Chapitre 5 : La poursuite

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[Alfred replongea à nouveau dans ses ruminations]

Pourquoi la tante Mathilde insistait pour que lui et le gamin fassent cette virée sur le plan d'eau ensemble alors que l’antipathie était extrême entre eux. Qui plus est, elle n’était même pas venue avec eux, les laissant en quelque sorte, livrés à eux-mêmes.

Et surtout il la trouvait distante ces derniers temps.

Tantôt, elle semblait absente, mystérieuse. Parfois accablée et presque impotente, indolente. Souvent fière et inaccessible, hautaine et froide, cachotière, raccrochant le téléphone après bien des phrases sibyllines et évasives.

Alfred imaginait des échanges avec le notaire, des difficultés de santé évoquées avec le phlébologue ou le cardiologue. Pourtant, il la surprit à une occasion dans un tel état d’émoi que même le dernier des imbéciles comprenait qu’il y avait "baleine sous gravillons".

Elle devait avoir d'autres soupirants mais ne laissait rien paraître.

Et cette " maison de jardinier", ainsi qu'elle l'appelait, implantée dans le fond du parc avec une serre attenante. Souvent, le retraité apercevait un couple âgé selon lui d’une quarantaine d’années. Il effectuait des allers et venues à bord d'un Land Rover gris métallisé, un ancien modèle aux vitres teintées, celui que l'on voyait dans les safaris africains.

"Un Land Rover ! "

  • Nom de Dieu. Mais c'est ça ! dit-il alors que sa voix rebondissait de facon sonore dans l'espace confiné du vehicule.

Mathilde disait qu’elle envisageait de louer cette partie de la propriété pour s’assurer un complément de revenu. Aussi, avait-elle sollicité une société spécialisée en rénovation et agencement d'intérieur de maisons anciennes.

Un portail dans le fond de la propriété permettait à ce couple discret d'artisans d’avoir une entrée privée pour circuler. Alfred n'avait donc pas eu l'occasion de croiser de près ces individus et leur véhicule. Ni non plus de voir l'avancement des travaux.

  • Mais oui ! Pas de doute. Ça ne peut être que cela ! dit-il à voix basse.

À l’extérieur de la maisonnée, quelques accessoires donnaient facillement le change. Des casques de couleur bleu attiraient l’œil de loin et dissuadaient à distance la curiosité. Un piquetage de chantier avec du film bicolore fluorescent délimitait la zone.

  • Tu parles d'un couple de prestataires. Ils travaillaient pour la vieille. Sûr. Et pas pour des travaux de rénovation, partie visible de l'iceberg. Ils effectuaient surtout les basses besognes, à l'ancienne.

L'espace d'un instant, Alfred se retrouva plongé dans un film de Michel Audiard, "Les tontons flingueurs", avec ces fameuses répliques, mais l'humour en moins.

  • ...
  • Mais c'est qui, cette Mathilde ? Lança-t-il cette fois à tue-tête tout en dévisageant le gamin dans le miroir du rétroviseur, assis sur la banquette arrière.
  • ...
  • Tu la connais bien ta tante ?
  • ...

[Sur la route, vers 04h30, à hauteur de la Chapelle sur Aveyron]

Alfred avait repris la route en direction de Reims.

Il surveillait dans son retroviseur d'intérieur le gamin à l'arrière, toujours ficelé et qui piquait du nez pas moment. Derrière lui, dans la nuit qui tirait sur l'aube, il ne voyait pas de véhicule à sa poursuite, d'un modèle tout-terrain.

Avait-t-il réussi à semer ses poursuivants ? Bien qu'il se dise que jusqu'alors, ils avaient trouvé le moyen d'être toujours sur ses traces.

  • Un mouchard !

Il songea à un portable allumé... Cela lui rappelait ses séries policières préférées. Mais lui, à titre personnel, n'aimait pas trop l'usage de ces outils de communication.

Mais par contre, "le Jérémy" ?

Oui mais il était tombé à l'eau... Alors, y-avait peu de chance ?

  • Enlever la batterie ! sortit de sa bouche comme s'il avait compris la poussée d'Archimède.

Avant de franchir l'Aveyron, Alfred pila dans un chemin allant sur berge. Après avoir retourné en tous sens le gamin qui dégageait une forte odeur d'étang, il finit par trouver le téléphone dans la poche arrière de son jean.

  • Tremp'.

Aussitôt, il retira la pile et jeta le tout en vrac dans la boîte à gant.

Ensuite, il se gava de café et de biscuits mais cela ne suffisait pas à le maintenir éveillé. Un peu avant le village de Pont sur Yonne, il quitta l'axe principal et se réfugia dans un massif forestier plutôt dense. Il fallait qu'il dorme au moins deux heures pour se retaper...

[Yvan et Irina, un duo de chocs]

Irina, une petite nana pas maigrichonne.

Muscu, fitness et self défense, elle avait complété et mis en pratique ses compétences dans une boîte privée de sécurité. Elle maîtrisait le maniement de plusieurs armes blanches et excellait dans le tir à l'arme de poing.

Depuis cinq ans, elle travaillait en free lance avec Yvan pour différents commanditaires. Et voici quelques mois à présent, elle bossait pour madame Seurat qu'elle surnommait avec un certain mépris "Super-Mathilde".

La vieille sous des apparences de gentille mamy, cachait un coeur de pierre et surveillait ses biens personnels avec une grande jalousie et une rare violence à quiconque s'y intéresserait de trop près. Depuis quelques jours Yvan et elle avaient reçu pour mission de se débarasser du gamin et du vieux qui commençaient à mettre leur nez partout et surtout à lui prendre la tête.

Alors, sans faire dans la dentelle, elle avait déboulé le dimanche matin de très bonne heure dans la maison du jardinier et mis le contrat en main. Assis dans la petite cuisine, Ils prenaient en silence le café. En voyant la Mathilde, ils avaient sursauté devant cette femme impulsive.

  • 50000 euros.
  • ...
  • 25000 par tête.
  • Je les envoie en promenade sur un lac du coin. À vous de les suivre et de vous en débarasser. Avec discrétion, cela va sans dire. Je vous donne carte blanche. Mais vous me tenez au courant. Clair !

Le couple de sbires acquiessa sans mot dire.

Alors elle sortit.

Sur la table, des liasses d'euros en billets de 500 gisaient dans un pochon d'épicier. Yvan et Irina tout de suite tiquèrent devant tant de liquide et surtout en grosses coupures. La vieille détenait des moyens financiers.

  • Difficile à écouler, avait dit Yvan en fixant droit dans les yeux Irina.
  • ...

[Gien, Place Saint-Louis, 03H47.. ]

Arrivé à hauteur du grand gignol déguingandé qui gisait à terre, Yvan pila avec la Land Rover pour laisser sa partenaire descendre par la porte arrière.

  • Allez, tu le récupères. On laisse personne derrière nous et on dégage. Grouille !

La jeune femme réussit à tirer le gars qui en fin de compte ne pesait pas bien lourd. Yvan fit le tour, déverrouilla la porte arrière, et la rejoignit pour l'aider à soulever le gigolo. En un temps record, il passa des serflex autour des pieds et des mains et un dernier pour relier poignets et chevilles, réduisant le pantin à une boule informe.

Ils roulèrent l'énergumène sur les équipements et accessoires entreposés dans le coffre. Yvan jeta une bâche kaki sur le corps, claqua la porte et tous deux remontèrent à bord dans un ensemble parfait.

On entendit qu'un seul bruit de portière.

Les pneus crissèrent sur la chaussée.

Il ne resta qu'un deux-roues de la marque Vespa sur sa béquille et aucune trace des autres membres de la bande. Plus loin un casque rouge gisait sur le trottoir. Et ici et là des balles en caoutchouc se confondaient dans la pénombre du caniveau.

Yvan coupa tous les phares sur quelques rues adjacentes. Ils croisèrent à bonne distance une patrouille de gendarmerie en kangoo bleue, giro tournant, lancée à vive allure.

Ils reprirent alors la départementale 940 vers Reims. Pour lui, c'était la bonne direction. Irina surveillait sur un écran informatique, le signal d'une balise GPS.

Pendant l'accrochage avec les gamins, il avait réussi à balancer un mouchard aimanté sur le toit de la carosserie de la 4L alors que cette dernière décrochait de son emplacement. Alfred n'avait pas dû sans rendre compte en raison des impacts de balles en caoutchouc qui tapaient dans toutes les directions.

Une carte SIM permettait de se connecter au premier réseau disponible. Et une application assurait le suivi en temps réel lors des déplacements et des stationnements. Cependant, la portée du signal pouvait laisser des zones d'ombre et l'autonomie se limitait à 72 heures. Avec un peu de chance, le retraité ne fouinerait pas sur le toit de la Renault qui comportait une galerie avec des jerrycans et différents accessoires.

Le traceur s'était aimanté à l'une des nourisses pleine d'essence.

Yvan n'en savait rien et Alfred non plus.

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