1 - Rafaël

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Rafaël

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   Une nouvelle salve de balles frôle mon oreille, accélère le rythme déjà erratique de mon cœur. Le souffle court et profond, je saute derrière un muret, me couvre les oreilles quelques instants. Il faut que je retrouve une concentration, aussi précaire sera t-elle.

Le début de soirée qui m'englobe ne rend pas la tâche facile. Les rues de Naples sont pour la plupart désertes : les coups de feux ont découragés les plus téméraires de sortir de chez eux.

La condensation qui s'échappe de mes lèvres m'hypnotise un moment. Que faire ? Jay et moi étions à des lieux de nous douter que la femme que nous devions intercepter ce soir serait préparée à notre visite. Depuis que nous avons toqué à sa porte, une dizaine d'hommes armés sont à nos trousses et n'auront je pense, aucun remords à nous trouer l'estomac si l'occasion se présente.

Le problème se pose donc ici : échapper à mes assaillants à tout prix, et laisser partir notre cible, ou bien tenter de riposter avec le peu de garantie que j'ai d'en ressortir en un seul morceau.

Je ne peux décemment pas y laisser ma peau, la réunion parents-professeurs de Samuel est dans deux jours. Si je ne m'y rend pas avec Ariana, nul doute que mon petit frère me traquera jusqu'en enfer pour me faire part de sa déception.

Mes yeux balayent mon environnement, je remarque une montée d'escaliers de secours qui semble se prolonger jusqu'au toit de l'immeuble le plus proche. Une fois en hauteur, je pourrais plus aisément fuir par les toits, ou tout simplement avoir une meilleure vue de mes assaillants. Le problème étant que je serais bien sûr plus exposé en agissant de la sorte.

— Jay, je lance dans mon micro, tout bas, je suis encerclé, je vais essayer de les semer par les toits.

— Écoute mon poulet, on est dans la même merde donc... insh allah. En tout cas, quand on aura remis la main sur cette pouffiasse, elle va passer un sale quart d'heure, parole de scoot !

Je souris pour moi en coupant le contact, et bondit en avant, pour entamer ma montée dans les escaliers en métal. À pas de loups, pour rester le plus discret possible, je monte les huit étages avec quelques difficultés : ma première course pour fuir les balles m'a épuisé, et mon cardio n'est clairement pas au meilleur de sa forme.

Comme espéré, je débouche sur le toit, et me hâte de m'y aplatir, mon arme au poings.

Trois types tournent comme des lions en cage à l'endroit où je les ai semés. L'un d'eux porte une arme qui ressemble plus à une arme de guerre qu'à un simple pistolet de défense.

Ma montre connectée vibre à mon poignet, je décroche sans même prendre garde à l'identité de l'appel entrant.

— Salut mon cœur, tout va bien ?

Oh bordel.

— Ari... oui oui et toi ? Je peux te rappeler ?

— J'en ai pas pour longtemps.

Je restreins mon soupir, et me redresse pour me mettre à courir dans la direction opposée à celle de mes assaillants. L'immeuble le plus proche n'est pas loin, il me suffit de sauter par-dessus le maigre espace qui les sépare.

— Voilà, je t'appelle parce qu'il y a un changement de date pour la réunion parents-profs. Elle est avancée à demain, est-ce que ce sera bon pour toi ?

— Je ferai en sorte que ce le soit, je lance en me réceptionnant du mieux que je le peux sur un nouveau toit.

— Qu'est ce que tu fais... ? Je t'entends loin.

— Ma puce, j'essaye de pas me faire trouer comme une passoire, donc c'est pour ça que tu m'entends mal. Ou alors c'est peut-être juste le réseau.

Elle rit à l'autre bout du fil, j'hallucine.

— Ok, ok. Tu aurais dû me le dire ! On se rappelle quand tu as finis ! Fais attention à toi !

Elle raccroche, et je soupire de soulagement.

Ça braille en italien en bas de l'immeuble, et à l'intonation je me doute que ce ne sont pas de joyeux touristes de Naples.

La police centrale de la ville est pourtant censée être sur le coup avec nous. Visiblement, ils devaient être à l'apéritif lors de notre appel, c'est la seule solution pour expliquer leur absence qui pour une fois, me pèse assez. Un petit coup de main serait le bienvenu.

Je me félicite moi-même car quelques secondes après cette pensée dirigée à mes collègues italiens, des sirènes se mettent à retentir sur ma gauche, mais aussi sur ma droite. Ils les encerclent, pour les contraindre à se rendre.

— Nos potes arrivent, sourit Jay dans mon oreillette.

— T'es en sécurité de ton côté ?

— Je viens d'en choper deux : je te les aurai bien passés mais parler me semble un peu ambitieux compte tenu de leur état.

Il coupe l'appel, et doucement, je me rapproche du bord du toit pour aviser un homme seul juste en bas de ce dernier. Son fusil à pompe semble être lourd entre ses bras maigres.

Si je saute sur la devanture du magasin juste en-dessous de moi, il me sera ensuite facile de me réceptionner au sol et de le cueillir.

Je vérifie une dernière fois l'état de mon arme, et prends mon élan pour sauter, les pieds en avant.

   Il est près de seize heures le lendemain, lorsque je pousse la lourde porte en bois sombre de notre appartement lyonnais. Il n'y a pas un bruit à l'intérieur, pas de musique, même pas d'éclats de voix.

Mes chaussures jetées dans l'entrée et ma veste pendue au porte-manteaux, je rejoins la pièce à vivre pour y trouver un Danny concentré au-dessus d'un exercice de mathématiques.

— Salut Raf, me lance t-il sans même lever les yeux de son cahier. Tu as réussi à arrêter les méchants après lesquels tu courais hier soir ?

— Eh bien figure-toi que non. Ma mission est un échec.

Il hoche silencieusement la tête. Lentement, je me rapproche de lui et passe mes doigts dans ses cheveux pour le saluer, avant de hausser un sourcil.

— Ton jumeaux maléfique est pas là ?

— Non. Il est à l'Arène comme d'hab. Et après il s'étonne d'avoir des mauvaises notes.

Je pouffe, lui indique la façon de résoudre son exercice, avant de rejoindre la cuisine pour me faire couler un café. Sur la table est abandonné un mot visiblement griffonné par les différents membres du foyer :

« Je finis à dix-sept heures ce soir, on se retrouve directement au lycée à dix-huit pour la réunion parents-profs. Mikky et Danny, merci de sortir le linge de la machine, je l'ai mise à tourner avant de partir. Dam, n'oublies pas ton carnet de suivi pour ce soir. Sam, tes affaires de sport sont dans le salon sur le fauteuil. Raf, essaye d'être à l'heure, bisous je vous aime – Ariana.

Mikky, Danny, il reste des œufs brouillés et des pancakes que Dam a fait ce matin dans le frigo, pensez à prendre vos clefs, on rentrera pas ce soir avant la réunion – Sam.

Raf, tu pourras penser à prendre l'agenda familial au cas où ? - Damian »

Rien de bien extraordinaire. Le résumé court mais complet de notre journée, des obligations de chacun.

C'est comme ça depuis un an maintenant. La cohabitation fait que, sans un minimum d'organisation, il nous serait impossible de nous en sortir. Comme Ariana jongle entre la fac et le restaurant, et que j'ai de mon côté repris du service auprès de monsieur Trevis, il nous a fallut créer une boucle, quelque chose de certes répétitif mais qui fonctionne. Samuel et Damian, pourtant en première, gèrent à merveille le plus gros des tâches ménagères, tandis que Mikky et Danny se chargent à leur niveau de petites corvées qui allègent bien le restant de la maison. Ils sont en sixième cette année, nous ne pouvions décemment pas louper le cap, ils doivent se concentrer sur leurs études et surtout rattraper le retard qu'ils ont par rapport à leurs petits camarades français de souche.

Je jette un coup d’œil par la fenêtre, avise les gros flocons qui se sont remis à tomber, et soupire : je déteste la neige. Il faisait plutôt beau en Italie, alors, lorsque je suis descendu de l'avion il y a deux heures, le choc a été saisissant.

Dans le salon, la télé s'allume, et j'entends le générique d'un quelconque dessin animé se lancer à plein volume.

Au même moment, la porte d'entrée claque, et Mikky apparaît, le sourire aux lèvres, ébouriffé.

D'un pas tranquille, il me rejoint avant de se précipiter sur le frigo pour en sortir de quoi se faire un sandwich.

— Alors de un, bonjour, je lance en lui attrapant l'épaule. Et de deux, il est dix-sept heures trente.

Le petit se retourne vers moi, et m'offre une œillade désolée assortie d'un rire amusé.

— Salut Raf. Je sors de l'entraînement donc...

— Milk-shake c'est tout. Et c'est pas une proposition.

— Dam a finit tout le pot de protéine.

— Tu prends des protéines ? C'est une blague ?

Il trépigne d'un pied sur l'autre, et finit par capituler en attrapant une brique de jus d'orange.

Je suis au fait que Damian prend des protéines – végétales bien sûr – mais il est hors de question que Miguel l'imite. Des protéines à onze ans, et puis quoi encore ?

Mon portable vibre sur la table, et sur l'écran s'affiche un message de Samuel :

« On part de l'Arène, on aura sûrement un peu de retard » - Samuel.

« Ariana va vous tuer et je ne l'en empêcherai pas. Pourquoi vous partez que maintenant ? » - Rafaël.

« La coach a sermonné Dam, alors... » - Samuel.

Fabuleux, la petite peste va donc être de très bonne humeur.

Dépité, j'attrape ma veste sur le porte-manteau, et quitte l'appartement après avoir salué les jumeaux.

Lorsque j'arrive au lycée, Ariana m'y attend de pied ferme, une cigarette au coin des lèvres, les yeux rivés sur son portable.

Ses longs cheveux bruns sont retenus dans un chignon mal fait, et ses joues d'un rouge glacial me donnent froid pour elle. À chaque expiration s'échappe une condensation tremblante d'entre ses lèvres.

Lorsque je l'interpelle, elle relève à peine le nez mais m'offre un grand sourire avant de venir se nicher dans mon étreinte. Ses bras s'enroulent autour de ma taille dans un geste possessif. Elle me serre contre elle, se réapproprie mes formes, s'y confond.

— Pas de look passoire alors ?

— Hilarant. On peut rentrer, les garçons sont à la bourre.

— Je vais les flinguer je te jure. Je les ai pourtant assez harcelé de messages pour leur rappeler l'heure. C'est Dam ça, à tous les coups. Si seulement les bonnes manières de ton frère pouvaient déteindre sur lui, mais non !

Elle gronde, écrase son mégot sous son talon, et entre à l'intérieur du lycée d'un pas décidé.

Je la suis docilement, et lui attrape le poignet tandis que son pas effréné commence à me distancer. Je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit, et n'ai pas réussi à fermer l’œil dans l'avion alors, j'aimerais qu'elle ralentisse, et surtout qu'elle se détende. Avoir échoué aussi lamentablement pour une mission de classe moyenne me met déjà assez en boule sans que ma petite amie vienne y ajouter son humeur massacrante.

Elle est en pleine périodes de partiels en ce moment, et cela à le don de légèrement la stresser. Cependant, ce n'est pas une raison pour courir de la sorte à travers les couloirs du lycée des garçons.

— Raf ! Raf attendez, on est là !

Je sursaute presque à l'entente du cri désespéré de mon frère. Par-dessus mon épaule, je lui jette un bref regard et lui fais signe d'accélérer pour nous rejoindre. Les joues rouges et les cheveux en bataille, ils ont dû courir pour arriver à temps. Samuel est tout sourire, emmitouflé qu'il est dans son énorme écharpe, tandis que Damian fait la gueule, et a les mains enfoncées dans les poches de son gros sweat noir.

Tableau classique.

Ils nous rejoignent en quelques enjambées, mon frère m'étreint et son petit ami me grogne un « Salut » plus robotique que vraiment intéressé, avant que sa sœur ne s'en mêle.

— Un problème mi amor ?

— Non, rien, grince Damian en roulant des yeux.

— À d'autres. Sam ?

— La coach lui a passé un savon à la fin de l'entraînement.

— Balance.

Samuel ricane, dépose un baiser contre sa tempe, avant que je ne m'ose à interroger Damian sur le pourquoi de son accrochage avec son coach.

— Je mets trop de poids sur ma putain de jambe droite et...

— Langage, siffle Ariana.

— Je mets trop de poids sur ma putain de jambe droite, et ça déstabilise mon connard de porteur qui m'a fait tomber trois fois comme une pauvre merde sur les tapis. Satisfaits ?

Hochement de tête collectif. Ceci explique cela comme on dit. Damian, malgré tout ce qui nous est arrivé, n'est toujours pas le premier à relativiser les petits événements contrariants de la vie de tous les jours. Si sa coach l'a percuté, il va être de mauvaise humeur jusqu'au coucher, si ce n'est pas plus, autant ne pas trop le titiller.

Damian se tortille sur place, mal à l'aise, et sursaute presque lorsqu'un garçon lui donne un coup amical dans l'épaule avant de saluer mon frère.

— Sam, Coco, bon courage. Leclaire est en forme.

— M'appelle pas comme ça ou je te crève les yeux, grogne Damian avec froideur.

— Hum. Essaye toujours mon petit hobbit.

Le gamin ricane, et nous lance à Ariana et moi un large sourire avant de rejoindre son père à quelques pas de lui. Interloqué, j'interroge le petit ami de mon frère d'un regard amusé. Sur les dents, je me doute qu'il serait déjà en train de poursuivre ce gamin si Samuel ne le retenait pas d'une main sur la hanche.

— C'est qui ce petit ?

— Lucas, un pauvre mec de notre classe, marmonne Damian.

— Et il connaît pas ton prénom ?

Un rire mauvais lui échappe.

— Si, bien sûr. Mais selon lui, Coco m'irait mieux.

— Pourquoi Coco ? demande Ariana.

Il nous explique à demi-mot que cet agréable surnom lui vient du film Pixar, mettant en scène un jeune mexicain dans sa quête d'identité familiale. Samuel pouffe, se récolte un coup de coude dans les côtes, tandis que Ariana rigole franchement.

Il faut dire que malgré le fait que nous nous obligions à parler le français jusque dans le cercle familial, les Cortez n'arrivent pas à perdre ce fort accent hispanique qui rend leur diction plutôt amusante à entendre. Un mélange de fort accent espagnol, d'un anglais léger et d'un français débutant, donne une prononciation plutôt détonante.

Je clos l'incident d'un mouvement de la main, et fais signe à ma tribu de reprendre le chemin de la salle 208.

Nous arrivons à peine à destination de notre premier rendez-vous que la professeure principale des garçons nous appelle déjà, deux bulletins scolaires entre les bras.

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