus en plus marécageux. Geralt ouvrait la voie, aux aguets, craignant d'autres rencontres dangereuses. C'était apparemment le genre d'environnement qu'affectionnaient la famille des Grandes Demoiselles [1] et ce qu'il m'en avait décrit ne me donnait pas le moins du monde envie d'en rencontrer. Nous contournions donc de très loin tout ce qui pouvait ressembler à un tronc d'arbre couché.

 Les heures passaient et nous étions toujours dans les marais, sans réelle possibilité de faire halte. Nous ne descendions de cheval que quand nous n'avions pas le choix, besoin naturel obligeant. J'avais la trouille au ventre en me soulageant au pied de ma monture sous la vigilance de Geralt. La créature tentaculaire m'avait laissé une trace rougeâtre de ventouse sur la cheville. Heureusement il n'y avait pas de signe de venin ou autres joyeusetés.

 Le soir était en train de tomber. Nous n'en voyions toujours pas le bout et la fatigue commençait à se faire sérieusement sentir. Impossible de s'arrêter pour dormir. J'appréhendais le moment où la nuit allait nous envelopper m'empêchant de voir ce qu'il se passait autour de nous.

 Les batraciens commençaient à chanter tandis que le soleil, toujours derrière les nuages, disparaissait à l'horizon et que des bancs de brume se formaient sur les marais. Le concert de coassements aussi sonores que variés monta en puissance. Certaines grenouilles sifflaient presque tant leur chant était aigu, d'autres produisaient des sons graves et profonds, d'autres encore semblaient avoir le hoquet et ce n'était là qu'une infime partie de leur répertoire.

 Ces sons, associés au roulis de ma jument sous mes fesses, me berçaient et, sans que j'en prenne vraiment conscience, je commençai à somnoler. Mon corps se faisait de plus en plus lourd, mes paupières aussi, j'avais beau lutter, je sentais le sommeil me gagner. Je n'avais même plus l'énergie d'interpeller Geralt qui ouvrait la voie.

***

[1] monstre au corps calleux, long de deux brasses, qui rappelle un tronc couvert d’algues, avec dix pattes et des mandibules comme des scies.

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