2. Entraide

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 La lumière des appliques murales vacilla. Sans doute une baisse de la tension électrique, songea Célia. La pièce et le couloir furent aussitôt plongés dans l’obscurité : elle n’avait plus qu’à s’éclipser discrètement. Attendre l’arrivée des miliciens et faire comme si de rien n’était lui paraissait trop dangereux. On aurait pu la soupçonner de s’être arrangée avec Surahki pour nier l’existence des recherches. Après avoir intimé à son ami de ne jamais dire qu’ils s’étaient vus, elle sortit du petit studio, tandis que des hommes s’en approchaient déjà. Elle avait tranché. Elle ne devait prendre aucun risque ni pour elle, ni pour sa mère, ni pour sa découverte. Célia rentra à sa cabine, en espérant que personne ne l’y attendrait.

 Ceux qui ne jouissaient pas des mêmes privilèges que les colonisateurs vivaient dans les étages supérieurs du complexe ou proche des flancs du volcan. Il y faisait naturellement plus froid et l’approvisionnement en électricité y était moindre. Les baisses de tension, quand elles faisaient faiblir ou vaciller les lampes dans les meilleurs quartiers, coupaient purement et simplement la lumière pendant de longues minutes dans les zones près de l'extérieur.

 A priori, personne n’avait violé son intimité en son absence. Ses notes étaient toujours en vrac sur le bureau qui était installé sous le lit mezzanine. Ces deux éléments constituaient son petit nid. Pour cuisiner, manger, se laver ou faire ses besoins, il fallait compter sur les espaces communs. Après avoir rassemblé un épais carnet et de nombreuses feuilles volantes, noircies d’écritures désordonnées, de schémas et de glossaires, Célia dissimula l’ensemble sous le matelas. Elle irait les cacher plus tard à l’extérieur du volcan. Mieux valait ne pas être interpellée avec ces éléments sous le bras.

 Pour sortir du complexe sans encombre, il lui fallait de l’aide. Alex, quelques cabines plus loin, fut son premier choix. Ce garçon assez simple était d’une grande gentillesse, surtout avec elle. Célia n’avait pas souvenir qu’il lui ait déjà refusé quoi que ce soit. Elle savait qu’il était amoureux et n’hésitait pas à se servir de cette faiblesse pour obtenir de lui ce qu’elle voulait. Malgré une pointe de remords, c’était exactement ce qu’elle s’apprêtait à faire.

 Comme avec Surahki, Célia fit irruption chez Alex sans s’annoncer. À son entrée, le jeune homme endormi poussa un hurlement, brutalement extirpé de ses songes. Le grincement de la porte avait eu de quoi réveiller un mort. Sans même attendre que son ami émerge réellement ni que son rythme cardiaque s’apaise, Célia lança :

 — Alex, j’ai besoin de toi. Il faut que je sorte du volcan sans que personne ne me voie. Rends-toi à la sortie 22, je te suivrai discrètement. Si tu vois qui que ce soit, continue ta route et mets-toi à siffloter.

 Elle marqua une pause pour s’assurer que son interlocuteur avait bien compris. Peu convaincue, elle poursuivit tout de même :

 — Si tu croises quelqu’un, continue de marcher quelques secondes en sifflant puis arrête-toi un peu plus loin. Je me cacherai le temps qu’ils filent loin de moi. Par contre, si tu croises des gens immobiles, je devrai trouver un autre chemin. Tu connais la chanson Should I Stay or Should I Go ?

 — Euh… oui. Tu l’écoutes tout le temps, répondit Alex sans hésitation.

 — Hein ? Comment tu sais ça ! Je ne l’écoute qu’avec mes écouteurs !

 Confus, Alex sentit une chaleur soudaine et inconfortable lui monter au visage. Ses yeux se promenaient partout dans la pièce, comme si regarder ailleurs pouvait lui permettre de fuir cette situation fâcheuse.

 — Je… En fait… Quand t’es pas là, ça m’arrive de venir dans ta chambre pour… enfin…

 — Laisse tomber, je préfère ne rien savoir. Si tu croises une ou plusieurs personnes statiques, siffle en boucle sur l’air de la chanson quand ça dit ‘Should I Go’. S’ils sont en mouvement, siffle en boucle les notes de ‘Should I Stay’. Pigé ? Vas-y, fais-le.

 Le jeune homme s’exécuta.

 — Tu siffles aussi mal que tu chantes… Bon, au moins j’arrive à distinguer la différence entre les deux. On y va, passe devant.

 Alex sortit de la cabine d’un pas vif, mais s’arrêta net quand il sentit une main sur son épaule.

 — T’as oublié de te rhabiller, grande courge.

 Rouge comme une pivoine et enfin vêtu d’un pantalon, l’étourdi quitta la pièce pour de bon, Célia dans son sillon. En le voyant s’éloigner de sa démarche gauche, elle fut prise d’un élan d’affection. Alex n’avait pas bronché ni même cherché à savoir pourquoi il fallait faire ça. Il avait obtempéré sur-le-champ, comme il le faisait chaque fois. Elle mesura à quel point le pouvoir était dangereux, quelle qu’en soit sa source, et à quel point il était facile d’en abuser… Elle se plaignait des comportements des colonisateurs, mais elle agissait de la même à son échelle, avec Alex.

 La sortie 22 était la plus proche de sa cabine, dans laquelle elle s’arrêta brièvement pour récupérer son carnet de recherches et toutes ses précieuses notes. De retour dans le couloir, après avoir parcouru quelques dizaines de mètres, un sifflement retentit. L’air de ‘Should I Stay’, traduisant des personnes mobiles. Célia regarda autour d’elle. Il n’y avait aucun endroit où se cacher en attendant qu’ils passent. Prise d’un doute, elle se demanda si Alex n’avait pas pu inverser les deux consignes. Pas le temps de tergiverser, il fallait lui faire confiance. Sa seule option était de bifurquer dans un couloir sur sa gauche, puis d’en emprunter un second à droite pour rejoindre Alex. C’était risqué, car elle ne serait pas alertée si quelqu’un s’y trouvait. Ce n’était qu’un passage reliant des habitations, et non un axe principal comme celui que le jeune homme parcourait, ce qui la rassura.

 En disparaissant dans l’angle du mur, Célia jeta un coup d’œil involontaire en direction d’Alex. Elle eut à peine le temps de distinguer trois silhouettes qui venaient de croiser son précieux ami : une grande et deux petites. Elle réalisa après s’être enfoncée dans un long corridor qu’elle connaissait ces personnes. La grande était à coup sûr Gaya, le bras droit du Général. Quant aux petites… Elle se demanda si elle n’avait pas rêvé. Elle était pourtant certaine d’avoir reconnu Maureen et Justine.

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Ici, les lecteurs de Votre Récit ont décidé que Célia poursuivrait son objectif initial, sans s’arrêter pour venir en aide à Justine et Maureen.

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