28. Fuir (partie 2)

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Elle se retourna brusquement, voulut partir en courant. Impossible, tant que les grandes ailes tournantes n’avaient pas libéré ses occupants. Plus que quelques centimètres.

Elle lâcha la main de Jayu, appuya plutôt sur son dos, pour qu’il se glisse devant elle dans cet espace qui s’ouvrait à eux. Sa voix intérieure lui criait : Il ne pourra pas tirer, pas en public. Il ne pourra pas.

Jayu s’engouffra à l’extérieur de l’hôtel, avec un petit mouvement de torsion. Elle poussa dans son dos.

— Cours le plus vite possible ! ordonna-t-elle. Tout de suite !

Son temps de réaction fut imperceptible, Jayu se mit à courir à une vitesse prodigieuse. Elle se glissa à son tour par l’ouverture et fila. En voyant l’adolescent prendre de la distance, elle comprit qu’il était plus rapide qu’elle. Elle se concentra sur sa propre course. Allonger et accélérer les fréquences des foulées. Elle se força également à ne pas regarder derrière elle, ce qui l’aurait ralentie.

Devant elle, Jayu se retournait régulièrement, pour s’assurer qu’elle le suivait bien. Puisqu’il était devant, il dirigeait leur fuite. Il n’avait reçu d’elle aucune consigne. Où irait-il ?

Il commença par galoper tout droit, parcourant au pas de course l’allée principale du parc, bordée des plus grosses attractions, puis, il choisit de piler sur sa droite. Ils arrivèrent alors dans une contre-allée dédiée aux caravanes de nourritures et Hyuna comprit. Il n’y avait pas beaucoup de monde à cette heure matinale dans le parc, mais dans cette allée, plusieurs groupes scolaires s’étaient réunis. La jeune femme intégra cette foule peu de temps après Jayu. Elle le repéra difficilement et tenta de le rattraper en se frayant un passage entre les enfants en uniformes bleu et rouge.

Un peu avant de l’atteindre, elle se retourna pour voir si Luka les avait suivis. Elle le trouva immédiatement, impossible de le manquer à cause de sa grande taille. Il tournait la tête dans toutes les directions, nerveusement, à leur recherche. Il n’allait pas tarder à poser ses yeux sur elle. C’est alors que la main de Jayu se serra sur sa manche et tira. Elle reporta alors son attention sur lui et ouvrit des yeux stupéfaits. Le garçon s’était déjà immiscé dans un étroit interstice qui séparait deux caravanes. À peine assez large pour que le garçon puisse y ramper.

— Viens ! Je crois qu’il y a une issue de l’autre côté. Vite !

Jayu s’enfonça dans la fissure. Hyuna le vit peiner pour progresser plus vite, poussant sur ses jambes, ses mains, dans une paradoxale escalade horizontale. Elle n’avait plus vraiment le choix. Elle se mit de profil et se glissa dans l’écartement sombre.

Ça sentait la poussière et l’humidité. Quand elle raclait les parois des caravanes, une matière visqueuse et fongique collait à ses vêtements, à ses mains.

Deux gamins, qui devaient avoir six ou sept ans, les virent.

— Ils n’ont pas le droit, hein ?

— Non, c’est sûr, ils font des bêtises, commentèrent-ils.

Hyuna voulut leur dire de s’occuper de leurs affaires, mais elle sentit une substance collante et désagréable dans son cou : des toiles d’araignées. Malgré elle un frisson la parcourut. Jayu était passé devant, dégageant son passage de la plupart de ces saletés, sauf au niveau de sa tête bien sûr, qui était plus haute que celle de Jayu. Hyuna souffla pour se donner du courage. Ce n’était rien du tout, il fallait surtout qu’elle avance plus vite. Il lui semblait que l’espace entre les deux caravanes se resserrait sur la seconde moitié. Elle eut peur de rester coincée là, sans pouvoir ni avancer, ni reculer.

Jayu parvint à l’autre bout du passage, avec une facilité déconcertante. Dans la lumière, il lui criait :

— La sortie du parc, elle n’est plus très loin, Hyuna ! Si tu arrives au bout, c’est gagné. Viens !

Elle lui sourit, un sourire nerveux.

— Bien sûr, c’est facile pour toi. Moi, j’ai un peu grossi pendant l’été.

Elle avança encore. Maintenant, il fallait qu’elle progresse de force, en poussant sur ses jambes, en s’accrochant sur ce qu’elle pouvait, avec ses mains et avec cette prise, tirer. À chaque fois, elle glissait de quelques centimètres vers la sortie. Même sa respiration était difficile. Sa cage thoracique était comprimée. Et sa poitrine, pour la première fois de sa vie, Hyuna se félicita de ne pas avoir beaucoup de seins.

Un nouvel obstacle se présenta. Il y avait des fils électriques tendus entre les deux caravanes. Ils étaient plutôt bas, Jayu avait réussi à passer au-dessus, mais le pied droit de Hyuna, lui, s’emmêla dans les câbles. La jeune femme jura. Leva de nouveau les yeux vers la sortie, vers le petit qui l’encourageait. Elle n’était plus très loin, lorsqu’elle vit l’expression de Jayu se charger d’effroi et il se mit à hurler :

— Dépêche-toi, dépêche-toi !

Elle avisa derrière elle. À quelques mètres, au bout du tunnel, Luka la fixait ; puis, il posa ses deux mains de chaque côté du passage, comme s’il voulait écarter les deux bâtiments à la force de ses bras. Le désespoir qu’avait ressenti la fuyarde en apercevant Luka se réduisit, elle reprenait courage, car il ne pourrait jamais passer dans cet espace pour la suivre. Luka n’était pas gros, mais c’était un homme adulte et imposant. Il grimaça quand il comprit qu’il ne pourrait pas aller la chercher dans son trou de souris. Et Hyuna, de son côté, se ressaisit soudain. Vite ! Elle continua à progresser. Jayu tendit une main vers elle, qu’elle saisit en faisant tendre tout son poids vers l’avant. Elle se sentit tirer par lui. Seule sa cheville, prise au piège des fils électriques, la maintenait encore dans ce piège.

— Non ! cria Jayu.

L’horreur dans cette voix l’alerta, uniquement elle, puisque le hurlement de Jayu se perdit dans ceux du manège à sensation le plus proche, qui choisissait justement ce moment-là pour terrifier ses occupants. Jayu tira de toutes ses forces le visage déformé par l’effort et la peur. Elle, elle cala son pied libre sur une pierre rectangulaire qui devait servir à caler la caravane, poussa de toutes ses forces. La liberté si proche.

Elle eut tout juste le temps de se retourner et de comprendre la raison du cri de Jayu. Luka avait sorti son arme à feu et visait dans sa direction.

Elle tomba en avant alors qu’un bruit de détonation retentit, en partie couvert, lui aussi, par les bruits du parc. À la fin de sa chute, elle roula aussitôt sur le sol pour ne plus être dans la ligne de mire.

Maintenant allongée, sur le ventre, à même le béton, elle toussait. De la poussière encombrait ses narines et ses poumons. Elle se sentait sale, mais sa seule préoccupation, pour l’instant, était celle de fuir le danger. Le plus vite possible. La poigne de son protégé l’aida à se redresser.

La jeune femme constata l’absence de douleur et comprit que la balle ne l’avait pas atteinte. La chance était avec elle. La chance, cette chose qu’elle détestait tant. Après tout, elle lui devait bien ça.

— La sortie de métro est à deux pas, affirma Jayu. Luka va devoir faire un détour, c’était comme un raccourci. Dépêche-toi !

Ils firent les cinq cents mètres qui les séparaient de la station de métro souterrain. Dans les galeries, leur précipitation attira l’attention. Ils entrèrent dans le premier train venu. Peu leur importait le numéro de rame, peu leur importait la direction, il fallait seulement s’éloigner, le semer.

Lorsqu’à l’intérieur d’un wagon, le signal sonore annonça la fermeture des portes, Luka apparut sur le quai. Hyuna le vit et ce fut réciproque, alors elle lui fit un sourire. Il n’aurait jamais le temps d’entrer dans la rame et, cette fois, il y avait trop de témoins pour qu’il utilise une arme à feu. Il courut vainement, s’arrêta devant la porte refermée. Ses yeux de chasseur se plantèrent sur celle qui avait été sa filleule, cherchant à l’atteindre de la seule manière qui lui était encore permise. Elle lut dans ce regard qu’il lui promettait de la retrouver. A l’abri derrière la vitre du wagon, Hyuna lui adressa un sourire haineux et leva les deux majeurs de ses mains bien hauts pour les plaquer contre la vitre, comme un cadeau d’adieu. Le métro sous ses pieds prit de la vitesse. Elle observa la menace que représentait Luka s’éloigner, devenir de plus en plus petite, minuscule, puis disparaitre.

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