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Plus que le jade d’Occident

Ton regard m’est précieux

Je veux suivre ta route aux couleurs de ciel

Franchir les cimes nuageuses qui le parsèment

J’aimerais déployer mes ailes

Te rejoindre sous d’autre cieux

Les saisons passent et le temps sème

L’oubli sur mes tristes sentiments

Les ultimes accords résonnèrent tandis que la geiko achevait son chant. Elle salua ses trois hôtes avant de prendre son éventail, et sa compagne commença une nouvelle mélodie. Elle esquissa quelques gestes lents, initiant une chorégraphie plaine de grâce et de délicatesse. Ses mouvements se firent peu à peu plus amples tandis qu’elle paraissait se muer en une fleur sur le point de s’épanouir, dont les pétales s’ouvraient un à un. Sa danse racontait une histoire, chacun de ses pas était un nouvel événement, elle devenait tour à tour oiseau et brise printanière, évoluant sans contrainte dans un monde qu’elle dessinait sous leurs yeux. Chaque fois que leurs regards se croisaient, elle paraissait l’inviter à progresser dans cet univers irréel qu’elle créait devant lui. Il se sentait comme un enfant captivé par un récit, emporté dans un ailleurs qu’il découvrait progressivement. Elle faisait preuve d’un indéniable talent et il trouvait pour une fois agréable de se laisser guider ainsi.

« C’est l’une des meilleures danseuses de Shimabara, fit remarquer son voisin, n’êtes-vous pas d’accord avec moi ?

- Si, tout à fait. » approuva-t-il, tentant de dissimuler son agacement.

Le charme était brisé, il avait quitté sans pouvoir y revenir l’histoire qui s’était déployée sous ses yeux. Sans s’en apercevoir, l’autre poursuivit plus bas :

« À ce propos, je maintiens ce que j’ai dit l’autre fois. Il y a quelque chose dans ses yeux lorsqu’elle vous regarde et je suis sûr que le choix de sa chanson…

- Vous n’allez pas recommencer, Iwanaga-kun. l’interrompit-il avec un sourire vaguement menaçant. Je reconnais volontiers qu’elle est jolie, mais tout homme dirait la même chose. N’est-ce pas, Hajime-kun ? »

Celui-ci, assis à sa gauche, hocha la tête en silence avant de finir son sake.

« Mais j’oubliais, reprit son ami avec malice, tu n’as d’yeux que pour Chizuru-chan. »

Saitō refusa de réagir mais ses joues se colorèrent légèrement. Il reposa calmement sa coupe avant de lui jeter un regard noir.

« Je te préviens, Souji, si Iwanaga-kun répète quoi que ce soit au quartier général…

- Ne t’en fais pas, je lui ai donné la juste quantité d’alcool pour qu’il parle mais ne se rappelle pas de cette soirée. Regarde comme il est somnolent. »

Avec un clin d’œil espiègle, il lui désigna l’autre homme qui regardait les artistes d’un air distrait, comme s’il n’était pas tout à fait présent. Okita s’amusait de la situation, d’une part parce que c’était une mission assez divertissante et d’autre part parce qu’il venait de viser juste avec Saitō, confirmant ce qu’il avait deviné depuis un moment déjà. Ce dernier retrouva son expression neutre et fit mine de reporter son attention sur la danse. Une fois leur prestation achevée, les geiko retournèrent leur servir du sake. Umeko se rendit auprès du plus âgé des deux capitaines et s’enquit :

« Passez-vous une bonne soirée, Okita-sama ?

- Oui, et je dois dire que j’admire vos talents et ceux de votre compagne pour les arts.

- Oh, c’est uniquement dû à l’entraînement. » répondit-elle modestement.

Elle réfléchit un instant avant de remarquer :

« Comme pour vous avec le kenjutsu.

- C’est vrai, sourit-il, bien que je n’aurais jamais pensé à comparer un éventail et un katana.

- Les deux servent à atteindre le cœur de l’homme.

- Ça, c’était équivoque. » observa-t-il.

Elle parut en prendre conscience et baissa les yeux d’un air gêné. Il décida de ne pas aggraver son embarras et changea de sujet :

« Au fait, vous ne m’avez pas encore parlé d’Emiko.

- Certes, je ne m’en étais pas rappelée. Je pense que vous connaissez déjà sa réputation d’artiste inégalable ainsi que l’histoire qui l’a rendue célèbre. Je peux cependant vous parler du temps où j’étais son apprentie, si vous le désirez. »

Il acquiesça et elle poursuivit :

« Elle était réellement une personne formidable, tant par ses talents de geiko que par ses qualités humaines. Lorsque je suis arrivée et qu’on me l’a désignée pour onēsan, j’osais à peine lui parler. Mais rapidement, elle m’a aidée à vaincre ma timidité et nous sommes devenues aussi proches que des sœurs. Elle était d’une bonté et d’une douceur sans égales, grâce à elle j’ai progressé au sein de l’okiya tout en m’épanouissant à mon rythme. Je lui serai toujours reconnaissante d’avoir tant pris soin de moi.

- Vous n’avez pas été triste lorsqu’elle est partie ?

- Un peu, mais j’étais surtout heureuse pour elle. Elle a trouvé l’homme de sa vie et a pu l’épouser, ce genre d’événement est si rare chez nous que je remercie les dieux que cela lui soit arrivé. »

Alors qu’elle relatait ses souvenirs, ses yeux brillaient d’une joie sincère qui fit sourire le jeune homme. Lui-même repensa à ses camarades du Shieikan et à leur fierté lorsque le daimyo d’Aizu avait autorisé la création du Shinsengumi. Tous s’étaient réjouis avec Kondō en particulier, pour qui cet événement marquait un pas de plus vers l’accomplissement de son rêve.

Umeko s’éloigna pour rapporter les bouteilles vides au fond de la salle. Le capitaine jeta un coup d’œil à son voisin pour vérifier qu’il était toujours en était de lui donner des informations. Pendant qu’il discutait avec la geiko, Iwanaga avait ingéré des quantités non négligeables d’alcool, à tel point que c’était un miracle qu’il ne se soit pas encore effondré. Il était d’ailleurs en train de vider sa coupe, qu’il posa d’un geste sec avant de s’adresser à Okita :

« Vous parliez d’Emiko ?

- Oui, pourquoi ?

- Elle avait fait sensation en partant avec ce Satsuma. Il paraît qu’elle était Chōshū par sa mère.

- Et donc ? l’invita-t-il à continuer, sentant qu’il tenait une occasion de le faire parler.

- Ne me dites pas que vous avez oublié qu’à cette époque ces clans se haïssaient déjà. Enfin, peut-être qu’elle a eu raison avant tout le monde au final. »

Il s’interrompit comme s’il peinait à garder les idées claires.

« C’est-à-dire ? insista le capitaine.

- Oh, rien n’est encore décidé vous savez. Mais vous auriez dû voir les émissaires Chōshū discuter avec les Satsuma, ils avaient l’air de bien s’entendre ! D’ailleurs… »

La recrue se tut à nouveau, le regard dans le vague.

« D’ailleurs quoi ? intervint Saitō qui suivait avec attention.

- D’ailleurs… répéta-t-il d’une voix incertaine. D’ailleurs… »

Il marqua une pause, faisant un effort visible pour se souvenir.

« D’ailleurs, il y avait ce démon, là… il a parlé du… Shinsen… gumi. »

Il cessa encore une fois de parler et resta un moment immobile, le regard fixé sur un point par terre devant lui. Les deux capitaines échangèrent un regard soucieux. Ils commençaient tout juste à obtenir des informations mais la partie s’annonçait plus ardue que prévue. Umeko revint auprès d’eux et constata d’un air amusé :

« Il semblerait que votre ami ait atteint ses limites. Espérons qu’il n’aura pas une migraine trop importante demain. »

L’intéressé parut se réveiller et demanda :

« De quoi parlions-nous ?

- Rien de bien important. » soupira Okita.

La recrue hocha la tête d’un air distrait avant de replonger dans un état second.

« Voulez-vous davantage de sake ? proposa aimablement la geiko.

- Volontiers. accepta Saitō.

- Par contre évitez d’en servir à Iwanaga, ajouta son ami, attendons qu’il dessoûle un peu. »

Umeko sourit et alla chercher d’autres bouteilles avec sa compagne.

« Si nous échouons, murmura le plus jeune, Hijikata-san se chargera de lui.

- Ne t’en fais pas, Hajime-kun, je saurai le faire parler avant la fin de la soirée.

- Tu as intérêt.

- Tu me lances un défi ? Très bien, celui qui obtiendra le plus d’informations aura gagné, et le perdant recevra un gage. Ça te va ?

- Si ça t’amuse. »

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