8

7 minutes de lecture

« Okita-sama, vous me devez une victoire !

- Vraiment ? sourit-il. Si vous voulez vous pouvez me défier à nouveau mais je serai un adversaire sans pitié.

- Très bien, nous verrons qui l’emportera cette fois-ci. Rejoignez-moi donc, et que le duel commence ! »

Il se leva et alla s’installer face à elle à la table de jeu.

« Puisque nous n’avons pas de musicienne pour nous accompagner, que diriez-vous de chanter avec moi ?

- Je préfère éviter, s’amusa-t-il, je n’ai pas l’habitude des performances vocales. »

Elle acquiesça d’un air espiègle et commença à fredonner seule :

Konpira fune fune

Oite ni hokakete

Shurashushushu…

Ils commencèrent la partie plus rapidement que la dernière fois, la même lueur de défi s’allumant dans leurs yeux. Ils ressemblaient à deux enfants têtus et enjoués pour lesquels la moindre occasion de s’affronter revêtait une importance primordiale. Le capitaine devait reconnaître qu’il était assez impressionné que la geiko parvienne à chanter tout en jouant. Ses réflexes ne s’en trouvaient pas diminués et elle souriait comme si elle était parfaitement détendue. Elle faillit le piéger plusieurs fois sans qu’il ne réussisse à lui rendre la pareille, bien qu’il parvînt à tenir le rythme sans trop de difficultés. Le duel dura moins longtemps que la fois précédente et il finit par l’emporter de la même façon.

« On dirait bien que je ne perdrai pas ce soir non plus. observa-t-il, légèrement moqueur.

- J’admets ma défaite, reconnut-elle élégamment, mais je demande une revanche !

- Un autre jour, peut-être, je suis trop prudent pour tenter ma chance une deuxième fois.

- En êtes-vous certain ?

- Oui, au risque de vous déplaire. Mais peut-être qu’un de mes camarades voudra bien me remplacer. »

Ils se tournèrent vers Saitō et Iwanaga qui discutaient depuis un moment. Le premier s’adressa à eux d’un ton neutre :

« Veuillez nous excuser, nous devons nous absenter un instant pour parler.

- Bien sûr, répondit Umeko d’un air hésitant, nous vous attendrons.

- Ce ne sera pas long. » précisa la recrue.

Il se leva, imité par son voisin, et tous deux quittèrent la pièce. Un temps passa après leur départ puis la geiko proposa :

« Voulez-vous que je vous serve du sake pour patienter ?

- Juste un peu, je ne voudrai pas épuiser vos réserves sans les autres. »

Il retourna à sa place où elle le rejoignit peu après avec une bouteille, et tandis qu’elle versait la boisson il lui demanda :

« Alors, de quoi pourrions-nous parler ?

- Avez-vous un sujet particulier en tête ? répondit-elle.

- Pas vraiment, je vous laisse choisir. »

Elle réfléchit un instant avant de s’enquérir :

« Est-il vrai que vous avez accédé au rang de menkyo kaiden à seulement dix-huit ans ?

- En effet, mais je ne savais pas que vous vous intéressiez au kenjutsu.

- À dire vrai je n’ai commencé à m’informer que récemment. J’ai trouvé un livre oublié traitant de ce sujet et l’ai en partie parcouru. Et étant donné que je rencontre assez souvent des bushi, j’en profite pour en apprendre davantage. »

Il la considéra avec une pointe d’étonnement, ne s’étant pas attendu à ce qu’une artiste si distinguée s’intéresse à un monde qui différait tant du sien. Cependant il pouvait lire dans ses yeux un réel intérêt, teinté d’une ombre qu’il ne s’expliquait pas. Elle paraissait soudain vaguement inquiète derrière son sourire amical. Intrigué, il décida de poursuivre la discussion dans l’espoir de deviner la cause de ce souci.

« Avez-vous déjà demandé à un de ces guerrier de vous enseigner la voie des armes ? plaisanta-t-il.

- J’aurais aimé, mais cela n’aurait pas été très convenable ; je me limite au récit de leurs aventures. Auriez-vous quelques anecdotes à me raconter ? »

Il acquiesça et commença par la plus célèbre, celle relatant sa victoire face à un menkyo kaiden alors qu’il était âgé de seulement douze ans. Il continua avec divers événements survenus lors de patrouilles, particulièrement la nuit où les problèmes étaient plus intéressants à régler. À mesure qu’il parlait il constatait que paradoxalement l’attention de son auditrice augmentait et qu’elle semblait lutter contre une agitation intérieure qu’elle peinait à cacher. La conversation finit par ralentir jusqu’à ce qu’un silence s’installe. Une étrange tension régnait dans la pièce, qu’il ne s’expliquait pas. La geiko semblait à court de mots, baissant nerveusement les yeux vers ses mains avec lesquelles elle ne cessait d’ajuster les plis de son kimono. Elle finit par le regarder avec une inquiétude mêlée d’hésitation et prit la parole :

« Okita-sama, il y a un sujet dont je voulais vous parler… »

Il eut soudainement un très mauvais pressentiment. Du coin de l’œil il crut la voir saisir quelque chose dans sa manche. Elle semblait plus calme et une lueur déterminée brillait dans son regard.

« J’aurais voulu vous le dire plus tôt, poursuivit-elle, mais… je n’en ai pas eu le courage. Et puis… »

Un reflet d’acier attira son attention. Il lui saisit le poignet d’un geste vif et révéla ainsi la dague qu’elle tenait. Elle se figea, interdite.

« Belle tentative de diversion, commença-t-il avec sarcasme, mais ce stratagème était un peu grossier. Laissez-moi deviner : vous n’étiez tout de même pas liée à Iwanaga-kun ? »

Elle baissa la tête, incapable de soutenir l’éclat froid de son regard émeraude.

« Alors ? insista-t-il. J’ai bien deviné ? »

Résignée, elle hocha la tête.

« Pourriez-vous m’expliquer quel était votre objectif ? attaqua-t-il de nouveau.

- Le connaître ne vous servira en rien.

- Bien au contraire. Quelle raison avez-vous de garder cela pour vous maintenant que vous êtes démasquée ? J’obtiendrai ma réponse d’une façon ou d’une autre. »

Elle garda le silence un instant comme si elle évaluait ses possibilités puis avoua :

« Nous coopérions sur cette mission. Nous avions pour ordre d’assassiner les capitaines de votre groupe en commençant par vous, la lame du Shinsengumi. Il avait décidé de gagner votre confiance ou au moins votre intérêt afin de créer une opportunité de vous éliminer.

- Ça explique peut-être qu’il se soit montré si bavard. Mais vous, qu’avez-vous à voir avec les intérêts de Chōshū ? »

Elle leva à nouveau les yeux vers lui et déclara :

« J’appartiens à ce clan. Kyōto n’est pas le territoire exclusif d’Aizu, ne l’oubliez pas. »

Il esquissa un sourire narquois devant sa hardiesse avant de demander :

« Et maintenant, que faisons-nous ? J’imagine que vous n’allez pas gentiment répondre à mes prochaines questions si je vous demande ce que compte faire Chōshū en détail.

- En effet, je ne dirai rien.

- Je m’en doutais. Il va falloir que vous discutiez avec Hijikata-san dans ce cas. »

Elle ne put réprimer un frisson, ce qu’il constata avec un amusement railleur. Il lui retira la dague et la lança un peu plus loin.

« Je préfère encore mourir ici et maintenant, reprit-elle d’une voix sourde, votre vice-commandant a des méthodes à la réputation bien établie. Je ne serai pas étonnée qu’un jour ses proches se détournent de lui pour cette raison.

- Personnellement cela ne me dérange pas, répliqua-t-il d’un ton détaché, et je doute qu’elle constitue un motif suffisant pour éloigner ses fidèles. Et si vous voulez vous ôter la vie, ne comptez pas sur moi pour vous y aider.

- Là n’est pas mon intention. »

Sans qu’il ne puisse réagir, elle sortit une deuxième lame et s’en frappa au cœur.

« Sérieusement ?! » s’insurgea-t-il.

Elle s’effondra et perdit rapidement conscience. En quelques instants sa respiration se fit laborieuse jusqu’à cesser complètement. Il ne revint pas immédiatement de sa surprise et fixa le cadavre qui se trouvait désormais devant lui. Après un temps, il se leva et commença à faire les cents pas en se demandant comment il allait expliquer ce qui venait d’arriver à Hijikata.

« Elle a osé… soupira-t-il. J’ai intérêt à ce qu’elle n’ait été qu’une simple exécutrice. Et les deux autres… »

Il fut interrompu par une brutale quinte de toux. La bouffée d’air fut si forte qu’il tomba à genoux sans avoir le temps de prendre un mouchoir. Il toussait sans pouvoir s’arrêter, au point d’en avoir mal. Du sang affluait de ses poumons, encore et encore maculant les tatamis. Quand enfin tout s’arrêta, il demeura immobile, essoufflé et sans forces. Il ne pouvait détacher son regard des ombres rouges étalées sur le sol, tranchant avec les couleurs claires de la pièce. Il s’efforça de respirer lentement et profondément mais chaque souffle lui causait une terrible douleur au thorax. De longues minutes s’écoulèrent tandis qu’il s’obstinait à retrouver une respiration normale malgré la sensation de brûlure. Celle-ci finit par refluer puis s’estomper complètement et il put enfin se détendre. Un bruit de pas lui parvint depuis le couloir et la porte s’ouvrit.

« Souji ! »

Saitō se précipita vers lui et l’aida à se relever.

« Tu es blessé ? s’inquiéta-t-il.

- Non, ne t’en fais pas. Tout va bien. »

Son ami ne parut pas rassuré pour autant et lui lança un regard interrogatif, une ombre préoccupée obscurcissant son beau regard bleu.

« Que faisais-tu ? s’enquit Okita pour changer de sujet.

- Iwanaga-kun et moi avions tous les deux décidé d’éliminer l’autre au même moment. Nous sommes sortis de la maison, chacun avec un faux prétexte de discussion, et je lui ai fait avouer tout ce que nous avions déjà deviné. Il m’a aussi parlé d’un plan d’assassinat des capitaines. Apparemment, il n’était pas censé me tuer maintenant mais comme tu étais sa cible prioritaire et que je t’accompagnais il avait décidé de me faire disparaître aussi. Il n’avait pas prévu que je serais plus rapide.

- Eh bien, quelle coordination ! Tu aurais tout de même pu me prévenir, je voulais m’occuper de lui. Au lieu de te donner comme gage de payer cette soirée, j’aurais dû te demander de me laisser l’éliminer. Tu as gardé toute la partie amusante pour toi, Hajime-kun. »

Il prit un air déçu et ajouta :

« De mon côté je n’ai même pas eu à prendre de vie, mais j’aurais bien aimé qu’elle attende un peu avant de le faire toute seule.

- À ce propos, reprit le plus jeune, Iwanaga-kun m’a appris une autre information. »

Il jeta un regard au corps sans vie de la geiko et déclara :

« Sagarifuji, c’était elle. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Hisoka ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0