Chapitre 8 : Vers une nouvelle vie

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 Geralt ouvrait la voie et je suivais sur Orage, savourant nos retrouvailles et le confort d'une monture à ma mesure. C'était une jeune jument, de petite taille, fine et gracieuse : un croisement entre un poney rustique et une jument arabe. Elle avait gardé le gabarit, la résistance et le caractère joueur du premier et la finesse, la rapidité et l'endurance de la seconde. Sa robe était grise pommelée presque noire et sa crinière blanche immaculée. Elle suivait Ablette avec une énergie et une légèreté joyeuse.

 Nous étions en train de contourner cette nouvelle colline qui allait achever de nous dissimuler aux regards. Mon cœur se gonfla de gratitude à la vue de l'aurore qui colorait le paysage alentour d'une douce lueur rose vive et dorée, se reflétant dans la myriade de gouttes de rosées qui parsemait la végétation en pleine éclosion. Les rares nuages en étaient baignés, habillant le ciel de teintes flamboyantes. La nature s'éveillait autour de nous en pépiements d'oiseaux et bourdonnements d'insectes. Nous aperçûmes des lièvres courant les champs et un magnifique renard roux de retour de chasse. Il régnait là un instant d'éternité.

 Nous étions suffisamment éloignés à présent pour prendre le pas, laissant nos chevaux, et tout particulièrement Ablette, récupérer après cette course. Il était convenu que nous éviterions une nouvelle fois les espaces peuplés durant quelques jours. Tant que nous aurions des provisions, nous bivouaquerions pour la nuit. J'avoue que je commençais à me languir sérieusement d'un bain chaud et d'un lit moelleux. Je rêvais à la salle de bain qu'avait conçue mon mari qui avait trouvé le moyen d'acheminer et de chauffer automatiquement l'eau. C'était un luxe qui allait beaucoup me manquer.

 Nous chevauchâmes côte à côte, en silence, plusieurs heures durant avant de nous arrêter, vers midi, pour nous sustenter et nous reposer un peu. Geralt nous avait déniché un petit bosquet entouré d'herbes hautes. Un tronc tombé au sol invitait à s'installer et la situation légèrement surélevée permettait de voir facilement alentours. Je laissai ma jument brouter et m'éclipsai le temps de répondre à un besoin naturel. Geralt ôta les bandes de tissu des pieds de sa jument et la laissa brouter elle aussi. Il s'éclipsa à son tour en me voyant revenir. Un lieu d'aisance dédié ! Ça aussi ça me manquait !

 Quand Geralt revint, j'étais en train de terminer l'inventaire de mes sacoches, recensant ce qu'il me restait d'affaires, ce à quoi se résumait ma nouvelle vie. J'avais sorti du pain, du fromage, de la viande et des pommes de terres cuites pour nous restaurer. Une outre d'eau claire nous permit de nous désaltérer. Geralt me désigna les bottes qu'il avait aux pieds avec un sourire satisfait :

– Ce sont vraiment de bonne bottes, très confortables et efficaces! Merci encore.
– C'est avec plaisir. Je me réjouis de les savoir à tes pieds plutôt qu'à celles d'un de ses soudards. Merci à toi de m'avoir permis de passer chez moi… ma voix eut un trémolo sur ce dernier mot.
– Montre-moi ce qui était si important à tes yeux.

 Je lui tendis l'arc. Geralt le manipula d'un air appréciateur, testant la souplesse du bois, la tension de la corde, suivant du doigt les sculptures délicates qui avaient été faites tout le long.

– Un très bel objet. Tu sais t'en servir ?
– J'ai su. Ça fait bien longtemps que je ne l'ai pas utilisé.
– C'est l'occasion de le tester, me répondit-il en me désignant un arbre.

 Je m'éloignai suffisamment, encochai une flèche, tendis la corde, visai et lâchai. La corde me frotta douloureusement l'avant-bras, la flèche siffla. Je poussai un juron et piquait un fard en constatant qu'elle s'était plantée dans l'arbre voisin de celui que je visais. Geralt pouffa discrètement.

– Je suis rouillée ! Heureusement que tu es derrière-moi! Je serai fichue de t'atteindre par mégarde.
– Aucune importance, réessaie.

 Geralt se plaça derrière moi pour guider mes gestes. J'eus l'impression de sentir à nouveau les mains de mon père sur moi, j'entendais ses conseils comme s'il était effectivement derrière moi. Je calmai ma respiration, encochai une nouvelle flèche et recommençai. Cette fois la flèche arriva exactement où je voulais. Un élan de fierté me traversa.

– Pas si rouillée à ce que je vois.

 Je pris le temps d'envoyer plusieurs autres flèches, ma précision était variable mais dans l'ensemble c'était correct. Avec un peu d'entraînement je pourrais me montrer tout à fait efficace, du moins bien campée sur mes deux pieds. Je récupérai toutes mes flèches, en vérifiai l'intégrité et les rangeai dans mon carquois.

 Je revins vers Geralt qui était en train de prendre soin de ses épées, les nettoyant, vérifiant l'affûtage du tranchant. Satisfait il les rangea. Je lui sortis ce que j'avais récupéré dans ma salle de soin. Il observa mon matériel, mes élixirs et nous comptâmes mes économies. A nous deux nous avions assez pour passer plusieurs nuits au chaud avec un bon repas en prime. C'était réjouissant.

 Désignant mon matériel médical je lui suggérai de profiter de ce moment serein pour enlever ses fils. Il ôta aussitôt sa veste et sa chemise et s'assit sur le tronc d'arbre pour me laisser opérer. Jahlna m'avait prévu un flacon d'alcool. Je désinfectai donc mes mains, mes instruments et la peau de Geralt avant de procéder, point par point, tirant le fil avec une petite pince angulaire pour le couper ensuite. C'était un travail minutieux et monotone. Il y avait tellement de points. J'étouffai un bâillement.

– C'est quasiment guéri. Il faudra juste hydrater un peu pour assouplir les tissus mais tu le sais déjà. Je m'occuperai de ta cuisse à un autre moment. Reprenons la route, j'aimerais avancer le plus vite possible vers Brokilone.

 Fidèle à lui-même, Geralt se rhabilla sans faire de commentaire. C'était à la fois confortable et déstabilisant de voyager à ses côtés : sa présence solide était tout à fait rassurante, j'appréciais sa nature respectueuse mais son silence parfois me pesait. J'avais l'habitude d'être entourée de beaucoup de personnes, souvent de nature plus expansives. Ce silence en sa compagnie laissait beaucoup de place aux pensées et je n'étais toujours pas complètement en paix avec moi-même.

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