4 - Ariana

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Ariana

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   Je suis furieuse, lorsque Damian relance son quatrième appel. Mon portable caché entre mes jambes, dans les premiers rangs de l'amphithéâtre, je siffle en raccrochant, avant de me lever sans bruit pour rejoindre le couloir, les poings serrés par la frustration.

En plein cours de l'histoire de la presse. Il a plutôt intérêt à ce qu'il s'agisse d'une question de vie ou de mort.

Mes doigts commencent à peine à frapper l'écran que la bouille de mon frère réapparaît déjà, appel entrant.

— J'espère que tu as une bonne raison, je suis en cours Dam.

— Faut que tu viennes au lycée. On a un problème.

Quelques bribes de paroles et une sueur froide plus tard, je pars récupérer mes affaires, direction le lycée. Le trajet n'est pas long, juste le temps de me ronger les ongles jusqu'à la racine et d'appeler Rafaël pour le mettre au courant de la situation. À son seul souffle, je comprends qu'il explosera, une fois notre appel terminé.

— Je te tiens au courant.

— J'arrive, rétorque t-il.

Un attroupement de lycéens stagne devant le portail lorsque j'arrive. Personne ne me prête la moindre attention, perdue que je suis au milieu des volutes de fumée.

Le chemin jusqu'à la vie scolaire me paraît d'une longueur ahurissante. Mes talons claquent sur le carrelage, en rythme avec les battements de mon cœur.

Mon petit frère est adossé au mur près de la vie scolaire, son portable entre les mains, l'expression figée. Nassim est avec lui, visiblement mal à l'aise.

— Où il est ?

— À l'intérieur. Il a pas l'air bien du tout, murmure Damian. Ils veulent pas nous laisser entrer.

— Tu m'étonnes. Raf arrive, il est furieux. Et pas d'inquiétudes mi amor, je vais m'en occuper.

Je le couvre du regard, dépose un baiser contre sa tempe, avant de pousser la porte vitrée, hors de moi.

Je suis dans le carnet de liaison de Samuel, le contact d'urgence. Le lycée aurait dû m'appeler, ça n'aurait pas dû être à Damian de le faire.

— Bonjour, je souris faussement aux surveillants derrière leur bureau. Ariana Cortez, je viens pour Samuel Portgas.

— Il est avec la CPE.

— Je sais. Mon frère m'a prévenu. Son tuteur légal arrive, laissez-moi entrer.

— Comme vous voudrez.

Je siffle, furieuse, et vais pour toquer à la porte de la CPE, le cœur au bord des lèvres.

Ne pas s'emporter.

— Entrez.

Je pousse la porte, fais un pas en avant et presque aussitôt, Samuel se redresse pour venir se réfugier près de moi. Il a les yeux plein de larmes, le teint blafard et les lèvres tremblantes. Plus soucieuse de son état que de la personne qui l'y a mis, je lui caresse la joue en lui souriant, avant d'ébouriffer ses cheveux.

— Tout va bien, je murmure.

— Mademoiselle Cortez, que faites-vous ici ?

Le ton outré de la CPE ne me plaît pas du tout. Elle ne va tout de même pas se la jouer étonnée alors qu'elle vient de commettre l'erreur ? Ses doigts croisés sous son menton et son faux air doux me donne chaud : elle sait qu'elle est en faute, mais elle va tout de même essayer de sauver les meubles.

— Dans le carnet de Samuel, je suis le contact d'urgence.

— Et ?

— Et j'estime que quand la mère d'un de vos élèves débarque dans votre établissement, alors qu'elle n'en a plus la garde et que vous le voyez bien, sa venue met votre élève en souffrance, vous auriez dû m'appeler.

Mes yeux convergent vers la femme assise face à la CPE, son regard brûlant de colère caché derrière une frange mal coupée. Ses mains à plat sur ses cuisses sont crispées. Elle me scrute, m'analyse, le tout sans se départir de son air réprobateur.

Je déteste déjà cette femme.

Samuel se crispe près de moi, ses doigts enroulés autour de mon poignet.

Malgré le fait qu'il soit désormais plus grand que moi, il se raccroche pourtant à ma main avec force, comme s'il craignait de me voir disparaître. Je lui coule un regard apaisant, tente de le rassurer, en vain. Il est totalement paniqué.

— Je peux aller prendre l'air ? quémande t-il, la voix blanche.

— Bien sûr mon chat. Dam et Nassim sont dans le couloir.

Il hoche vigoureusement la tête, et quitte le bureau sous le regard effaré de sa mère.

Je le regarde rejoindre mon frère, avant de revenir à Hannah Portgas, furieuse dans sa chaise.

Rafaël m'a peu parlé d'elle, mais lorsqu'il l'a fait, le portrait qu'il m'en a dépeint ne m'a pas enchanté : toxicomane, alcoolique, instable psychologiquement, abusive, maltraitante – surtout envers Samuel. Je l'ai haïs aux premiers mots que mon petit ami m'a partagé sur elle. Je m'y connais en parents défaillants, et il est clair que Hannah Portgas en fait partie. Comme pour notre situation, le fait que la garde de Samuel ait été accordé à son frère démontre bien d'un problème évident.

— De quel droit..., commence t-elle.

— Que faites-vous ici ?

Ma question abrupte la laisse sans voix. Étonnée – dans le mauvais sens du terme – de mon franc parlé, elle se tasse dans son siège, avant d'interroger la CPE, comme si je ne me trouvais plus dans la pièce.

— Qui est cette jeune femme ?

— … la compagne du tuteur de votre fils.

Je n'en mettrai pas ma main au feu mais, il me semble que la CPE est aussi dépassée que moi. Son air détâché, voir effaré qu'elle affichait lors de mon entrée dans ce bureau, a disparu.

Hannah Portgas repose ses orbes glaciales sur moi, me vrille d'un sale air et alors seulement, on toque à nouveau à la porte.

Rafaël n'attend pas l'autorisation pour entrer, hors de lui.

— Un conseil, gronde t-il, récupère ton sac, et retourne d'où tu viens.

Il me dépasse sans me prêter la moindre attention, et se plante devant sa mère en la menaçant de toute sa hauteur. Elle, arrive encore à jouer la mauvaise surprise, l'étonnement justifié.

— Je te demande pardon Rafaël ?

— Tu m'as très bien compris. Si t'as besoin de fric pur repartir, c'est pas un soucis, je te paye ton allé simple pour où tu veux, mais un conseil d'ami, dégage, et vite.

Hannah est blanche, les yeux écarquillés.

Moi-même étonnée de l'état de mon compagnon, je pose une main que j'espère apaisante sur son épaule, l'étreins doucement.

Je l'ai rarement vu dans un tel état. Deux fois en fait : lors de notre opération sauvetage au Mexique, et lorsqu'à cause de moi, il a faillit perdre son frère pour un centre de détention juvénile. Ses muscles sont tendus, je le vois à travers son tee-shirt près du corps, apparent sous son blouson ouvert.

— J'apprécierai que tu baisses d'un ton.

— Et moi j'apprécierai que tu sois à des milliers de kilomètres mais j'ai un scoop : on a pas toujours ce qu'on veut dans la vie.

Éberluée, je me rapproche un peu plus de Rafaël, accentue ma prise, tente de le canaliser, en vain.

Il est haineux.

— Et vous, de quel droit la laissez-vous parler avec Samuel alors qu'il est spécifié dans son dossier que son seul et unique tuteur, c'est moi ?

— Je ne pensais pas qu'un simple échange...

— On vous demande pas de penser mais de faire au mieux pour vos élèves. Ari, on y va. Et toi, va t-en.

Il se retourne brusquement, fais un pas, lorsque la voix de Hannah le stoppe brutalement.

— J'ai changée Rafaël. Je suis meilleure maintenant. Tu dois me laisser ma chance.

— Va au diable avec ta rédemption à deux balles.

— Rafaël, j'aimerais que tout ça se passe pour le mieux alors, avant de te braquer et de me pourrir comme tu le fais, sache que j'ai engagé des démarches pour récupérer Samuel. Et, il serait préférable pour lui que tu ne rendes pas les choses encore plus difficiles.

Sa déclaration me fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre. L'air se vide de mes poumons en une fraction de seconde, et je constate que Rafaël n'en mène as large non plus.

— Tu peux toujours essayer, grince t-il d'une voix grave.

— S'il vous plaît, pourrait-on garder un minimum de calme dans ce bu...

Hannah s'est relevé, et s'approche de mon compagnon d'une démarche assurée. De sa poche, elle sort une carte d'hôtel que je reconnais comme étant un lieu plutôt prestigieux du deuxième arrondissement. Elle la lui tend, avant de lui adresser un sourire.

— Je comprends que tout cela puisse t'ébranler alors, rejoins-moi plus tard. Je t'ai inscrit mon numéro au dos de la carte.

La CPE nous fixe d'un air totalement ahuri, tandis que je m'empresse de sortir pour rejoindre Damian et Samuel. Hannah est déjà à leur hauteur, ses mains empaumant le visage de son fils, possessive.

— On se voit plus tard mon chéri.

— Je...

Les yeux clairs de Hannah balayent Nassim et Damian. Quelques secondes, elle s'attarde sur mon frère, le scrute, puis se retourne vers moi.

— Votre fils ?

Je reste stupéfaite, le souffle coupé.

— Mon frère, je rétorque sèchement.

— Délicieux. On se voit plus tard.

Damian feule en la regardant s'éloigner, les poings serrés, les yeux débordant d'inquiétude pour Samuel. Moi-même sous e choc de tout ce qui vient de se passer en si peu de temps, je fais un pas en avant, suis devancé par Rafaël qui, plus agité que jamais, attrape son frère au vol pour lui étreindre le bras.

— T'inquiètes pas.

Facile à dire, lorsqu'on transpire soi-même une frayeur croissante de seconde en seconde.

— Ce qu'il faudrait savoir, d'abord, c'est comment elle vous a retrouvé.

La voix de Jay tonne dans la salle à manger. Il est arrivé depuis une demie-heure déjà, alerté par le message ma foi assez flou de son meilleur ami « Gros soucis, ça craint ». Je ne pensais pas Rafaël capable d'une évasion aussi totale sur ledit problème, mais qu'importe. J'imagine que les circonstances font qu'il se permet des petits écarts sur sa rigidité habituelle au niveau de son travail. Il 'na pas fallut longtemps à Jay et Fiona pour rappliquer, agités et inquiets pour mon compagnon.

Nous leur avons donc expliqué la situation, le problème dans son ensemble, sans rentrer dans les détails, avant que Jay ne décrète l'état d'urgence, et aille récupérer son ordinateur de boulot.

— On a pas le droit d'utiliser nos outils pour autre chose que nos missions, a tenté de protester Rafaël.

— On s'en branle. Il s'agit de Sammy mec, et de toi. Je reviens.

Il a donc fait l'aller-retour entre chez nous et le huitième arrondissement, pour revenir plus motivé que jamais à sécuriser la fratrie Portgas.

Dans la cuisine, Fiona, Damian et moi sommes dans le même état que Jay, à la différence près que notre angoisse se traduit par le silence, et non par l'euphorie.

Mon amie tremble un peu en portant sa tasse de thé à ses lèvres, tandis que mon petit frère vient de grimper sur une chaise pour accéder au placard du haut, ceux réservés au matériel de pâtisserie.

— Tu es en train de... ?

— Je vais faire des cookies pour Sam. On a des M&m's ? Sinon je vais aller en prendre en bas à la supérette.

Il extirpe saladier et batteur électrique du placard, les jette sans précaution sur le plan de travail, pour enfin descendre de son perchoir.

Je lui indique distraitement qu'il nous reste de quoi faire ses gâteaux, avant de m'éclipser de a cuisine, pour aller jeter un coup d’œil du côté de Samuel, replié dans sa chambre depuis notre retour du lycée.

De la musique s'élève de derrière sa porte close, du reggae. J'espère qu'il va m'entendre, tandis que je toque à la porte.

— Quoi ?

— Sam, c'est Ari. Je peux entrer ?

Il me grogne une réponse que j'interprète comme positive, avant de pousser la porte.

— C'est Danakil, m'indique t-il en désignant son enceinte du doigt. Tu veux que je coupe ?

— Non non, j'aime bien sa voix. C'est apaisant.

Il acquiesce, toujours allongé sur le dos, en étoile de mer sur son lit. Je me rapproche de lui pour m'asseoir sur le rebord du lit, le laisse se redresser pour se poster près de moi.

Il est tendu, a les doigts crispés sur le tissu du sweat de mon frère avec lequel il joue depuis mon entrée dans sa chambre.

— Ce truc pue, je souris en désignant le sweat. Tu voudrais pas e laver un coup ?

— Tu crois que Danny te laisserait laver monsieur Pou ?

Le lapin en peluche de Danny, monsieur Pou, est d'une puanteur affligeante mais dès lors que je commence à parler de machine à laver, il hure, s'insurge, et va cacher son horreur queque part dans sa chambre.

— … non.

— Voilà. Donc tu laisse mon sweat tranquille.

Il rit un peu en serrant le vêtement contre lui. Nous restons quelques secondes dans un silence presque confortable, lui perdu dans ses pensées, moi perdu dans la contemplation du mur de photo qu'il a construit cliché après cliché en face de moi.

Il y en a tellement, c'est fou. Une bonne quantité mettent en scène mon frère, ou Nassim, avec ou sans Samuel. Quelques photos des jumeaux aussi, et une bonne dizaine de prises plus ou moins avantageuses de Rafaël et moi. L'une d'elle me fait sourire : mon petit ami en équilibre précaire sur un paddle, lors d'une sortie à Annecy l'été dernier. Il avait eu de la chance de capter ce moment car il n'a pas tenu longtemps sur la planche avant de finir à l'eau.

— J'adore ce mur, je souris en m'en approchant.

— Ouais, il est sympa.

Je me retourne vers lui, avise son air piteux, son nez retroussé et sa mâchoire crispée.

— Sam, est-ce que ça va ?

— Si votre mère débarquait à l'improviste pour récupérer la garde de Dam et des jumeaux, ça irait ?

— Touché. Mais très honnêtement mon chat, ne te fais pas de soucis à propos de ça. Raf est sur le coup, Jay aussi, et à part les éliminer et les jeter dans le Rhône, ta mère ne récupérera pas ta garde. Et même si elle se débarrasse d'eux, je serai là. Et Dam aussi.

Il rit un peu, avant de planter ses yeux dans les miens.

— Il est où Dami ?

— En train de préparer une catastrophe culinaire je crois.

Un rire plus franc le secoue de part en part. Désormais debout près de moi, il me dépasse pour me pointer une photo du doigt. Ancienne, elle date d'une des premières fois où il avait dormi chez nous, à Soledo. En avisant mon sourire il la décroche du mur et me la tend afin que je puisse mieux la regarder.

— C'est celle que tu avais encadré ?

— Oui. J'adore cette photo. Elle est simple, mais je l'aime beaucoup.

Je hoche la tête, pouffe en captant l'air idiot de Damian sur ce cliché, et le grand sourire de Sam.

Soledo me manque parfois. Le Soledo d'avant que tout dérape, celui qui sentait bon le soleil et les fiestas. Souvent, je me dis que je ne suis pas légitime de penser ainsi, après tout, c'est Soledo et ses travers qui a faillit nous coûter la vie. Alors, espérer un jour y retourner, ressentir un certain manque en en rêvant, n'est-ce pas plus que discutable ?

— Je vais aller superviser l'activité cuisine, je lance finalement. Tu viens avec moi ?

— Non, merci. J'aimerais rester un peu tranquille ici. C'est pas grave ?

— Mais non ! Tu fais ce que tu veux mon chat ! Par contre, je ne peux pas te promettre que Dam respectera ton besoin de solitude.

Il hoche la tête, un fantôme de sourire sur les lèvres, avant de regagner son lit pour s'y étendre.

De retour dans la cuisine, je constate avec un certain étonnement qu'il n'y a pas de farine au large, pas d’œufs par terre, pas de lait sur les murs. La cuisine est impeccable, et mon frère semble apaisé, en roulant de petites boules de pâtes sur la plaque du four.

— Tu as pris des cours du soir ?

— Non Ari, on appelle ça le talent.

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