53. Deux jeunes filles en détresse (partie 1)

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Le portail s’ouvrit pour les laisser entrer et leurs pas firent crisser les graviers. Il ne pleuvait plus du tout. Jang Jongchul tenait la porte d’une main et gardait son bras droit dissimulé derrière son dos. Inutile d’être devin pour comprendre ce qu’il y cachait. Seul le modèle de l’arme à feu restait une inconnue.

Jayu n’avait pas forcément imaginé que le mystérieux béguin de Hyuna puisse être un détenteur d’arme. Quel genre de profession exerçait-il ?

Une autre question, presque tout aussi importante, vint le démanger : pourquoi cet homme n’avait-il pas pris le temps d’enfiler un t-shirt ?

Un frisson de jalousie le parcourut en constatant que Jongchul avait exactement le même torse que le mannequin qui faisait les publicités de sa salle de sport.

M. Jang avait dû enfiler précipitamment un pantalon, car il était sans doute le genre d’hommes à dormir nu, un fantasme féminin jusque dans les draps de ses nuits. L’idée pernicieuse que Hyuna avait déjà, peut-être, était tenue contre ce torse, peau nue contre peau nue, le traversa.

Les yeux ensommeillés de l’hôte reconnurent Hyuna et son expression de méfiance s’envola aussitôt. Il eut le temps de dire un prénom : « Hyojin » et elle se jeta dans ses bras. Jayu vit le pistolet se positionner sans menace dans le dos de sa protectrice.

Il fronça les sourcils : Hyojin ? Il secoua la tête… Ce n’était pas une surprise. Hyuna portait tout le temps des fausses identités quand elle travaillait. L’étreinte entre les deux jeunes gens dura trop longtemps à son goût. L’homme passa sa main libre dans la chevelure de la brune, comme s’il cherchait à la rassurer. Il jeta ensuite un coup d’œil à Jayu, qui tenait dans ses bras une cage à oiseaux, et il demanda, doucement, tendrement même :

— Hyojin, que faites-vous ici ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous êtes blessé ? Vous saignez ? Venez, entrez.

Hyuna se ratatina, elle sembla sur le point de pleurer et Jongchul l’aida à aller jusque dans son salon.

L’intérieur de la maison de Jongchul paraissait d’autant plus grand qu’il n’y avait que très peu de meubles. Il ne devait pas passer beaucoup de temps chez lui. On aurait pu croire qu’il s’agissait une maison témoin : tout y était trop bien rangé. Trois livres se disputaient une étagère entière et rien sur la table basse, avant que Jongchul n’y dépose son arme. Malgré l’absence d’âme de cette maison, un effort avait été fourni pour la décorer. Il y avait des photographies d’art, en noir et blanc, des sculptures de bronze et des orchidées grimpantes. Jayu ne comprenait pas l’intérêt de ces embellissements. En effet, cela lui parut aussi absurde que si on avait tenté d’enjoliver un cadavre.

Jongchul aida Hyuna à s’assoir sur le canapé et elle appuya ses coudes sur ses genoux pour ensuite enfouir son visage dans ses mains. Jayu vit que des larmes coulaient sur son visage et Jongchul s’accroupit devant elle, tout à elle. C’était tout juste s’il avait remarqué la présence de Jayu, dans son déguisement d’insignifiante adolescente.

— Hyojin, Hyojin. Ma belle, que s’est-il passé ? Dites-moi tout ?

— Je suis venue vous voir, tout de suite. Je ne savais pas qui aller voir… il n’y a pas d’hommes dans ma famille. Ma mère est malade… je ne voyais que vous…

Hyuna découvrit ses yeux, le jaune de ses iris vacillait sous une pellicule d’eau salée. Elle fixa Jongchul qui attrapa ses mains dans les siennes.

— Vous avez bien fait de venir me voir. Je suis là. Dites-moi seulement ce qui se passe et je ferai tout mon possible pour vous aider, je le jure.

Hyuna serra à son tour les doigts qui la protégeaient, une lueur de reconnaissance dans le regard. Jayu toussa, le couple n’esquissa aucun geste dans sa direction.

— J’ai eu tellement de chance de vous rencontrer. Je ne sais pas ce que je ferais sans vous. Je me sens si seule… Tout le temps. J’ai besoin d’avoir une personne proche de moi en qui je puisse avoir confiance. Ce qui s’est passé me le fait comprendre. Ce n’est plus possible de vivre seule. Il me faut un homme pour veiller sur moi. Un homme prévenant envers les femmes…

Jayu eut un rire sans joie. Ce signe de condescendance lui avait échappé sans préméditation. Cette fois, ils se retournèrent vers lui, semblant enfin remarquer sa présence. Ils l’interrogèrent du regard afin de connaitre la raison de son étrange hilarité.

— Prévenant ! répéta-t-il. Prévenant envers les femmes ! Avec toi, peut-être… S’il était vraiment prévenant envers les femmes, il se serait inquiété de mon état aussi. Je suis blessé aussi… Est-ce qu’il m’a proposé de m’assoir ?

Hyuna ouvrit la bouche comme si elle voyait un nain de jardin faire du trampoline, alors que Jongchul passait rapidement de la surprise à l’embarras.

— Pardon, excuse-moi. Tu es blessée ? Assieds-toi, assieds-toi, je t’en prie.

Jayu remarqua immédiatement que Jongchul s’adressait à lui en langage informel. Il n’y avait qu’avec les enfants qu’on se permettait d’employer ce ton lors d’une première rencontre. Il déposa la cage et son volatile à côté de la table basse. Il rejoignit Hyuna sur le canapé, pour immédiatement se coller à elle. Il abusa de son rôle de petite fille pour oser passer son bras dans le dos de la jeune femme et se blottir un peu contre elle. Sèchement, il dit à Jongchul, qui s’était redressé :

— Je ne suis pas une gamine, vous savez ! J’ai déjà seize ans.

Là, Jayu croisa le regard de Hyuna, il semblait dire : « À quoi tu joues ! Tais-toi et laisse-moi parler ! ».

L’hôte baissa les yeux devant cette remarque soulignant son erreur de langage. Plus Jayu regardait ce mec, plus il se rendait compte que la force de sa musculature semblait aller de pair avec une grande faiblesse de caractère.

— Excusez-moi, dit le petit ami de Hyuna.

Comment Hyuna avait-elle pu se laisser séduire par un homme suffisamment faible pour s’excuser devant une petite fille qui le sermonne ? Elle méritait mieux.

— Je… je vais préparer du thé. Je reviens tout de suite. Ensuite, vous me direz qui vous a fait ça.

En partant, Jongchul n’oublia pas d’emporter son arme. Elle ne ressemblait pas à celle de Hyuna, bien plus imposante et lourde. Ce Jongchul avait tout de même d’étranges possessions pour un homme qui se laissait remettre à sa place par une gamine. L’hôte se redressa, s’adressa à Hyuna :

— Je reviens tout de suite, ma belle.

Il traversa le salon sans âme et ouvrit une porte coulissante, qui se trouvait en face du canapé. La dernière chose que Jayu vit au moment où la silhouette de l’homme disparaissait, fut le dessin de ses omoplates. Il se mit à crier :

— N’oubliez pas de vous habiller aussi !

À l’instant où Jongchul fit claquer la porte, Hyuna se tourna vers Jayu et lui serra le bras assez fort pour le contusionner. Ses yeux jetèrent des éclairs et elle chuchota :

— À quoi tu joues, putain !?

— C’est toi ! répondit Jayu sur le même ton de murmure. Toi, à quoi tu joues ? Qu’est-ce qu’on fout là ? Ton bellâtre, là ! Je le sens pas. C’est quoi ce type ? Pourquoi il est armé ? La façon dont tu lui parles… Depuis quand tu as besoin d’un homme pour veiller sur toi ? Depuis quand tu vis seule ? Tu as raconté à ce type que tu vivais seule ?

Le garçon, en s’écoutant parler, se rendit compte que chuchoter n’empêchait pas le ton d’une conversation de monter.

— Jayu, calme-toi ! Calme-toi et laisse-moi gérer. J’ai un plan avec ce mec.

— Mais tu vis avec moi, Hyuna ! Avec moi.

— … Je sais, mais ce que j’essaie de te dire, c’est que c’est plus compliqué que ça en a l’air…

— Quoi ? Qu’est-ce qui est compliqué ? Dis-moi !

— Je n’ai pas le temps de t’expliquer… est-ce que tu ne peux pas juste me faire confiance et me laisser parler à Jongchul ?

— Non, trancha Jayu. Non, je ne peux pas rester là à t’écouter draguer un minable sans rien faire. Je ne comprends pas pourquoi tu me fais ça. Je… je te rappelle qu’on s’est embrassé tout à l’heure, non ? Je n’ai pas rêvé ? Je m’en souviens mal, mais je crois que c’était réel ! Je ne peux pas rester là à te regarder lui prendre la main, lui dire que tu veux vivre avec lui… Je ne peux pas… Parce que je t’aime.

Jayu s’interrompit. Il avait dit : « je t’aime », ça lui avait échappé. Oh ! Ce n’était pas la première fois. Il lui avait dit plusieurs fois : « je t’aime », des « je t’aime, noona », des « je t’aime » de petit frère, des déclarations faibles en comparaison de ce qu’il venait de laisser échapper. Et à présent, il regardait Hyuna. Elle n’avait pas lâché son bras. Elle cligna des yeux plusieurs fois. Une gêne sembla s’installer entre eux.

— Je ne voulais pas te le dire de cette manière, regretta l’adolescent. Je voulais attendre un jour spécial, heureux, certainement pas aujourd’hui.

Peut-être bien la journée la plus pénible de sa vie, à bien y réfléchir. En tout cas, la plus pénible depuis qu’il avait rencontré Hyuna.

— Mais c’est dit… Voilà, maintenant tu sais. Tu connais mes sentiments. Si tu préfères vraiment ce mec… je n’y pourrais rien, mais ne me demande pas de regarder sans rien faire, parce que…

— Je n’aime pas Jongchul, je ne ressens rien pour cet homme.

Était-ce ses oreilles ou le ton si bas de Hyuna qui lui jouaient des tours ? Avait-il bien entendu ?

— Je ne comprends pas.

— Jongchul est un membre du Jusawi. Je fais semblant d’être intéressée par lui, parce que je voulais qu’il me donne des renseignements sur Baehyun. Je pourrais peut-être tuer Baehyun si je parviens à le convaincre de m’amener à lui. Je cherche un tremblement, Jayu ! Jongchul a peut-être des informations ou des moyens particuliers pour atteindre Baehyun. L’information qui me permettra de venger ma mère. Jongchul connait bien son patron, très bien ! Tout ça, c’est du cinéma, Jayu ! Je pensais que tu comprendrais. Est-ce que tu vas te calmer, maintenant, et me laisser gérer ?

La brune se redressa, elle fixa la porte par laquelle Jongchul était sorti : toujours close, heureusement.

— Est-ce que ça veut dire que tu n’as jamais aimé cet homme ?

Jayu pensa à tous les messages qu’il avait surpris entre eux, toute la souffrance qu’il avait eue à savoir que Hyuna flirtait avec un autre homme. Alors. Tout cela avait été totalement absurde.

— Je n’aimerais jamais un gangster, affirma Hyuna, encore moins un membre du Jusawi. Je hais ce type, Jayu. Je le hais.

Elle venait à peine de prononcer ce dernier mot, qu’une voix grave les fit sursauter et se retourner tous les deux, comme une seule personne.

— Mettez vos mains derrière vos têtes !

Derrière le canapé, Jongchul les menaçait. Il était assez près pour avoir tout entendu. Un t-shirt noir, bien repassé, recouvrait son torse auparavant nu. Comme promis, il apporté un plateau à thé, posé sur le sol à ses pieds. Il brandissait une arme en direction de la tête de Hyuna. Ses traits affichaient une expression grave.

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