22 octobre 2016

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Depuis mon coup d’éclat, mon pilulier s’est garni de cachets de nouvelles couleurs. Lorsque je le avale, on me surveille. Je suis l’agitateur, celui qui est parti en cavale. S’il y avait un mitard ici, j’y passerai des journées entières… Ces calmants ne me font aucun bien. Parfois, j’arrive à ne pas les ingurgiter, mais à quel prix ! Les personnels veulent juste être tranquilles. Éviter que je ne me ballade la nuit ou que je ne m’enfuie encore. Quand je vois certains pensionnaires, l’œil vitreux vissé sur la télévision – voire sur le vide – je me demande quel est le but de tout ça… On est dépendants, d’accord, mais ne mérite-t-on pas une fin de vie plus excitante ? Le risque zéro, ça n’existe pas. Pourquoi nous priver de nos derniers plaisirs ? Pour l’heure, je prends mes cachetons et je fais profil bas. Ceux qui refusent finissent attachés au lit comme des alzheimers.

Ma crise a eu au moins un effet bénéfique : Émilie est revenue me voir. Curieusement, elle était moins en colère que lorsque j’avais mes problèmes de douche. Elle m’a engueulé, bien sûr, puis, après un monologue interminable, elle a fondu en larmes. Je me suis senti autant démuni que responsable face à son état. Je me suis levé difficilement et l’ai prise dans mes bras. Quel réconfort un vieillard pouvait-il apporter à sa fille ? Pourtant, elle se serra contre moi, étouffant des sanglots contre ma poitrine.

Je me suis rappelé mon propre père, dur et fort comme le roc, la posture droite, le menton haut et le poing serré. Le déclin l’avait pourtant frappé, comme moi aujourd’hui. Comment était-ce possible ? Comme la pierre la plus solide, l’érosion l’avait lentement usé jusqu’à ce qu’il n’en reste que poussière.

Un jour, il m’avait demandé de lui lire son courrier, car il ne le pouvait plus. J’avais compris que sa vue n’était pas en cause. À cinquante-cinq ans, je m’étais senti comme un petit garçon. La figure paternelle, ce phare dans la nuit n’était plus. J’étais seul. La gorge nouée, il avait murmuré :

— Tu vois ce que ton père est devenu…

Je n’avais rien répondu. Je n’ai jamais ressenti un aussi grand vide qu’après sa mort. Rien que de l’écrire, mes mains en tremblent. À mon âge, je me sens encore orphelin. Même si je ne suis qu’un poids pour elle, ma fille craint ma mort prochaine. L’absence peut être si destructrice.

Je me suis excusé auprès d’elle, lui promettant de ne plus sortir de la maison de retraite sans autorisation. Elle ne m’a cru qu’à moitié, mais elle m’a embrassé en partant en me disant que j’étais vraiment devenu le vieux con qu’elle imaginait. Pour ça au moins je ne l’avais pas déçue…

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