26. Tremblement (partie 2)

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Sa voix dérailla un peu. Pendant un court instant, elle crut qu’il allait pleurer. Elle voulait éviter ça, c’est pourquoi elle changea de sujet.

— Le petit déjeuner te plait ? Je ne savais pas quoi prendre.

— Oui, ça me plait. Merci, noona.

L’adolescent n’était pas le seul à avoir besoin de se changer les idées. Hyuna décida d’ouvrir la lettre que Haïja lui avait confiée. Le couteau à beurre servit à ouvrir l’enveloppe, sous les yeux de Jayu.

— Elle ne t’avait pas dit que c’était personnel ? fit-il remarquer.

— Si, si…

— Pourquoi tu la lis, alors ?

— Je t’apprendrais, Jayu, expliqua-t-elle sérieusement tout en ouvrant et dépliant le courrier, que la véritable force, c’est la connaissance. Il faut chercher chez l’autre le tremblement, tu vois. Ça peut être un désir, une phobie, un amour, un secret inavouable, une culpabilité… Tout le monde à un point faible et très secret qu’il garde bien caché. C’est comme ça que je l’appelle : le tremblement. Parce qu’il peut faire trembler les fondations des gens, et que si tu parles à haute voix à une personne de son tremblement, elle a les yeux qui tremblent, forcément les yeux qui tremblent. Si tu découvres ce tremblement chez quelqu’un, tu auras toujours un tour d’avance sur lui…

La jeune femme commença à lire la lettre en survolant grossièrement les passages qui ne lui apprenaient rien. Haïja parlait de son rapport à elle, de sa situation actuelle et des personnes qui lui voulaient du mal…

— À quoi ça sert un tour d’avance ?

Hyuna dut cesser de survoler les mots de la missive pour répondre au garçon :

— À ton avis ? Si tu connais les secrets inavouables de quelqu’un, tu peux le manipuler, le doubler, le faire souffrir, le saboter ou même le faire chanter… Il est très utile de connaitre des choses sur tes adversaires, surtout quand tu n’es pas en position de force. Comme moi, parce que je suis une fille, ou toi…

Elle leva deux sourcils pour ponctuer sa phrase. Elle retourna ensuite à sa lecture, la lettre de la tatoueuse continuait en évoquant la présence de Jayu, qu’il fallait s’en accommoder et que la survie de cet enfant semblait avoir de l’importance pour la jeune femme en cavale.

— Mais Haïja, c’est ton amie, non ?

— Oui, oui, c’est mon amie.

Il fallait le voir avec son visage d’angelot scandalisé.

— Alors pourquoi tu lis sa lettre ? Elle te faisait confiance ?

— Petit, même tes amis peuvent devenir tes ennemis un jour ou l’autre. Il vaut mieux, ce jour-là, que tu aies quelque chose contre eux.

La lettre devenait plus intéressante, Haïja évoquait l’espoir que représentait Omoni dans cette situation :


Je ne connais personne d’autre capable d’offrir un refuge sûr à des opposants du Pian Kkoch et de Baehyun confondu. Ton indépendance vis-à-vis des gangs est une rare exception et je sais que tu disposes de suffisamment de moyens pour loger, nourrir et cacher efficacement deux personnes, sans que ni le Pian Kkoch, ni le Jusawi ne soit au courant. En somme, cela ne devrait pas être un grand fardeau pour toi, tout en constituant le dernier espoir de ces deux jeunes gens.

Toutefois, je connais aussi ton point de vue concernant la charité…


Hyuna nota qu’il serait prudent d’en apprendre plus sur cette fameuse Omoni. Elle n’en avait jamais entendu parler et pourtant il s’agissait d’une personne à laquelle Haïja semblait prêter une grande influence.

— Je ne comprends pas, coupa Jayu. Tu dis que tu lui fais confiance…

— Je fais totalement confiance à Haïja.

— Et moi ? Tu vas utiliser ce que je t’ai dit cette nuit contre moi ?

— Tu comptes me trahir ?

Elle leva les yeux de la lettre pour toiser son protégé. Elle mit de la malice dans le regard, un rien de provocation. Le gosse ne parut nullement impressionné. Il répondit sans délai :

— Non, bien sûr que non.

— Alors tout va bien. Tes points faibles resteront entre toi et moi.

Et elle revint à sa lecture. La suite devint encore plus intéressante.


… Je sais qu’en échange d’un service, quel qu’il soit, tu as toujours demandé une contrepartie. Je ne te fais aucun reproche, on ne se hisse nulle part sans ambition.

Je te proposerai bien de te rendre ta gentillesse en nature. Fut un temps où tu ne m’aurais rien refusé contre un cunnilingus. Mais même si mon piercing lingual ne connait pas l’usure des années, je ne peux pas étendre cette affirmation au reste de ma personne. Je ne suis pas dupe, je suis devenue moins désirable avec les années. Mes mains, par exemple, qui tiennent ce stylo, sont là, sous mes yeux, et trahissent mieux mon âge que toute autre partie de mon corps. Le temps est cruel, surtout avec les femmes.

J’ai conscience que tu es bien entourée. On m’a raconté que ton établissement réunissait des beautés éclectiques, des filles jeunes et énergiques. Je crains de ne pas souffrir la comparaison. Je sais donc que je ne vaux plus suffisamment cher pour échanger la sécurité de ses enfants contre un orgasme.


— Beurk !

Laissa échapper Hyuna. Ce petit grognement n’aurait pas été différent si elle avait été une petite fille dans une cour de récréation en train d’observer des « grands » du collège échanger un baiser langoureux.

— Alors, demanda Jayu. Il y a le point faible de Haïja dans cette lettre ?

— Je ne sais pas, sourit Hyuna, mais ça valait vraiment la peine. Vraiment la peine.

— Pourquoi ? Ça dit quoi ?

— Pas pour ton âge, éluda-t-elle. Pas pour ton âge.


Heureusement, poursuivait la lettre de Haïja, je n’ai pas que ça à te proposer. Je connais indirectement un oiseleur dans la province de Daejeon. En échange de ton aide, je promets de te faire parvenir le couple de cap bleu africain que tu convoites tant. Ne doute pas. Tu as tes ressources et j’ai les miennes.


Hyuna prit le temps de réfléchir, en fermant les yeux pour se concentrer. « Cap bleu africain » ? Avait-elle déjà entendu ce nom quelque part ? Elle connaissait beaucoup de ces noms de code qu’utilisaient les criminels pour marchander. Ils se substituaient aux mots incriminants tels que « amphétamine », « armes » ou « putes ».

Malgré ses efforts elle ne trouva rien approchant la sonorité de « cap bleu africain ». Il faudrait qu’elle se renseigne, de même que pour « oiseleur ».

Elle rouvrit les yeux pour achever la lettre.


P.S. : Je te conjure de ne pas demander à Hyuna de travailler pour toi. Elle est très jolie, je sais. Mais elle n’est pas faite pour ça. Je crois que la vie lui a déjà fait suffisamment de tort comme ça.


Hyuna plia la lettre, tandis que Jayu lui demandait :

— Je peux la lire ?

— Pourquoi tu veux la lire ?

— Tu viens de dire que la connaissance est importante, je veux connaitre ce qu’il y a dans cette lettre. Je veux faire comme toi.

Il était difficile de trouver un argument à répondre à cela. Elle aurait pu lui donner cette lettre, mais cette dernière phrase à propos d’elle la gênait. Elle usa de sa supériorité, se moquant d’avoir l’air de faire un caprice.

— Non, je n’ai pas envie.

C’est à cet instant qu’une sonnerie fit sursauter Hyuna. Elle se retourna en direction du bruit, le téléphone que lui avait offert Haïja recevait un appel. Il n’y eut pas un seul follicule pileux sur son corps qui resta statique.

— Habille-toi, petit oiseau. Habille-toi immédiatement.

Jayu ne lui demanda pas de répéter. Il se leva de sa chaise précipitamment et courut se vêtir, tandis qu’elle décrochait. Elle inspira, souffla.

— Allô.

— Allô, Hyuna, écoute, je suis désolée. Il fallait que je leur dise quelque chose. Ils allaient me faire du mal.

— Quoi ?

— Je leur ai dit que tu étais au parc Game-Play. Je ne pouvais pas mentir… Ils auraient vérifié que l’information était bonne. Ils auraient vérifié et ils me l’auraient fait payer. Je ne suis pas courageuse… Je suis désolée, mais quand on me touche… Je suis désolée. Hyuna, il faut que tu partes.

— Hum. Dis-moi ! Ils savent pour Omoni ?

— Non, je ne leur ai rien dit pour ça.

— D’accord. Je te laisse dans ce cas…

— Hyuna !

— Quoi ?

— Pardonne-moi.

— C’est rien. Je t’en veux pas. Je sais comment ils sont.

— Et…

— Quoi ?

— Bonne chance.

— Merci.

Sur ce dernier mot, elle raccrocha. Derrière elle, le gamin était déjà prêt.

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