Je ne veux pas savoir.

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À celle qui me poursuit encore dans mes rêves.

Je ne te demanderai pas si tu vas bien. Je m’en fiche. Je ne te demanderai pas comment va ta vie. Ça n’a plus d’importance. Où que tu sois, qui que tu sois devenue, je ne veux plus te voir, jamais. Alors pourquoi cette lettre ? Pourquoi parler de toi si je veux t’oublier ? Tu veux savoir ? Non, hein. Tu t’en fiches. Pas moi. Parce que même si ça fait quatre ans, tu es toujours là. Même si tu m’as abandonnée il y a quatre longues années, penser à toi me rend toujours folle. Je trouve toujours le moyen de te faire porter le chapeau.

Tu as dit que ce n’était pas de ta faute. Que tout allait bien. Et puis, en fait, que c’était de notre faute. De la mienne. Parce que je ne communique pas beaucoup. Parce que je ne vais pas vers les autres de mon plein gré. Je veux bien le reconnaître. C’est un fait. Je suis comme ça, et même si j’essaie de changer, ça reste très difficile. Mais ça, tu le sais. Tu le savais. Très bien. Si bien. Il y avait sept ans que nous étions meilleurs amies. Sept ans. Et tu m’avais promis qu’on ne s’éloignerait pas. J’étais certaine que nous étions comme des sœurs. J’étais même certaine que nous le serions toujours, peu importe la direction que nous prenions. À vrai dire, j’ai encore du mal à me défaire de cette idée.

Les premiers coups de couteau que tu m’as assénés, sache-le, c’est en passant devant chez moi, de multiples fois, sans lever le moindre regard vers les murs où tu as passé tellement de temps. C’est idiot, je sais, mais ça m’a donné l’impression que tu avais déjà tourné une page que moi-même je n’avais pas lue. Même aujourd’hui, lorsque je passe devant ta maison, mon premier réflexe est de chercher si je peux te voir par la fenêtre. Et puis je me reprends et je me force à détourner le regard, mais ça me fait mal. Chaque fois, ça me rappelle que je t’ai vue passer, devant moi, sous mes fenêtres, sans un regard. Et ça me rappelle combien j’étais jalouse de ma voisine, qui t’invitait sans cesse, j’entendais ta voix, tes rires, et j’avais l’impression d’être mise de côté, oubliée. Et ça me faisait mal, parce que c’était toi. Je n’étais peut-être pas digne d’être la plus proche de toi. Mais si tu me l’avais dit, au lieu de t’éloigner sans un mot, de disparaître, de m’oublier, s’il s’était passé quelque chose, je pense que je n’en serai pas là aujourd’hui. J’ai peut-être tort. Je crois même que j’ai tort. Mais il n’empêche. J’ai toujours l’impression d’avoir été abandonnée parce que je n’ai pas été capable de m’accrocher à toi.

Le pire, du moins je crois, c’est que si je te disais tout ça en face, tu t’en ficherais complètement. Tu me dirais que ce n’était la faute de personne, qu’on s’est simplement éloignées, fait d’autres amies, d’autres connaissances, qu’on n’avait plus d’intérêt l’une pour l’autre. C’est comme ça, et c’est tout. Peut-être. Après tout, peut-être. Pour toi, du moins.

Je ne te l’ai jamais dit, mais je n’en étais pas là. En fait, j’étais à des kilomètres de là, perdue dans mes rêves, espérant te croiser, toujours, dans le bus, à l’arrêt, sur le chemin, devant le lycée, et j’imaginais ce que tu me dirais, ce que tu me raconterais. Je n’ai jamais cessé d’espérer que nous nous retrouverions, même pour une poignée de secondes, même pour échanger un regard. Alors quand je t’ai vue, ce jour-là, en descendant du bus, j’étais tellement heureuse. Tu n’imagines même pas. J’aurais voulu te parler, t’écouter, te raconter et te comprendre, comme autrefois. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’imaginer quoi que ce soit, tu m’as dit bonjour et tu as récupéré une autre amie que nous avions au collège, nous avons fait trois mètres ensemble, et puis vous êtes rentrées chez toi. J’avais pu échanger trois mètres avec toi et je m'en étais retournée, comme si tu avais éclairé ma journée.

Et je ne t’ai plus revue. Je ne t’ai plus parlé. Plus un mot, plus un regard, plus rien. Je ne suis même pas sûre que nous ayons échangé le moindre message. Tu as simplement disparu. Avec cette fille que je n’ai jamais vraiment pu apprécier. Et je savais que tu continuais de la voir, c’est ça les réseaux sociaux. J’en étais jalouse, maintenant je le sais. Parce que pour vous, ça n’avait pas changé grand-chose de ne pas être dans le même lycée. Parce que pour nous, ça avait tout changé.

Au bout d’un certain temps, j’ai compris et j’ai essayé de soigner mes blessures. C’est ce que je disais dans ma précédente lettre. Mais le hasard a fait que le destin a choisi de rouvrir la plaie qui commençait tout juste à cicatriser lorsque nous nous sommes retrouvées face-à-face aux portes ouvertes de l’université. Ça ne m’a pas choquée, je n’ai jamais arrêté d’imaginer que je pourrais te trouver par hasard là où j’allais, mais quelque chose en moi m’a dit que plus je resterais loin, moins j’avais de chances de finir blessée. Rester dans son coin, sur sa table, pendant que nos mères discutaient, nous avons échangé un demi-sourire, un demi bonjour, et j’ai écouté ce que ta mère disait de toi. Le prestige, la plus haute école. Tu visais l’excellence. Et je me doutais que cette ambition te rendait fière. Cette université, où je suis aujourd’hui, tu la voulais à tout prix, et je comprends pourquoi. C’était la plus proche, la mieux notée, tout ça. Et je sais qu’elle t’avait acceptée. Tu as toujours été meilleure que moi.

Mais tu n’es pas là. Et quelque part je suis soulagée de le savoir. Parce que je ne sais pas comment j’aurais fait si tu avais accepté. C’est déjà suffisamment difficile seule, alors avec toi, je n’aurais probablement pas été capable de l’affronter. Ma bêtise est là. J’ai tellement peur de retomber dans mes travers que je ne veux plus te voir. Je veux t’oublier. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi, parce que savoir que tu vas bien me rassure. Ça me rend folle. Savoir que tu existes encore me rend mauvaise, j’ai l’impression d’être l’incarnation de toutes les vanités du monde. Jalousie, colère, haine, dégoût et pitié se battent tandis que je les réfrène, puisque je ne veux pas y penser.

Voilà, je ne t’en dirai pas plus, j’en ai déjà trop parlé. J’espère ne plus avoir à écrire ces lettres pour me défouler et t’oublier définitivement.

Celle qui ne veut plus entendre parler de toi.

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