57. L'interrogatoire (partie 2)

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Les doigts de Jayu se refermèrent sur le poignet de la jeune femme et éloignèrent le briquet de l’oreille de Jongchul. Son prisonnier se détendit aussitôt, cessa de se débattre, comme s’il était un aspirateur qu’on venait de débrancher. Bien que son ventre continuât de monter et de s’abaisser régulièrement et vivement. Un animal blessé. Hyuna se pencha vers l’oreille carbonisée. On aurait dit un morceau de papier journal oublié dans une cheminée.

— Putain, Hyuna ! Essaie au moins de comprendre ce que je te dis. Je veux que tu réfléchisses : est-ce que tu ne crois pas qu’on pourrait partir, tous les deux ?

Jayu la tenait à deux mains, la secouait, avec force. L’image rétinienne, due à la flamme du briquet, qu’elle avait fixée trop longtemps, éclaboussa de rouge la tête de Jayu, qui se déforma, dansa, se tortilla. Son visage tavelé de tâches de feu, Jayu se tendit vers elle, mit une main sur son front :

— Dis, Hyuna ! Tu as pris quelque chose, c’est ça. Hein ? Je te jure, tu es froide. Réponds ! T’as pris quoi ?

Hyuna pensa à une seringue d’héro. Elle en avait beaucoup vues, quand elle habitait chez Lee Baehyun, avec sa mère. Il y en avait toujours qui trainaient chez lui. Sa mère, Minji, devait aimer se droguer à l’héroïne.

— Hyuna ! Parle, tu me fais peur ! Dis-moi quelque chose ! Regarde-moi !

Minji ne prenait pas la peine de ranger les seringues, elle les mettait en hauteur. Dans le salon, parfois, ils baisaient couchés sur le sol, Baehyun couché sur sa mère. Elle avait les jambes écartées.

— Ça va ! Calme-toi ! Je sais ce que je fais. Simplement, il faut que j’interroge Jongchul. Il faut qu’il me dise des trucs. C’est comme ça qu’il faut faire. Crois-moi, il le mérite !

Le sol, chez Baehyun, était un carrelage noir. Sa mère criait des insultes en se faisant baiser. Elle lui tenait les fesses, à deux mains. Elle agitait les jambes en l’air.

— T’es défoncée, Hyuna ! Hein ? C’est évident !

La jeune femme eut l’impression que le petit la retenait avec une force qui la dépassait. Pas avec les bras, mais avec l’attraction de ses yeux. Il la retenait par les ventouses de ses yeux noirs. De petits yeux noirs, inquiets, puissants et déçus.

Baehyun avait joui en s’écroulant sur sa mère. Il lui tenait un sein, il lui mangeait les lèvres. Minji avait ri.

— Hyuna, c’est clair. T’es pas dans ton état normal. J’veux dire, même pas dans ton état normal-défoncé. Ça pourrait être grave.

Jayu lâcha Hyuna.

— Si tu veux pas me dire, je vais trouver tout seul.

Il s’en alla, probablement dans la chambre de Jongchul. Ce qui lui sembla être une fraction de seconde plus tard, il était de retour. Il avait le regard inquiet de celui qui avait tout vu.

— J’avais besoin de ça, dit-elle, sur la défensive. J’avais plus de cocaïne et j’ai besoin d’être invincible, pour nous faire parvenir tous les deux au bout. Je sais ce que je fais. Je vais bien.

Baehyun s’était relevé et Hyuna avait vu le sexe de sa mère, enflé, rougi et poilu. La femme avait reconnu sa fille. Trop défoncée pour avoir honte, elle avait ri.

Jayu tenta de la saisir à nouveau, elle s’échappa. Son bassin rencontra l’angle de la table du salon. Elle poussa un cri, manqua de tomber. Le corps nu et exténué de Jongchul attira son regard. Elle se dirigea droit vers lui. Attrapa les cheveux de l’homme pour tourner son visage de manière à dégager la deuxième oreille, dont elle approcha le briquet.

— On pourra pas aller à l’hôpital… j’espère que ça n’ira pas plus loin. Parce qu’on pourra pas aller à l’hôpital, si ton corps supporte pas.

Baehyun s’était retourné, avait vu la gamine dans l’entrée. Nu, il s’était assis sur le sol et s’était allumé un cigare. Tout en fumant, il l’avait regardée. Hyuna n’avait pas bougé. Son futur beau-père s’était levé, il avait pris l’enfant dans les bras. Il avait imposé de longues caresses dans son dos, des trop longues, trop appuyées. Hyuna avait appelé sa mère ; Minji dormait d’un sommeil artificiel et comateux, sur le sol noir, froid, du salon.

Jayu voulut empêcher Hyuna d’allumer la flamme sous l’oreille de Jongchul, mais elle lui hurla dessus, le repoussa violemment.

— Je vais bien, merde ! Je t’assure : je sais ce que je fais. Ça t’a pas suffi, tout à l’heure. T’as failli nous faire tuer, parce que tu refuses de me faire confiance, de me laisser faire. Je gère ! Je vais épuiser ce gars. Je vais lui faire assez mal pour casser sa volonté. Il parlera. J’ai un plan, Jayu, un plan précis. Ça va marcher ! On va le faire, ce que tu dis : on va partir. Mais, j’ai besoin de tuer Lee Baehyun d’abord. Je peux pas partir et avoir une vie normale s’il est encore en vie…

Elle avait besoin d’aller au bout. Elle avait besoin de l’aide de son Jayu, ne comprenait pas son opposition. C’est vrai, elle avait pris de l’héroïne, mais la dose n’aller pas la tuer. Elle voyait, elle entendait.

Elle faisait encore la différence entre les souvenirs, les hallucinations et le réel. Oui. Elle faisait la différence entre tout ça. Par exemple, Jongchul, c’était du concret. Jayu, pareil. Elle savait pourquoi elle devait faire ça. Elle savait qui était ce Jongchul et ce qu’elle allait lui faire et pourquoi ?

— Si tu veux pas aller au bout, disait-elle à Jayu. Si tu veux pas m’aider, t’as qu’à me tuer tout de suite. Si tu m’aimes vraiment, tu n’as pas le choix, il faut être avec moi, de mon côté… c’est tout, ou alors me tuer. Tu veux me tuer ?

— Hyuna.

Le gamin attrapa sa main, qui tenait le briquet, l’écarta de l’oreille de Jongchul. Força, encore une fois, Hyuna à le regarder droit dans les yeux. Elle était saisie par ses yeux. Ils étaient maquillés et ils avaient pleuré. Il n’y avait que les yeux du petit pour lui faire cet effet-là. Elle ne pouvait plus se détacher d’eux.

Baehyun avait fini par la lâcher. Elle était toute petite dans ses bras. Il sentait fort, plus fort que l’odeur dérangeante du cigare. « Je possède tout ce que je veux posséder. Si le hasard veut bien, je possède tout ce que je veux posséder. », puis, il l’avait embrassée sur la bouche. Pour la première fois, elle avait eu cette saleté de goût de tabac froid qui se mélangeait à sa salive. Elle avait eu envie de vomir. Maintenant, encore. La nausée.

Jayu serrait son poignet comme si sa vie en dépendait. Il lui coupait la circulation dans la main. Il lui faisait mal.

— Tu es sûre que ça va aller ?

— Ça ira, j’ai besoin d’aller au bout.

Le garçon la lâcha à contre-cœur. Il alla se coller à un mur. Il glissa, s’écroula sur le sol, mit la tête dans ses mains. Alors que les chants d’oiseaux reprenaient dans la tête de Hyuna.

Elle retourna vers Jongchul, alluma de nouveau la flamme du briquet sous l’oreille saine, celle qui était encore rose, celle qui avait encore les formes délicates et circonvolues d’un pavillon.

L’interrogatoire de l’homme muet put reprendre. Le corps de Jongchul s’anima. Poisson hors de l’eau. La jeune fille attendit qu’il ne reste rien de cette oreille non plus. Puis, elle alla chercher une bouteille d’alcool fort, une vodka, dans le bar. Elle trouva facilement. Au goulot elle but une gorgée. La vodka lui brula la gorge.

— T’en veux, Jayu ?

— Non, merci… non, attends !

Il s’arracha du sol. La gravité avait l’air de lui peser plus que d’habitude. Il attrapa la bouteille et la renversa la bouteille au-dessus de sa bouche. Il but plusieurs gorgées à la suite, avant de la rendre à Hyuna.

La jeune femme arrosa le prisonnier avec l’alcool, jambes, sexe, torse, jusqu’au cou. Jongchul grogna.

— Tu débloques ! Hyuna !

— Éloigne-toi !

— Ça pourrait mettre le feu à la baraque !

Il voulut l’en empêcher. Trop tard.

Le briquet craqua et une flamme bleue fit reculer Jayu, comme Hyuna. Le feu devint rouge, puis disparut. L’illumination n’avait duré qu’une vingtaine de secondes, mais la peau de Jongchul était devenue rose et luisante, comme une saucisse crue. Hyuna vida le reste de la bouteille de Vodka sur le visage de l’homme. Ses yeux exprimèrent terreur et haine. Elle avait le briquet dans les doigts.

— Je veux que tu me dises comment surprendre Lee Baehyun, ordonna-t-elle. Je veux savoir comment buter ton patron. Comment tu ferais, toi, si tu voulais le buter ?

D’un geste brutal, la jeune femme arracha le bâillon. La voix de Jongchul se fit tout de suite entendre.

— Il me tuera… s’il apprend que je vous ai parlé.

— C’est vrai. Mais tu n’as rien à craindre de lui. Je te tuerais avant. Ce qui se joue là, c’est simplement le temps que ça va prendre.

L’homme ferma les yeux, le visage tendu. Quand il les rouvrit enfin, Hyuna tenait dans une main son arme à feu et dans l’autre le briquet qui crachait déjà gaz et incendie.

— Main droite ou main gauche ? Fais ton choix.

En fixant la flamme, Jongchul passa aux aveux :

— Il y a un passage. Un passage qui permet d’entrer dans la chambre personnelle de M. Lee, mais…

— Quoi ?

— Il faut l’ouvrir de l’intérieur.

Hyuna sut que sa chaise venait d’acquérir son quatrième pied. Elle rendit le briquet à Jayu. Le Canik Shark se posa sur le front de Jang Jongchul. Il regarda Hyuna droit dans les yeux, pour lui dire, avant la fin.

— À tout de suite.

Jayu mit les mains sur ses oreilles et ferma les yeux. Hyuna, elle, garda les yeux bien ouverts. Elle n’avait jamais tué personne. Elle avait toujours craint de ne pas avoir suffisamment de volonté quand viendrait le moment de prendre la vie. En réalité, cela fut très facile : dans les yeux du criminel, le feu de la haine disparut, à la suite d’un mouvement de doigt.

Facile, vraiment facile.

Et Lee Baehyun serait le suivant.

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