8 novembre 2016

3 minutes de lecture

L’autre jour, Émilie est venue alors que je n’avais pu éviter de prendre mes cachets roses. Elle m’a trouvé entre deux eaux. Bredouillant. Bafouillant. Hésitant. Chancelant au moins pas. Prise de panique, elle a filé voir le personnel. Quand elle a compris ce qui se tramait dans son dos, elle leur a passé un savon… Depuis, plus de pilule rose ! Quelle renaissance ! Comme quoi, même ici le client est roi. Et le client, c’est ma fille, pas moi. Sans elle, j’aurais fini en légume. En tout cas plus vite que prévu…

Cet afflux soudain d’énergie stimule mes érections. Il semble que je tienne la forme, hélas ! Mon sexe s’est même dressé avec Pedro et, confus, je lui ai déclaré ne pas être homosexuel. Il a éclaté de rire.

Émilie désespère. Entendre parler ainsi de son père - âgé qui plus est - lui est insupportable. Cela tend nos relations et au crépuscule de ma vie, je n’en ai aucune envie. Je n’ai pas été un bon père, je le sais. J’ai fait de mon mieux – du moins j’en avais l’impression – mais je ne vois bien tout ce que j’ai raté. J’aurais eu un garçon, ça aurait été bien plus simple… On aurait partagé des passions d’hommes. Un peu de sport, quelques remarques sur les femmes à l’adolescence et la complicité se serait installée. Avec Émilie, je n’ai pas su être à l’écoute. Lors du divorce, elle a du se sentir blessée. J’avais détruit le cocon familial, la marquant irrémédiablement. J’avais agi comme si elle n’était pas concernée, comme si seule une affaire de couple, entre sa mère et moi, se tramait. J’ai été égoïste, en pleine crise de la quarantaine, vivant mes passions, incandescent, alors que, au lycée, elle avait besoin d’une figure paternelle forte et présente pour la soutenir. Je m’étais fait oublier toutes ces années pour mieux revenir l’emmerder en devenant dépendant. Quelle injustice ! Mais il était trop tard pour y changer quoi que ce soit.

En partant, elle m’a soufflé à l’oreille, au prix d’un effort insoutenable :

— Si au moins tu te masturbais, ça arrangerait peut-être les choses…

Et elle s’enfuit, honteuse, essayant d’effacer cet instant de sa mémoire. Son conseil était avisé, j’y avais déjà pensé. Mais les années ont enrayé ma mécanique. Ma seule imagination ne suffit plus à lancer la machine, il me faut du concret. J’ai déjà bien du mal parfois à garder le fil de mes pensées dans cet asile de fous, comment pourrais-je construire une image mentale érotique ? C’est un truc d’adolescent d’imaginer. J’ai vécu, moi, merde ! Et je devrais m’allonger sous la couverture à me tripoter la nouille en espérant qu’aucune infirmière ne fasse irruption dans la chambre ? La nostalgie a ses limites ! Pendant l’armée, nous tentions tous de nous masturber en silence dans les dortoirs. J’essayais de rester éveillé dans mon lit, guettant le souffle lourd de mes camarades. Mais vu le nombre de fois que j’en ai entendus se donner du plaisir, j’imagine que je n’ai pas du être plus discret qu’eux…

Je me rappelle distinctement de la dernière fois où j’ai fait l’amour, comme si c’était hier. Et pourtant, c’était il y a dix ans. J’étais au Vietnam en voyage organisé. C’était, hélas, plein de vieux comme moi. Pire encore, je m’étais aperçu au fil des jours que je leur ressemblais ! Je pestais contre le bruit, la pollution, les odeurs, le manque de sommeil, la chaleur, la moiteur… Tout était prétexte à regretter le confort occidental. Il n’y avait qu’une manie que je n’avais pas : je ne montrais pas de photos de ma famille. Je n’en avais aucune sur moi, ou presque. Seule ma petite-fille Cléo avait grâce à mes yeux. Mais pourquoi l’aurais-je montrée aux autres ? Malgré tout, j’avais sympathisé avec une femme. Rescapée de deux cancers, veuve, elle avait cet optimisme de ceux qui ont survécu aux Enfers. Elle ne se plaignait jamais et sa douceur m’avait séduit. Après l’amour, j’avais été frappé par une dépression post-coïtale foudroyante, et je crois que j’aurais pu crever sans regret. Plus tard, j’ai compris que c’était sûrement la dernière fois que je faisais l’amour.

C’était resté un amour de vacances, comme chez les adolescents. Un beau souvenir malgré tout. Nous n’habitions pas si loin l’un de l’autre, mais qui a envie de reconstruire sa vie si tard ? Pas moi en tout cas ! Pour cela, mon ex-femme m’avait vacciné…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Alexis Garehn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0