8 - Damian

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Damian

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   Sam a tenu à m'accompagner à l'entraînement cet après-midi. C'est rare, d'ordinaire il préfère rester loin de tout ce qui pourrait, de près ou de loin, attenter à ma vie. Autant dire que le cheerleading en fait clairement parti et que, bien qu'il soit toujours présent lors des exhibitions, les entraînements restent pour lui une véritable source d'angoisse.

Il a horreur de me voir voler au-dessus du sol sans autre protection que les bras de mon porteur, au cas où.

Je l'ai observé, durant les deux heures d'entraînement, il m'a regardé faire avec sur son visage, ne expression crispée de peur entremêlée à de espoir, celui de ne pas me voir m'écraser comme une crêpe sur la scène. D'habitude, Henri ne laisse personne assister à nos entraînements , surtout pas nos amis et autres ''distraction'' comme notre coach les appelle.

Mais aujourd'hui, lorsqu'il a constater l'air piteux de Samuel, ses cernes et ses traits toujours tirés par une angoisse qu'il refuse de partager avec moi, il n'a même pas cherché à argumenter.

— Quelqu'un a vu mon soutif ?

Je redresse la tête, quitte mon reflet dans le miroir pour jeter un coup d’œil à Rebecca, une fille de mon équipe, les seins à l'air au milieu des loges. Elle trépigne, aucunement dérangé que sa poitrine suive le mouvement sous les regards au mieux gêné au pire abominés de nos coéquipiers.

— Meuf habille-toi, lance une autre fille, au fond de la salle.

— Et comment ? Je viens de vous dire que j'avais paumé mon soutien-gorge !

Les filles se mettent à beugler chacune leur tour pour commenter l'histoire du soutien-gorge disparu. Les quelques garçons de l'équipe et moi-même, préférons rester en-dehors de ce problème, qui ne nous concerne pas. Nous sommes en infériorité numérique, une parole de travers et ce serait fini pour nous.

Notre exhibition de ce soir commence dans moins d'une heure, et comme avant chaque représentation, nous sommes entassés dans les loges des athlètes pour nous habiller, nous maquiller et nous coiffer. De mon côté, plutôt en avance, je termine d'appliquer mon eye-liner, exigé pour aller en adéquation avec le costume de ce soir. Je n'ai pas du tout l'habitude de ce genre de prouesse artistique sur mon propre visage alors, sans grand étonnement, mes traits ne sont pas symétriques d'un œil à l'autre, l'effet ''œil de chat'' n'est pas du tout au rendez-vous.

— Putain, je siffle en attrapant le démaquillant.

Je retire le liner, jette le coton à la poubelle, me roule en boule sur ma chaise, franchement abattu par ce stupide passage obligatoire. Qui va s'extasier sur le fait que nous portions tous ce stupide liner ? Personne, car personne ne sera assez prêt pour ne serait-ce que le remarquer.

Henri n'est qu'un maniaque de la perfection qui n'a de toute évidence, jamais eu à s'appliquer de l'eye-liner.

— Un souci Dam ?

Je darde mon regard dans celui de Rebecca, habillée – Dieu soit loué – qui d'un sourire amusé, contemple le coton noir de liner dans la poubelle.

— Tu veux de l'aide ?

— Tu gères le liner ?

— Carrément, pour moi faire des yeux de chat avec ça, c'est une balade de santé.

Autoritaire, elle m'indique de mieux m'asseoir, attrape mon visage, défait le bouchon du liner et commence à tracer. Ses gestes sont souples, habitués, la pointe du pinceau est comme une caresse sur ma peau.

J'aime bien Rebecca. Elle est légèrement plus jeune que Ariana, et est, en-dehors de l'équipe, une étudiante en ingénierie mécanique. Tout le monde ne l'apprécie pas, un peu bourrin, elle n'hésite pas faire savoir ce qu'elle pense tout fort, et ce même si ses mots peuvent blesser. Certain la trouvent ''sans gêne'', comme elle vient de le démontrer avec ses dix minutes de balade topless dans les loges mais, moi ça ne me dérange pas. Elle peut paraître rude, mais elle est toujours là lorsqu'on a besoin d'elle, c'est ça le plus important. Le fait qu'elle aime se balader à poil n'est qu'un détail. Un détail sans doute gênant pour certaines personnes mais, un détail quand même.

— Fronce pas les sourcils mon lapin, ça plisse ta peau, le rendu sera pas joli.

Je m'exécute, la laisse terminer, observer son travail, pour ensuite se féliciter avec un immense sourire.

— Y'a pas de justice putain, tes yeux sont une vraie tuerie. T'es canon.

— Je sais.

Elle rit, me donne un coup de poing dans l'épaule. C'est Lui qui m'a appris ça : « Lorsqu'on te dit que tu es beau, ne réponds jamais ''merci'', mais ''je sais'' ». Je n'ai jamais cessé d'appliquer cette doctrine depuis.

— Entrée en scène dans moins de vingt minutes ! hurle un agent technique dans le couloir.

Les esprits commencent à s'échauffer, presque personne n'est prêt. En quelques mots, l'agent vient de déclencher une vague de panique générale dans le petit espace confiné : les filles se bousculent pour accéder aux miroirs éclairés, les garçons pestent contre le gel de mauvaise qualité qui nous est imposé, partenariat commercial oblige.

Rebecca s'installe face au miroir à côté de moi pour commencer à se maquiller, après avoir rassembler ses épais cheveux noirs dans une queue de cheval pleine de bosses.

— T'as l'air songeur, me lance t-elle en appliquant son fond de teint. Tout va bien ?

— … ouais, c'est un peu le bordel à la maison.

— Ça a à voir avec Sammy ?

Je hoche pensivement la tête, tout en appliquant une bonne couche de high-lighter sur mes pommettes, le bout de mon nez.

La vérité, c'est que je suis censé rentrer sur scène avec mon équipe dans quinze minutes, et que je ne suis pas du tout dedans. Je m'inquiète pour Samuel, qui refuse catégoriquement de me dire ce qui s'est passé avec sa mère hier soir, qui s'enferme dans le silence, et qui me rend dingue. D'habitude, c'est moi qui me ferme comme une huître face aux mots, pas lui. D'habitude, c'est lui qui parle, qui se confie, qui rassure et qui va de l'avant. Depuis hier soir, j'ai plutôt l'impression qu'il stagne, se renferme et se torture l'esprit dans le silence de notre impuissance. Il suffirait qu'il me parle, qu'il m'explique, c'est mon rôle après tout : être en couple ne se résume pas au bon côté du concept, c'est aussi être là lorsque l'autre coule, afin de l'aider à remonter à la surface.

— Ouais, il est pas en forme.

— T'as essayé le chocolat ? Ça remonte le moral le chocolat. Les pipes aussi tu me diras donc au final...

— Becca, merci mais là tu m'aides pas.

— Au pire une pipe et du chocolat ?

D'un regard en biais, elle m'indique que même si je n'apprécie pas ses mots, elle a raison, et retourne au maquillage de ses sourcils.

Tout à coup, la porte des loges s'ouvre, et Mikky apparaît, escorté d'une gamine de l'équipe junior. Visiblement mal à l'aise dans son costume de scène, il se rapproche de moi en courant, salue Rebecca d'un sourire, avant de me montrer son visage d'un air horrifié.

— Je m'en suis mis partout non ?

— Les bébés c'est la loge à côté, jappe une fille sur ma droite.

— Et les chiennes à la fourrière, alors ferme-la.

La réponse cinglante de mon porteur attitré me fait sourire. Il adore Mikky, alors voir cette fille s'attaquer à sa chasse gardée n'a pas dû lui plaire. Rapidement, je retire l'excédent de paillettes qui fait ressembler mon frère à une boule disco, avant de replacer ses cheveux en arrière.

— Vos tenues sont super stylées ! Pourquoi nous on a ces vieux trucs gris ?

— Qu'est-ce que j'en sais ? Et puis, je ne trouve pas que nos tenues soient stylées.

— Elles sont vulgaires, rajoute Rebecca. Des tenues de pouffiasses.

— On est cheerleaders, le cliché même de la pouffiasse, rétorque une autre fille.

Mikky trépigne sur place, sort son portable de sa poche pour me montrer une photo que Danny vient de lui envoyer : Ariana, Rafaël, Sam et lui sont dans les gradins, regardent la caméra et le message qui accompagne le cliché, ''We're ready'' me fait rire.

— Fiona doit les rejoindre. D'après Danny elle est à la bourre car Jay a encore perdu sa clope électronique. C'est vraiment un boulet.

— Miguel et Sarah, merci de retourner dans vos loges, braille la coach de l'équipe junior.

Mon frère me souhaite bon courage avant de s'éclipser, le sourire barrant son visage d'une oreille à l'autre.

— Adorable, murmure Rebecca.

Elle termine d'appliquer son mascara, refait sa queue de cheval et enfin, cesse de s'agiter en tous sens à côté de moi. Pour ce soir, c'est short en cuir, haut noir et chaussettes hautes, ce qui de loin, nous fait ressembler à de ridicules danseurs de clip de rap. Un des autres formidables traits de caractère de Henri ; pour lui le cheer, c'est sexy et pas autrement. Et, si au moins nous étions tous à la même enseigne, mais dans notre équipe, il existe une distinction. Pas entre filles et garçons, comme le veut la coutume, mais plutôt entre porteurs et flyers. C'est pourquoi je me retrouve avec un short, tandis que Iris, une porteuse, dansera en pantalon. Personnellement, ça ne me dérange pas, à Soledo je passais la plupart de mon temps avec les shorts de Ariana sur les fesses mais, je ne suis pas le seul garçon flyer, et il est clair que pour mon comparse, s'exhiber avec un short aussi court n'est pas sa tasse de thé.

Des mains, je tire un peu sur le bas de mon short afin de couvrir le pli de mes fesses, gronde sourdement en constatant qu'il me serre un peu. J'ai du reprendre du poids, ce n'est pas possible autrement.

— Soirée chez moi après le match, lance Sophie. Vous pouvez ramener vos moitiés mais, c'est une bouteille d'alcool par personne pour rentrer !

— T'abuses !

— C'est ça ou rien ! On fait du covoit ? J'ai quatre places dans ma caisse !

Les voitures se font bruyamment, j'entends qu'on me place d'office dans l'une d'elle, avec Samuel, sans même me demander mon avis. Ce n'est pas étonnant, je participe toujours aux soirées post-match mais, je ne e suis pas sûr que Sam ait envie de venir avec moi ce soir.

— Lui laisse pas le choix, murmure Rebecca, comme lisant dans mes pensées. Ça lui changera les idées. Et puis, Sophie à une putain de piscine chauffée, ça se refuse pas !

— Tu viens toi ?

— Mon lapin écoute-moi bien : le jour où tu ne me verras pas à une soirée d'après match, appelle la police, car il me sera arrivé malheur.

   Comme je m'en doutais, Samuel n'était pas du tout enclin à me suivre à la soirée chez Sophie, notre capitaine. Cependant, après le match, et suite à de nombreuses supplications de ma part et une réactivité nulle du côté de Ariana et Rafaël, il a fini par céder.

Nous avons donc fait la route dans une voiture au volume sonore explosif jusqu'à la périphérie lyonnaise, où la maison que Sophie partage avec son mari nous attendait.

Entre mes mains, mon gobelet de bière me fait de l’œil mais, il faut que j'écrase la pédale de frein, ma tête commence déjà à me tourner.

Samuel est adossé au bar, bras croisés, yeux perdus dans la foule qui se déhanche dans l'immense pièce à vivre.

D'un pas tranquille, je le rejoins et le laisse me prendre mon verre pour en boire une gorgée. Puis, des doigts, il attrape mon menton pour redresser mon visage, le couvrir d'un regard fier.

— C'est super beau, la peinture pour visage que tu as mis sur tes yeux.

— On appelle ça de l'eye-liner, je ris en me raccrochant à ses épaules.

— Ouais, on s'en fout. Ça te fait des yeux de fou.

Mon sourire se décuple : entre Rebecca et Samuel, mes yeux auront eu leur dose de compliment pour quelques jours. Je capture ses lèvres entre les miennes, y retrouve le goût sucré de la bière à la framboise que Sophie nous serre, lui indique la piste du doigt.

— Tu veux danser ?

— Babe j'ai... je sais pas, je suis pas...

Un type me bouscule légèrement, immense et baraqué, je le reconnais rapidement comme étant un joueur de notre équipe de basket. Ils ont gagné ce soir alors, l'ambiance est au beau fixe pour eux.

— Oh s'cuse moi Dam.

Il plisse les yeux en avisant Samuel, semble rechercher son nom dans les tréfonds de sa mémoire anesthésiée par l'alcool.

— Samuel ?

— Bravo, sourit mon petit ami en tendant son poing. Et toi... Thibaud ?

— Ouais mec, bien joué ! Vous venez avec nous ? On va se baigner.

Samuel me coule un regard interrogateur : je ne l'avais pas prévenu pour le petit ''plus'' des soirées de Sophie, à savoir l'immense piscine chauffée en extérieur.

— Il fait pas genre deux degrés dehors ?

— C'est là tout l'intérêt de la piscine à trente mon frère.

Thibaud part devant, son verre en l'air pour ne pas le renverser, puis disparaît par la grande baie vitrée au fond de la salle.

La main de Samuel courre le long de mon flanc, m'étreint doucement pour attirer mon attention.

— J'ai pas de maillot.

— Moi non plus, je réponds en haussant les épaules. T'as un caleçon non ?

Sans lui laisser le temps de répondre, je fends la foule en le tirant à ma suite, mes doigts enroulés autour de son poignet. La musique hurle, l'ambiance club me fait frisonner : on est loin des soirées à l'ambiance assez crasseuse de Evan, ici c'est plus classieux, on sent les moyens mis derrière chaque paramètres de la soirée. Les gobelets sont de bonne qualité, les enceintes de marque, l'alcool est meilleur.

Autour de la piscine, il y a déjà du monde, mais peu se baignent. La plupart discutent ou dansent, désarticulés, sans se soucier de ce qui se passe autour d'eux.

— Dam !

La voix de Maddy m'interpelle. D'un demi-tour, je me retrouve face à elle mais surtout, face au petit cachet blanc qu'elle tient entre ses doigts.

— C'est de la m...

Sans me laisser le temps de finir, elle me jette le cachet dans la bouche, me recouvre le bas du visage de sa main pour me forcer à avaler.

Il ne faut pas longtemps au cachet pour fondre sur ma langue, malgré tous mes efforts pour le recracher. Lorsqu'elle retire sa main, je fais un pas en avant, fou de rage, le cœur battant à tout rompre. Samuel est sur les dents, la domine de toute sa hauteur, prêt à lui faire connaître sa façon de voir son geste. Je l'ai vu tressaillir lorsque Maddy a enfoncé le cachet dans ma bouche, mais l'action s'est passée si rapidement, si brutalement que ni lui ni moi n'avons pu réagir à temps.

— C'est de la molly... ? je susurre d'une voix blanche.

— Pure, sourit-elle.

Au ralenti, je comprends qu'elle est totalement défoncée. Ses pupilles sont dilatées à leur paroxysme, elle transpire à grosses gouttes, rit bien trop fort. Ma colère redescend d'un cran, replacé par l'angoisse, celle de ne pas savoir de quoi était constitué ce cachet, pourtant si petit, qui a fondu en cinq secondes sous ma langue. La molly – dite MDMA pure – est au final tout sauf saine, et c'est ce qui m'inquiète.

— Putain mais Maddy ça va pas ? s'époumone Samuel. Damian, il vaudrait mieux que tu vomisses non ? Pour l'évacuer ?

— C'est un mythe, l'histoire de régurgiter pour calmer les effets. Bullshit.

Ahuri, mon petit ami m'attrape par les épaules, me force à le regarder en me secouant légèrement.

Je le regarde sans vraiment le voir, les idées en vrac, le cerveau à la dérive.

La dernière fois que j'ai pris de la MD, j'étais enfermé dans une chambre d'hôtel au Mexique, loin de tout. Le souvenir de ces mains qui me forcent à avaler le cachet me prend à la gorge. C'est fou comme, d'uns imple souvenir, peut ressurgir la peur, la vraie, celle qui transperce et secoue de part en part.

— Tu veux que j'appelle Ari ?

Je balaye Samuel du regard, hoche négativement la tête, lui attrape les mains pour les serrer au creux es miennes. Le toucher me rappelle que je ne suis pas là-bas, que je n'y suis plus, que tout ça n'est qu'un souvenir toujours brûlant mais qui fait parti du passé.

Je vis au présent.

— Non. T'es avec moi alors, ça va aller.

— C'est pas la question, imagine tu..

Je le coupe d'un baiser, l'attire à moi pour enrouler mes bras autour de ses épaules dans une étreinte réconfortante. Il n'y a pas de raisons que ça n'aille pas, ça reste de la molly, beaucoup de gens que je connais en prennent lors de soirées. Le problème avec ce petit cachet blanc, c'est l'historique que j'en ai. Le cœur de Samuel tambourine contre le mien, je me raccroche à son corps comme à une bouée de sauvetage. Mes ongles raclent la peau tendre de ses trapèzes, il tressaille.

Les secondes passent, Samuel s'inquiète, je le vois bien. Alors, doucement je commence à défaire la fermeture de sa veste. Il faut lui changer les idées, me changer les idées, oublier ce qui vient de se passer, oublier Maddy et son idée de merde, oublier Hannah, oublier l'instant.

— Piscine ?

— Si jamais ça va pas, tu me le dis, et j'appelle un Uber ok ?

— Sam, relax. Tant qu'on est tous les deux, ça va.

Maddy rit à gorge déployée près de nous. Je me doute que son état ne rassure pas Samuel, mais qu'importe, l'important maintenant, c'est de lui redonne le sourire.

À mes mots, je le vois se crisper, ses dents attrapent l'intérieur de sa joue.

Il n'ajoute cependant rien, se déshabille, pour me suivre jusqu'à la piscine. Thibaud et d'autres y nagent déjà, barbotent en rigolant, dansent dans l'eau sur la musique explosive qui même à travers la baie vitrée, paraît d'une netteté incroyable.

D'un orteil, je teste la température de l'eau, la juge assez bonne pour sauter dedans sans plus de préambule. Samuel me suit, plonge plus gracieusement que je viens de le faire, fait quelques brasses pour me rejoindre.

La piscine de Sophie est incroyable : en plus d'être chauffée, des spots lumineux éclairent l'eau, la rendent d'une délicieuse couleur rouge-orangée, quelque chose de presque irréel. Et surtout, sous la surface est diffusée de la musique, une musique qui malgré l'assourdissement que créé l'eau en temps normal, paraît claire, limpide.

Mes yeux suivent le mouvement de mes jambes sous l'eau, qui s'agitent pour me maintenir à la surface. Samuel est tout proche, je repère ses jambes proche des miennes.

— Tout va bien ? murmure t-il en m'attrapant.

— Oui. Oui t'inquiète pas mi cariño, je te promets que si ça va pas, je te préviens. Tu me fais confiance ?

— Toujours.

Je souris, niche mon nez dans son cou humide, inspire son odeur. Sous la surface, mes jambes se nouent autour de sa taille, afin de ne plus avoir aucun effort à fournir pour me maintenir à flot. Sam est mon pilier, il me supporte.

Thibaud crie, sur ma gauche, boit un verre qu'il jette ensuite à l'extérieur de la piscine, rigole avec d'autres garçons de l'équipe de basket. Sa petite amie, une rousse à l'air abattu par son comportement, nage gracieusement près de lui, joue avec ses doigts.

Samuel nage, tout en me tenant toujours contre lui, jusqu'à e que mon dos heurte le rebord en béton de la piscine. L'eau est si chaude, par rapport à l'air froid qui nous entoure, qui mord nos visages.

— T'as pas froid ?

— Non, je souris contre sa peau. Et toi ?

— Vu comme tu me colles, je risque pas d'avoir froid.

Il rit un peu mais, quelque chose me dérange dans le sentiment enfoui qui émane de ses gloussements. Il y a quelque chose de tout sauf amusé dans son rire, quelque chose de presque... mélancolique. La joie et la mélancolie ne vont pas ensemble d'habitude.

— Sam, tu veux toujours pas me dire ce qui s'est passé avec ta mère ?

— C'est pas le moment, on en parlera plus tard.

— Pourquoi ? On a tout notre temps là.

Ses mains courent le long de mes cuisses, toujours autour de sa taille. Un frisson me remonte du bas du dos jusqu'à la nuque, quelque chose d'assez puissant pour faire frémir mon petit ami, contre moi.

— Sam ?

— Hum ?

Une de mes mains quittent sa nuque pour descendre le long de son torse, de ses flancs, de sa peau si douce sous l'eau, suit la courbe de ses muscles, s'arrête à la hauteur de l'élastique de son caleçon.

À ce geste, il rougit jusqu'aux racines, a un petit sursaut qui m'attendrit.

— Sous l'eau, on ressent comment tu crois ?

Sans lui laisser le temps de répondre, mes doigts se glissent sous le seul morceau de tissu qui garde son intimité invisible à la vue des autres nageurs. Coincé que je suis entre le mur de la piscine et son corps, personne ne peut voir ce que mes mains font, sous l'eau. Personne ne peut se douter du ballet de mes doigts, des frissons de Samuel.

— Dam, qu'est-ce que tu fais... ?

— T'aime pas ?

— Si si, bien sûr que j'aime mais, on est dans une piscine là. Il y a du monde autour et...

Il n'achève pas sa phrase, les dents enfoncées dans sa lèvre inférieure alors que mes doigts viennent d'avoir raison de sa lucidité.

La molly commence à faire effet, le monde tourne un peu mais, ça reste acceptable, agréable même. Le visage de Samuel, face au mien, me paraît si beau, humide et bercé des reflets orangées de l'eau. Ses cheveux lui retombent légèrement sur le front, bouclent naturellement, me rendent fou. La pression de mes doigts s'intensifie, au rythme de l'excitation grandissante de mon petit ami.

— Dami...

— Oui mi amor ?

— Tu vas me rendre dingue, sors ta main de là.

— Pourquoi... ? Savoir que Thibaud et ses potes pourraient voir ton visage tout rouge à n'importe quel moment et comprendre ce qui se passe... ça t'excite pas ?

Il gronde, me presse un peu plus contre le mur froid, roule des hanches contre moi, me force à retirer ma main tant la pression de son bassin se fait forte.

Le pauvre, je suis intimement persuadé qu'il fait tout pour se contenir mais l'évidence est là, il est dur contre mon bas ventre et, dans cette tenue, il ne pourra pas quitter la piscine sans se faire remarquer.

— Je vais te défoncer Daman Cortez, sérieux.

— Quoi ? Pas devant tout le monde Sam enfin... un peu de pudeur.

Un grondement sourd échappe de ses lèvres. Je ris, embrasse son cou, ondule contre lui, m'attire ses foudres et son désir.

Un instant, je réfléchis à la possibilité de le faire là, tout de suite, dans cette piscine presque déserte, avec le risque de se faire surprendre mais...

… lorsque je rouvre les yeux, je suis étendu sur un canapé. Il n'y a plus de musique autour de moi, mais flotte toujours une odeur de cannabis et de bière tiède. Endolori, je déroule mes jambes, m'étire, cherche Samuel des yeux. Il n'est nul part, et à dire vrai, je crois bien être la seule présence dans ce salon.

On est toujours chez Sophie, c'est la seule chose qui me rassure. Je reconnais le grand bar en bois sombre de sa cuisine, ainsi que la multitude de guirlandes lumineuses qui pendent toujours du plafond.

— Sam ?

Ma voix est pâteuse, encore endormie. Lorsque je me redresse, une douleur fulgurante me déchire les reins, le bas du dos. L'arrière de mes cuisses me fait un mal de chien : j'ai l'impression d'avoir été roué de coup au niveau des jambes. Je restreins un gémissement de douleur, bascule le poids de mon corps de façon à me retrouver assis sur le rebord du canapé, avant de me lever dans un effort laborieux.

— Y'a quelqu'un ?

D'un pas peu assuré, je commence à progresser vers la baie vitrée. Les rideaux sont tirés mais j'entends très clairement des voix dehors, et la luminosité derrière le tissu opaque me fait comprendre que si ce n'est pas encore le matin, nous n'en sommes pas loin. Je n'ai pas mon portable sur moi, impossible de savoir l'heure.

Je me rappelle de rien. Du moment où, j'ai chauffé Samuel dans la piscine jusqu'à mon réveil il y a deux minutes, c'est le vide. J'ai déjà fait plusieurs black-out, et c'est un triste constat mais avoir quelques heures de souvenir en moins ne me choque même plus. Ça m'effraie, voilà tout. Il peut se passer tant de choses en quelques heures. Ma tête me lance, un peu comme si un singe mécanique jouait des cymbales derrière mon front. Un rythme lent, profond, et douloureux.

Pam, pam, pam.

Du coin de l’œil, je vois un type endormi au milieu de canettes de bière vides. Il grogne en se retournant dans son sommeil, est secoué d'un pet qui me répugne.

La luminosité du soleil levant me déchire les rétines. Du bras, je m'abrite pour franchir la baie et me retrouver sur la terrasse, au bord de la piscine. Autour d'une table, Sophie et d'autres de mes coéquipiers discutent en buvant un café. Alexandre et Maddy sont avec eux, de même que Samuel. Ils n'ont pas l'air très frais, mais sont de toute évidence réveillés depuis plus longtemps que moi. Ont-ils seulement dormi ?

Au moment même où je franchis la baie vitrée, le regard incisif de Alexandre se braque sur moi, fait ressurgir cette angoisse qui ne me quitte plus depuis son petit manège à l'Arène il y a une semaine.

— V'la la belle au bois dormant, sourit Rebecca. Bien dormi mon lapin ?

Je les regarde, halluciné. Plus personne ne parle, ils me fixent en attendant une réaction, une réponse même, que je suis incapable de leur donner. Et, même si j'avais quelque chose à répondre du genre « Oui, et vous ? », je ne suis pas certain que je perdrais ma précieuse énergie à formuler ces quelques mots.

— Hein ?

— Tu vas mieux ? T'as tourné de l’œil dans la piscine hier soir, m'explique Sophie. Et puis...

Elle n'achève pas sa phrase, la laisse en suspend, et moi je reste suspendu à ses lèvres. Samuel a le regard fuyant, n'ose pas me regarder. À côté de lui, Maddy me fixe, sans aucun signe d'un quelconque regret, sans le moindre remord.

— On va dire que Sophie va devoir faire nettoyer la piscine, ricane Alexandre.

Il rit jaune, ses mots ne l'amusent pas du tout.

Mon corps se fige, mon sang se glace dans mes veines. J'ai pas fait ça ? On a pas fait ça ?

Je force, me concentre pour tenter de renouer les souvenirs les uns avec les autres, passer de bribes à véritables séquences, mais rien n'y fait. Un sourire amusé étire les lèvres de Maddy, et de la glace mon sang vire à la lave.

— Pourquoi tu te marres toi ?

— Qui aurait cru que tu réagissais mal à la molly ? Je veux dire, tu sembles pas être le genre de mec à bader dès qu'il est stone, non ?

Son ton condescendant, supérieur me fait fulminer : comment ose t-elle prendre ça à la légère ? J'aurais pu mal réagir, j'aurais pu très mal réagir, et elle, cette fille que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, elle aurait été dans une merde pas possible. Sans déconner, dans quel monde a t-elle vu que faire prendre de la drogue aux gens sans leur demander leur avis est ''amusant'' ? D'où croit-elle avoir le droit de décider pour nous ?

D'un bon pas je me rapproche d'elle, mais sur mon chemin se dresse son frère, bras croisés sur le torse. Du regard, de toute sa hauteur, il me défie de continuer ma progression. L'angoisse me tenaille le ventre, ce type a le don de me rendre malade par sa simple présence. Ses yeux ne sont pourtant pas assez clairs pour être déstabilisants, il n'a pas de traits trop intimidants, il n'est même pas excessivement baraqué.

C'est sa présence, son aura qui me fragilise.

D'un coup d’œil sur ma droite, je jauge l'état de Samuel, avise le pouce en l'air de Rebecca, n'hésite plus. Les Petrova me sortent par les trous de nez : entre Maddy et son petit coup de pute de hier soir et Alexandre qui au-delà de me mettre mal à l'aise me fout les jetons à chaque fois que je le croise, il est temps que ça cesse, et qu'ils comprennent qui dirige. Il est temps que l'un et l'autre comprennent qu'on ne s'en prend pas à El principe de la sorte.

Avec mon restant de force dans les jambes, je prends de l'élan, et lui inflige un dommage évident à l'entre-jambe. Tandis que mon pied lui broie les parties, il se plie en deux, le souffle coupé, les yeux écarquillés. À son expression, il est clair qu'il ne s'attendait pas à ce que je prenne les choses en main de cette façon.

— Quoi ? Tu devrais être content, toi qui rêvais que j’interagisse avec ta queue.

Mes mots font rire Rebecca, sourire Thibaud.

Les mains à plat sur les genoux, Alexandre reprend son souffle. Autour de la table, personne ne bouge, mis à part Samuel qui sourit d'une oreille à l'autre. Il ose à nouveau me regarder, et je lis dans son regard toute la fierté qu'il a de me voir prendre la situation en main. Son regard me donne de la force, me gargarise.

Le menton en l'air, je me grandis le plus possible pour rejoindre Alexandre, vers qui je me baisse :

— Tu sauras Alex, qu'à force de jouer avec les chatons, on les rend agressifs.

Il souffle un étonnement douloureux, se redresse un minimum pour me dévisager, horrifié.

— Tu...

— Apprends à tes dépends qu'il vaut mieux pas jouer avec le feu, au risque de te brûler. Sam ?

Mon petit ami se redresse, se rapproche de moi, coule un regard à Alexandre, renifle avec dédain. Il attrape ma main, l'étreint doucement au creux des siennes.

— Non mais ça va pas bien Damian ? hurle Maddy.

— Toi je t'ai pas sonné pouffiasse. Et au passage, la prochaine fois que tu souhaites me faire avaler de la molly sans mon consentement, c'est toi qui finira plié en deux. Tu seras pas la première à qui je rappellerai de ne pas s'attaquer à plus fort qu'elle.

— Oh redescend là, tu te prends pour qui ?

D'un revers du pied, j'assène un second et dernier coup derrière le genoux de Alexandre, qui s'étale sur le béton de la terrasse, hors de lui. Il hurle, m'insulte dans un italien que j'imagine mordant.

— Vous pensiez emmerder qui là ? Restez à votre place, ce sera mieux pour tout le monde.

Samuel enroule son bras autour du mien, me rend mon portable, qu'il gardait jusqu'alors dans sa poche, et me guide jusqu'à la sortie, fier comme un coq.

Les cris de Rebecca et Thibaud, dans notre sillage, me réchauffent le cœur : c'est nous qu'ils acclament, et pas les frangins Petrova. Samuel m'attire contre lui, dépose un baiser contre ma tempe, aux anges.

— Je t'aime putain.

— Hum. On rentre comment ?

— J'ai commandé un Uber.

Je hoche silencieusement la tête, avant de lui donner un coup de coude pour attirer son attention :

— On a vraiment niqué dans la piscine ?

— Pour notre défense, Thibaud et sa copine l'ont aussi fait, et elle a été bien plus bruyante que toi.

— T'étais pas genre gentil et innocent à une époque ?

Il hausse les épaules avec légèreté.

— Soledo a le don d'endurcir, si tu vois ce que je veux dire.

Il avise mon air halluciné, avant d'exploser de rire.

— Dam je rigole ! C'était une idée des autres blaireaux de te faire croire ça ! Quand même, tu nous crois capable de faire ça ?

— Alors tu peix m'expliquer pourquoi j'ai les reins en compote ?

Il hausse les épaules.

— Je te dis juste qu'on l'a pas fait dans la piscine, pour le reste…

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