6. Gang séculaire (partie 2)

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Hyuna se réfugia dans sa chambre. N’ayant pas de logement à elle, elle devait se contenter de ce que le gang lui octroyait : une modeste piaule de quinze mètres carrés, avec salle d’eau, kitchenette et toilette privé. La pièce ressemblait à un studio d’étudiant, avec des murs gris, là encore, sans aucune fenêtre. Ses biens s’entassaient les uns sur les autres dans une surface trop petite. Certains avaient de la valeur : un appareil photo, des bijoux volés et une vingtaine de flacons de parfums de grandes marques, volés eux aussi, qui se trouvaient alignés sur le rebord de son lavabo. Son dressing explosait de ses nombreuses nippes. Hyuna aimait beaucoup acheter des fripes. Au-delà d’être une fashion victime, Hyuna était surtout une collectionneuse de frivolités. Il y avait toutes sortes de gadgets dans sa chambre : des peluches, des effigies de chiots et de chatons, des papiers à lettres de gamine - elle qui n’écrivait jamais de lettres -, des objets hétéroclites et inutiles achetés dans des magasins de bibelots, en particulier des figurines représentant les héroïnes aux formes excessivement généreuses de mangas qu’elle n’avait jamais lus, beaucoup de coussins et une vingtaine de pyjamas. Hyuna aimait chacun de ces objets qu’elle entreposait chez elle. Mais rien n’avait autant de valeur à ses yeux que sa poudre, les cent grammes de cocaïne, tout beau tout neuf, à peine entamé, qu’elle avait laissé dans un placard de sa kitchenette, à côté de la boite de café instantané.

Hyuna inspira un rail de poudre dans la salle-de-bains, devant la glace. Ensuite, elle se dénuda, en scrutant chaque détail de son corps : ses cheveux blonds dont les racines mériteraient d’être refaites, le dessin de ses sourcils et son nez, pour vérifier qu’il ne saignait pas. Elle se contorsionna ensuite pour observer son dos. Une fleur d’équinoxe le recouvrait toujours, avec ses projections de pétales pourpres. Un beau tatouage, un terrible tatouage, qui symbolisait son avilissement au Pian Kkoch.

Hyuna eut soudain une pensée nostalgique pour sa vie d’avant, celle qu’elle avait lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Elle avait connu le bonheur, le plaisir de se faire des amies avec lesquelles tout partager, et une mère à aimer. Elle avait été heureuse, jusqu’à ses douze ans ; et depuis, elle vivait avec le sentiment d’être la spectatrice de sa propre vie, de jouer un rôle. Elle avait l’impression d’être encore et toujours cette gamine de douze ans qui jouait à faire le gangster, prise au piège d’une comédie imposée, un jeu auquel elle ne prenait pas de plaisir.

Hyuna cligna des yeux. Déjà la cocaïne lui faisait prendre de la distance avec la réalité. Son corps nu passa sous le jet d’eau brûlant de sa douche. Elle se frotta, quatre fois, avec des savons différents. La peau embaumée de fleur : jasmin, violette, fleur de ginseng et ylang-ylang. À la fin de sa toilette, sa salle d’eau sentait l’entêtant parfum des boutiques de luxe.

Elle enfila un peignoir bleu électrique et retourna dans la chambre, les cheveux encore humides. L’angoisse, face à la punition qui l’attendait, s’était amoindrie. Joohung aurait pu crier qu’elle ne l’aurait pas entendue. Que Luka parle ! Elle n’en avait plus rien à faire. Elle survivrait. Elle avait toujours survécu. Elle était invincible.

Hyuna repensa à la réaction de son tuteur, quand il avait découvert les photographies de sa filature. Intriguée, la jeune femme fit une recherche internet pour savoir si des évènements particuliers avaient eu lieu, ce jour-là, à cette adresse.

Elle ne voulut pas en croire ses yeux. Même défoncée, elle fut prise d’un vertige qui l’obligea à s’assoir sur le futon. Ses battements cardiaques gagnèrent en force. Elle relut une nouvelle fois le titre de l’article :

« L’entailleur tue un nouvel adolescent à Gangseo. Qui était la victime ? »

Sur une photographie, la susnommée victime posait devant une voiture de sport. Âgé d’une quinzaine d’années, le garçon avait la peau mate, les cheveux rasés sur les côtés et longs sur le dessus. Le cliché avait dû être pris en plein été, car l’adolescent était torse nu. Malgré sa jeunesse, il avait une musculature athlétique. Son port de tête suggérait son arrogance, voire son insolence. Hyuna pensa tout de suite que c’était un beau garçon, dans son genre. D’après l’article, il s’appelait Siwon.

Mais l’information qui lui avait coupé les jambes : le garçon avait été torturé, violé et assassiné par l’Entailleur. Tout ça le jour où le tuteur de Hyuna faisait une visite dans sa maison. Parce que c’était bien sa maison, comme le démontrait l’arrière-plan de la photographie. On y voyait la même bâtisse que celle que l’apprentie espionne avait eu tout le loisir d’observer, pendant les trois heures qu’avait duré sa filature.

Soit Luka couvrait l’Entailleur, soit le serial-killer et lui n’étaient qu’une seule et même personne.

Aussi difficile à admettre qu’elle soit, cette supposition expliquait plusieurs faits : pourquoi Luka avait aussi mal réagi en découvrant la photographie ? Et pourquoi il n’avait jamais abusé d’une fugueuse ? Ce n’était pas parce qu’il manquait de cruauté - apparemment, il serait même le pire de tous -, mais parce qu’il n’était pas attiré par les femmes.

Hyuna reposa son téléphone sur le plancher, l’écran face contre terre. Elle enfouit sa tête dans ses mains pour réfléchir.

Le Pian Kkoch verrait d’un mauvais œil d’avoir un tueur en série dans ses rangs. Cela risquerait d’attirer les forces de l’ordre, sans aucun retour financièrement. De plus, la pédophilie était l’un des rares crimes que les gangsters regardaient avec dégoût. Luka avait parfaitement raison de garder secret. Mais elle, que devait-elle faire ? Le dénoncer ? Alors qu’il était le chouchou du président Sung et qu’il avait supprimé toutes les preuves ? Aller à la police ?

Enfin, une dernière crainte empêcha Hyuna de dormir, cette nuit-là : si Luka comprenait qu’elle savait, que ferait-il pour que la vérité demeure secrète ?

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