37. Un gars qui se maquille (partie 1)

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Jayu poussait des cris de plus en plus fort. Il fallait toujours hurler à pleins poumons. Il fallait convaincre le client à genoux, derrière lui, qu’il était en train de prendre du plaisir, un vrai plaisir. Le gamin se cramponna aux draps et ses gémissements montèrent dans les aigus. Le client avait demandé une girl. Jayu devait donc crier comme une gamine. Il sentit que ça plaisait. Cela pourrait bien le faire venir plus vite. Alors, le ladyboy insista, remua son arrière-train. Il garda bien le visage contre le lit. L’homme ne voulait surement pas voir son visage à cet instant précis. C’était son cul qui l’intéressait, alors, Jayu l’exhibait. Il se cambra en avant, jusqu’à déposer son torse contre le matelas, son bassin remonta.

L’homme exulta finalement. Le prostitué fut le premier à s’effondrer sur le lit avec un soupir d’aise feinte. Il afficha un très léger sourire en se tournant vers le client qui avait basculé, à son tour, près de lui. Parfois, les clients voulaient rester un peu contre lui, pour profiter de sa douceur après le sexe. Pas celui-ci. Il se leva et retira le préservatif usagé de son membre ramolli. Quelques minutes plus tard, il s’était rhabillé. Jayu roula sur le lit, encore nu. Il finit sa roulade sur le ventre, puis laissa ses pieds battre l’air. Il fit papillonner ses grands yeux noir et bridés, soulignés de khôl.

— C’était pas bien !

Il fit comme s’il avait de la peine. Le personnage de gamine qu’il s’était créé était même capable de pleurer, s’il le fallait.

— Si, si si, c’était bien.

Jayu n’insista pas. Il lui sembla que le client reviendrait. Il s’assit sur le bord du lit. L’homme sortit sans lui en dire davantage.

Très peu de temps après, la porte se rouvrit. Jayu mit ses mains devant son sexe, puis reconnut Narae.

— Vous pourriez frapper, reprocha-t-il.

— Hyuna est là, lui apprit-elle. Elle veut te voir. Elle dit qu’elle a payé pour t’avoir plus tôt. Un cadeau d’anniversaire, je crois. Ton travail est terminé pour ce soir.

L’adolescent poussa un cri de joie. Il enfila les vêtements qui se trouvait près du lit et sortit en courant dans le couloir. Sans précaution, il ouvrit la chambre 22. Dans l’espace qui se trouvait plongé dans l’obscurité, un gros monsieur s’agitait au-dessus d’Oxana, ce qui n’empêcha pas Jayu de crier :

— Elle s’en est souvenue ! Tu vois ! Mauvaise langue !

La tête du type et celle d’Oxana se tournèrent vers l’importun, mais n’eurent pas le temps de répliquer. Jayu avait déjà fait claquer la porte.

En se retournant, il tomba face à face avec Narae. La responsable avait les bras croisés et, sans utiliser la parole, lui fit bien comprendre qu’elle n’avait rien manqué de sa mauvaise conduite : faire intrusion dans une chambre occupée était formellement défendu.

— Pardonnez-moi.

Ses excuses sonnaient faux, Jayu était trop joyeux pour être sincèrement désolé.

— Cela va passer pour cette fois, mais c’est seulement parce que c’est ton anniversaire.

— Merci, Narae.

Il s’inclina bien bas, avant de parcourir le couloir et de descendre l’escalier. Il la trouva près du comptoir de l’accueil : Hyuna, assise dans un fauteuil. Elle se leva à son arrivée. Il fut pris d’une envie de lui sauter dans les bras, mais se retint et alla vers elle dignement. Elle le contempla de haut en bas.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ? demanda-t-elle avec amusement.

Jayu tourna aussitôt sur lui-même pour faire voler le jupon de sa robe. Il releva ensuite ses yeux maquillés avec malice, en repositionnant le ruban rose pastel, dans ses cheveux mi-longs. Comme il l’avait fait avec le client précédent, il fit papillonner ses yeux et sourit timidement.

— Les vendredis, c’est girl !

Hyuna l’observa avec circonspection, visiblement surprise de le découvrir déguisé en lolita, du rouge aux lèvres, du blush aux joues. Jayu finit par croire qu’elle allait désapprouver, mais elle lui fit des compliments. Puis, elle proposa de passer à l’appartement, avant de ressortir pour fêter son anniversaire. Elle avait prévu qu’ils aillent sur la plage Nam et qu’ils allument des fusées d’artifice.

— Attends, demanda Jayu.

Sous les yeux de Hyuna, l’adolescent retira son sac à dos pour en extirper six mangas de la série « Tokyo Ghoul ». Il les porta à Daewon en disant :

— Merci encore de me les avoir prêtés.

Daewon lui affirma que ce n’était rien. Jayu identifia sur le visage de l’étudiant un sourire bête, tandis qu’il le regardait des pieds à la tête.

— Quoi ? interrogea le garçon.

— Je ne me suis pas encore habitué à ta tenue de girl.

Et comme Daewon commençait à rire, Jayu le frappa au genou.

— Te moque pas ! Bon, j’y vais. Bonne nuit.

— Merci, bon anniversaire… choupinette.

Jayu souffla et rejoignit son ainée à l’extérieur. Le froid, l’obscurité et la lune les accueillirent. Bien qu’il soit plus de minuit, les piétons restaient tout de même nombreux sur les trottoirs de Nasukju. Parmi la foule, personne ne prêta attention à Jayu et à sa tenue, personne ne se retourna sur lui, car personne, sans doute, ne relevait la supercherie.

Jayu tenta de mettre les mains dans les poches, avant de se souvenir que sa tenue n’en avait pas.

— Tu m’expliques, ordonna la jeune brune.

— On est vendredi. Le vendredi, c’est girl. Les autres soirs, c’est boy. C’est nouveau. On tente ça depuis à peu près un mois. J’avoue qu’au début, j’étais pas trop sûr. Déjà, je n’étais pas sûr que j’arriverais à être une fille. Et puis, quel intérêt de m’habiller en femme ? Les hommes me déshabillent et ils voient bien ce que j’ai en dessous… je me suis dit, s’ils voulaient une fille, ils prendraient une fille, non ? Pourquoi demander une fille avec un zizi… c’est pas logique. Tu comprends toi ?

— Les vices des hommes sont des mystères pour moi.

— En tout cas, ça a l’air de marcher. Je trouve même que le maquillage et la robe me vont bien. Je ressemble un peu à Jiji.

Jiji était l’une des prostituées de nuit du Taejogung hôtel. Jayu doutait que Hyuna puisse voir à qui il faisait référence. Même lui la connaissait peu, mais il se souvenait de son nom, parce qu’elle et lui avaient approximativement le même âge. Un jour, en le croisant, elle l’avait nommé Jayu-shi[1], prouvant qu’il ne s’était pas trompé. Par l’âge, ils étaient amis.

D’après ce qu’il avait compris, cette adolescente avait commencé très jeune. Il avait appris ce détail, lors d’une conversation entre Narae et Oxana. En effet, l’Ukrainienne n’avait pas caché qu’elle désapprouvait qu’un garçon de son âge se prostitue. Narae avait répliqué que lorsque Jiji avait commencé, elle n’avait que treize ans et qu’étonnement Oxana n’avait rien trouvé à redire. Pour Narae, ce qui semblait acceptable pour une femme devait logiquement l’être pour un homme. L’argument avait fait mouche.

Lorsque Jayu s’était travesti pour la première fois, la ressemblance avec Jiji l’avait troublé. La différence entre lui et une femme tenait à peu de choses, une simple affaire de maquillage.

Hyuna haussa les épaules, visiblement, elle ne voyait pas qui était Jiji.

De retour dans leur appartement, la jeune femme entraina son petit frère directement dans la chambre.

— C’est ton anniversaire, alors c’est toi qui choisis comment je m’habille.

Elle fit asseoir Jayu sur le lit, se mit debout entre lui et la penderie. La joie excessive de sa noona lui apprit qu’elle devait être en plein high. Impatiente de commencer ses essayages, la veste en jean de Hyuna tomba sur le sol de la chambre. Il lui sembla reconnaitre celle qu’elle portait le jour de leur rencontre.

— Dis-moi ce que je dois mettre !

Alors que la jeune femme retirait son t-shirt, une conversation passée revint à sa mémoire. Oxana lui avait demandé de se mettre torse nu, « pour une expérience », disait-elle. Elle lui avait expliqué que les femmes et les hommes ne retiraient pas leur t-shirt de la même manière.

En ce moment même, Hyuna le faisait selon la méthode des femmes : elle attrapait le bas du vêtement, en croisant les bras devant elle, puis elle tirait vers le haut. Le t-shirt s’enleva en se retournant comme un gant ou une chaussette.

[1] -Shi, suffixe respectueux que les Coréens emploient envers les personnes du même âge.

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