49. L'agression (partie 2)

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Le garçon tenta d’appeler, encore, avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’il ne se laisse gagner par cette irrésistible envie de lâcher prise :

— Au sec...

Un torchon vint le bâillonner. Impossible d’émettre un cri digne de ce nom, seulement des miaulements plaintifs et étouffés. Au travers de l’isolation phonique efficace de cet hôtel, on ne l’entendrait jamais.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Luka appuya ses doigts sur les yeux de Jayu et frotta le maquillage qui vint colorer la surface de son pouce.

— Et ça ?

Cette fois, c’était sa jupe qui subissait son mépris. Le géant soupira et approcha son nez de ses cheveux. Jayu parvint à dégager l’un de ses bras et gifla Luka. Le coup faiblard n’avait pas fait grand mal, mais Luka riposta en attrapant de nouveau son cou qu’il serra à deux mains. Il maintint la position jusqu’à ce que Jayu ne puisse plus se défendre, que ses bras tombent le long de son corps, comme deux membres morts. Il était à moitié inconscient lorsque Luka se pencha à nouveau pour renifler ses cheveux.

— Ça sent le propre. Il sera inutile de te doucher.

Luka prit du recul.

— Tu as si peu changé.

Il saisit son visage, le tourna pour observer différents angles.

— Tu es remarquable. Tu le sais ?

Le besoin de frapper passa subrepticement dans la tête comateuse de Jayu. Mais lorsqu’il agita ses bras, ses gestes malhabiles se déroulèrent dans un ralenti désastreux et inoffensif. Quel mouvement insignifiant. Pourquoi devait-il bouger, déjà ? La drogue lui donnait l’impression d’avoir des trous de mémoire à répétition : il pensait, il oubliait... Il avait conscience d’une pensée quelques instants, une idée pourtant essentielle, puis, il ne parvenait plus à la concrétiser. L’impuissance dans laquelle il sombrait avec de plus en plus aurait dû le terrifier, mais même ça, ça lui paraissait absurde. Il entendit indistinctement :

— Je t’ai retrouvé parce que tu fais trop parler de toi... Jayu. Beaucoup trop. Je ne savais même pas ton nom. Je ne m’intéresse pas trop aux putes, normalement. Quand j’ai entendu, pour ici… le joli enfant du Taejogung, je ne pensais pas que ce serait toi… Mais à force, tous ces compliments… Il fallait que je voie de mes propres yeux. Et c’était toi...

Le nez de Luka, ses lèvres passèrent sur son visage, comme si son agresseur tentait de savourer sa beauté avec tous ses sens. Jayu souleva ses mains, repoussa ce visage, mais sans la force nécessaire. Luka se saisit de ses bras avec toute la simplicité du monde et tira un nouveau lien de tissu de sa poche.

Après lui avoir lié les mains, l’agresseur délivra le garçon de son poids. Jayu songea à se redresser, il ne parvint même pas à se mettre sur le côté. Il n’avait aucun contrôle sur son corps, c’était comme être paralysé, avec de surcroit la sensation de n’être qu’à moitié dans la réalité. L’état dans lequel il se trouvait lui faisait penser à ces quelques secondes qui suivent le réveil, au petit matin. Il percevait, vaguement. Il entendait, mollement, et oubliait une seconde plus tard. Il n’arrivait plus à assembler les pièces du puzzle de sa perception. Son esprit combatif tentait pourtant de leur donner du sens. En vain. Il aurait été si simple de se laisser glisser dans ce vortex que la chose avait créé, pour sombrer dans ce néant. Mais cette simplicité signifiait mourir. Jayu le savait.

Luka éteignit les lumières. L’extérieur, la ville, apportait toutefois une clarté diffuse. Il entendit Luka ouvrir les placards de la salle de bain, faire couler de l’eau. Réunir toutes ses forces. Bouger. Sa volonté lui permit de se mettre sur le côté, mais déjà, le monstre revenait pour le tourner sur le dos et s’assoir lourdement sur son bassin.

— Au secours.

Mais ce n’était qu’un chuchotement. De l’humidité, sur son visage. On passait un coton humide sur ses yeux, sur ses lèvres, ses joues. Il secoua la tête, comme si rendre plus difficile ce travail de démaquillage pouvait lui faire gagner un peu de temps.

Dans ce cauchemar, il avait du mal à penser et quand une pensée surgissait, la plupart du temps :

« Je vais mourir »

« Je vais souffrir et je vais mourir »

Il voulut lever les bras, frapper. Il restait amorphe. Sa léthargie devenait sévère.

Luka le retourna, le mit sur le ventre.

— Non, maugréa Jayu, non.

Sa voix était si faible qu’il ne sut pas s’il avait réellement prononcé des sons. Ses lèvres tout comme ses bras, il n’en avait plus les commandes. Il devenait canoéiste sans pagaie, dévalant les rapides, à la merci de la violence des secousses. Il se voyait partir, ne pouvant qu’attendre que son corps se fracasse contre les rochers.

On tira sur sa chemise de femme. Les dents du couteau de Luka ne tardèrent pas à s’attaquer à la fibre du tissu. Elle se déchira et l’on entendit le son caractéristique des fils qui craquent un à un. Jayu n’avait qu’une vague perception de tout ça. La chemise s’éventra en découvrant la carnation du dos de l’adolescent. On écartait les lambeaux de tissus. Tout fut dévoilé, du bas de la nuque à la chute de reins.

Sans le réconfort du textile, Jayu frissonna de froid et de peur. L’air glacial lui brula la peau. Puis ce furent les doigts du tueur qui le firent frissonner. Ils parcoururent les courbes de ses muscles dorsaux. Un effleurement qui le congelait. C’était une sensation de froid intense qui semblait venir de l’intérieur et non de l’extérieur.

Puis, Luka se leva, tira sur sa jupe, puis sur le sous-vêtement. Malgré la drogue, Jayu voulut serrer les jambes, remonter ses genoux. Mais ce fut très simple de s’opposer à sa résistance. Il était si affaibli.

Totalement déshabillé. La main de Luka se posa à l’intérieur de sa cuisse, elle remonta lentement jusqu’à une zone située entre son anus et ses testicules, où l’agresseur s’amusa à le caresser, sans tendresse, des gestes qui s’apparentaient davantage à des attouchements, qui n’épargnaient rien. Devenir l’objet de l’autre.

Luka attrapa ses cheveux pour mettre sa tête de profil, la joue droite écrasée contre le matelas et la gauche à la merci de la lame de son couteau. D’où venait cette arme ? Il l’ignorait, probablement sortie à un moment qui avait échappé à sa perception fragmentée. La lame s’approcha de son visage.

On y était. Jusqu’à quel point cette drogue dans ses veines serait-elle capable d’étouffer sa souffrance ? Il allait se faire saigner, découper comme un morceau de viande. Jayu se débattit contre ses liens, avec autant de forces qu’il lui était permis. Il tenta de se retourner.

Luka repoussa une mèche de cheveux pour dégager son front et son œil. Jayu put fixer son agresseur, il ne souriait pas, visiblement tourmenté.

Lorsque le métal de la lame vint lécher sa joue, la peur passa par-dessus l’anesthésie chimique, son cœur battit contre son thorax. Le métal s’imprima sur sa joue, appuyant sans blesser. Luka jouait, il prenait son temps. Il fit glisser son couteau du côté lisse, celui qui ne le mutilerait pas. Mais l’intention était claire, Luka montrait où il allait transpercer les chairs. De la base du cuir chevelu, il comptait descendre jusqu’au sourcil, puis passer sur l’œil gauche, la joue, l’os de la mâchoire. Il ne sera pas question d’atteindre des organes vitaux trop tôt.

Alors que Jayu craignait pour son visage, le couteau s’éloigna de cette zone et glissa dans son cou. Impossible, pas aussi vite.

En effet, la lame descendit plus bas. Luka lâcha ses cheveux et Jayu enfouit aussitôt son visage dans la masse molle du lit, comme pour le protéger et le dissimuler. L’arme menaçait, à présent, le haut du dos, non loin de la colonne, sur son côté droit, dans cette partie du corps où le muscle est épais.

Ensuite, Luka arrêta de jouer et tout le dos du garçon se contracta lorsque le couteau entailla sa peau. Les dents mordirent ses chairs. La lame fit plusieurs va-et-vient pour le découper, comme on le fait avec un steak.

Puis, à la manière d’un scalpel, la pointe s’immisça sous la peau, la sépara de son socle. Terriblement sensible. Lorsque Luka tira sur la « languette » pour l’écorcher, un arc électrique le fit souffrir vivement, sur tout le côté droit. Jayu poussa un cri long et fort, malgré la sédation. Pas un cri de peur. La peur est un sentiment lié à l’anticipation. Ici, c’était dans le présent que la souffrance s’exerçait, et elle était intense.

Luka entraina le derme par à-coups, de la façon la plus lente et la plus brutale possible. Le tueur savait exactement quoi faire pour lui faire mal.

Insoutenable. Le dos crampa. Les orteils se tordirent. Le cri s’éleva, continu et bestial, étouffé par le bâillon. Le marceau de peau arraché à son hôte céda complètement et les cris de Jayu s’arrêtèrent aussitôt, remplacé par une respiration erratique. Il avait retenu sa respiration tout le temps de cette torture. Les larmes avaient baigné le drap et il respira fortement. Son souffle choqué, traumatisé, séchait la salive qu’il laissait sur le bâillon. Ses muscles tremblèrent. Il n’y avait pas de mots pour décrire une telle souffrance. Il fallait la vivre pour la croire possible. La peur que cela reprenne le noya.

Il se débattit inutilement en percevant que Luka se penchait pour poursuivre le découpage de son dos vers l’aval, là où la couche de muscle s’affinait. Il incisa dans le sens de la longueur, toujours avec le même mouvement de va-et-vient. Il ne tarda pas à arracher un nouveau fragment de peau et de chair et Jayu recommença à danser. Ses dents, sur leur bâillon, mordirent avec véhémence, jusqu’à ce que la douleur le fasse sombrer dans l’inconscience, contre laquelle il avait lutté si longtemps.

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