Chapitre 4 : L'embuscade

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Alfred ne fumait plus depuis des années. Mais là, avec ces maux de tête lancinants, en griller une, l’aiderait à tenir. Par réflexe, comme pour se détendre, il passa la main sur l'hématome encore tuméfié.

Le gamin lui avait bien allumé la "tronche".

[Entrée dans la ville de Gien - vers 03H30 du matin]

Alfred tenait une moyenne de soixante-dix kilomètres à l'heure en incluant les pauses techniques. À présent, il décelait dans la nuit le halo caractéristique de l'éclairage urbain de la ville de Gien. Une fois franchie la Loire, il s'arrêta dans la première ruelle d'un quartier endormi à deux pas d'une immense et historique fortification.

Il trouva un emplacement dénué de lampadaire. Cela lui laissait une vue dégagée pour parer à tout imprévu. Et il voulait échapper aux regards de quelques riverains insomniaques. Après s'être massé le visage et les yeux pour tenter d'effacer la fatigue, il sortit en douceur, contourna le véhicule pour se glisser dans l'obscurité d'un porche.

Le moteur sous la carosserie chantait en se refroidissant.

Un paquet de Gitane non entamé en secours dormait dans la boîte à gants pour les cas d'urgence. Il s'alluma une sans-filtre avec son vieux Zippo, en cachant la flamme avec un pan de son blouson sans manche. Il rangea son étui dans la poche de poitrine.

Alors qu'il tirait une longue et profonde bouffée en masquant le rougeoiment au creux de ses mains, des phares de scooters, sortis de nulle part, se dirigèrent dans sa direction. Il entendait le ronronnement caractéristique des pots d'échappement.

De jeunes conducteurs, en apparence, jouaient avec la manette des gaz comme pour impressionner. Ils s'avançaient comme un essaim de guêpes. Alors Alfred ne perdit pas de temps. Tout en expulsant un nuage de fumée bleuâtre, il sortit de l'ombre, bascula la fenêtre triangulaire de la porte passager de la 4L et plongea la main pour extraire une batte de base-ball.

Il jeta un regard périphérique et surprit les lanternes d'un véhicule de type 4x4, qui semblait stationner sur les bords du fleuve, à plus de deux cent-cinquante mètres...

Son esprit en un éclair imagina l'hypothèse d'un témoin, d'un voyeur ou bien d'une aide inespérée ?

Le palpitant commença à grimper.

Les idées tournaient en farandole.

Alfred jeta sa clope à peine entamée dans la direction du premier venu, histoire de marquer son territoire... Des gerbes d'étincelles se formèrent sur le phare avant du deux-roues de tête qui pila.

[ À bord du Land Rover de couleur gris métal, veilleuses allumées, un homme et une femme observaient la scène ]

  • Madame !
  • Oui Yvan !

Il s'ensuivit une succession d'échos et de crachottements dans le haut-parleur du combiné puis la voix reprit.

  • Vous avez une idée de l'heure ? dit-elle très agacée.
  • Oui madame. Mais là, ça se gâte. On planque avec Irina.
  • Hum ! fit-elle suffisante en se redressant dans son lit.
  • Oui, nous nous situons à Gien.
  • Et la 4L ?
  • Je l'ai en visu. Le conducteur vient de se garer.
  • Que fait-il au juste ?
  • Eh bien, je pense qu'il va bientôt avoir des ennuis.
  • Qu'entendez-vous par là ? J'espérais une disparition sans témoin.
  • Moi de même. Soyez-en certaine ! Mais depuis que je piste vos deux lascars, aucune occasion franche ne s'est encore présentée.
  • Et à quoi pensiez-vous alors ?
  • Eh bien, selon moi, j'imaginais qu'il remonterait vers la Belgique par les Ardennes. D'après le courrier à votre intention et que j'ai intercepté dans une boîte aux lettres, il envisageait de mettre le gamin dans le train pour Chartres afin qu'il prenne l'avion à Bruxelles pour les Caraïbes. Mais en cours de route, il y a eu un changement de programme !
  • Les Caraïbes ! oui j'ai entendu cela sur un message, hier. Poursuivez !
  • Je présume qu'il emmène le gamin vers l'aéroport de Bruxelles par la route.
  • Alors vous pensez agir où !
  • Le passage dans les forêts ardennaises me semblent indiqué pour les liquider, en toute discrétion et sans laisser de traces. Et on brûlera leur voiture plus loin vers la frontière.
  • Vous disiez, des ennuis ?
  • Oui, des merdeux en scooter, madame. Ils cherchent à gratter de la tune ou à piquer la bagnole, j'imagine. Voulez-vous que je mette en déroute cette bleusaille ?
  • Oui, mais utilisez des flash ball et fouttez-leur la trouille... Et surtout, ne me perdez pas de vue, mes "deux amours".
  • Ok ! Comme vous voudrez ! dit-il en coupant la liaison avec une certaine jubilation sur le visage.

Une patrouille de gendarmerie ou de police risquait d'intervenir à tout moment. Alors il fallait intervenir de manière efficace et rapide : mettre en fuite les petits caïds et laissait croire à Alfred qu'un bon samaritain lui permettait de s'éclipser.

Irina se glissa à l'arrière, ouvrit une malette contenant deux revolvers Umarex HDR 68.

D'une main experte, elle procèda aux vérifications en approvisionnant les barillets avec des projectiles Devastator en plastique qui développait une puissance à l'impact de vingt Joules. Elle plaça l'une des deux armes le siège avant à l'intention d'Yvan, puis se cala à l'arrière, côté passager, en abaissant la fenêtre, prête à tirer.

Yvan remit le moteur en route, alluma la rampe de spots de poursuite, passa en mode plein phare et lança le véhicule à vitesse croissante pour impressionner. Les gamins allaient comprendre leur douleur. Mais allaient-ils se laisser faire.

[ Presqu'au même moment près de la Renault 4L]

  • Alors l'ancien, on se tape une p'tite pause ! lança un grand type tout mince.

Etrange individu quelque peu excentrique, en denim moulant et troué, la ceinture bardée de chaînes chromées. Il portait sur la tête un casque rouge fluo posé de guingois, des lunettes de moto multicolores vissées sur les yeux et des éclairs dorés zèbraient un blouson en faux-cuir trop large.

  • Écoute, mon ptit gars. Barre-toi avant que je ne t'apprenne les bonnes manières ! se fendit aussi sec Alfred.

Au plus profond de lui, il balisait quand même.

Le gars descendu de son scoot' avançait sur lui l'air décidé, une main dissimulée dans le dos, comme quelqu'un qui cacherait un flingue ou une matraque. Il lui fallait agir de suite.

  • La classe, ta tire. Moi, elle me plait bien. En plus, t'as des vignettes d'origine sur le parebrise ! dit-il avec la gouaille d'une petite frappe de province, tout en se penchant au-dessus du capot.

Alfred en profita aussitôt pour balancer sa batte comme un fléau. Cette dernière atterrit sur le casque provoquant un bruit de pastèque qui explosait. Le gars voulut sans doute éviter le coup en parant avec son avant-bras gauche et il brandit un automatique en l'air de la main droite.

Un bruit de coup feu déchira la nuit au milieu des ronronnements des Vespas. Des lumières derrière des persiennes s'allumèrent.

Le petit caïd, déséquilibré en arrière et sonné, lacha son arme en perdant connaissance. À l'impact, son casque non sanglé disparut. Il s'effondra, groggi, un filet de sang en travers du front et de la bouche. Après un vol plané, le flingue termina sa course aléatoire sur le sol et glissa derrière la grille d'un soupirail.

Le coeur et le cerveau d'Alfred tournaient à plein régime.

Il entendit alors un véhicule qui déboulait tous phares allumés et crut reconnaître le 4X4 stationnée plus tôt en amont de la rue. Des impacts de gros grelons en gomme s'abattirent sur le carénage des deux-roues. D'autres rebondirent sur la chaussée ou claquèrent dans les blousons des conducteurs...

Cris étouffés...

Chuintements de tir...

Moteurs hurlants de deux temps...

Pneus qui crissaient...

Bris de glace qui inondaient de brillants la chaussée...

Des volets de curieux s'entrouvraient.

Quatre ou cinq gamins coupèrent leur éclairage et disparurent sur leurs deux-roues dans une rue parallèle, manette des gaz tournée à fond. Alfred remonta dans la 4L par la porte passager et se remit au volant. Il alluma le contact en urgence, passa la première et dans un déchirement sonore de pignons et de graviers, réussit à s'extirper de l'accôtement et à se glisser dans la ruelle suivante par la droite au moment où le tout-terrain approchait.

Il regardait fébrile dans ses rétros. Seuls le château et son musée dédié au tir de chasse et de la fauconnerie, souvenirs d'un passé royal, apparurent au-dessus des toits, éclairés par de puissants projecteurs.

Et rien d'autre...

Il retrouva les abords de la Loire...

Des rues désertes...

Pas de girophares, ni de sirènes.

À l'instinct, il bifurqua à droite, longea le fleuve sur le quai du Maréchal Joffre, puis le quai de Nice et enfin retrouva la D940.

[Et toujours personne derrière lui]

Il rejoignit Bussières, 8 kms plus au nord. Un panneau sur fond bistre indiquait un autre château. Il se rangea à proximité, rue de la Paille.

Des douleurs gastriques violentes lui secouaient les tripes. Il fouilla sous le siège avant dans une malette pleine de médocs et bien d'autres produits toujours utiles. Dans un gobelet rempli d'eau, il dilua un cachet de citrate de Bétaïne.

De grandes auréoles se dessinaient sous ses aisselles et dans son dos. Il alluma une clope et tira très fort dessus, provoquant un rougeoiement instense sur son visage et révélant son reflet fugace dans le parebrise. Son regard se perdait dans le vide.

Le village lui semblait trop calme...

Un stationnement libre entre deux véhicules...

Une camionnette de livraison au début de la rue offrait un parfait écran...

Il pouvait souffler dix minutes.

C'est alors qu'il sentit la présence intense du gamin.

En se retournant, il constata que ce dernier le dévisageait. Sans cagoule, le sparadra arraché de la bouche. Du coffre, il avait basculé sur la banquette. Ses mains nouées dans le dos et attachées à ses pieds limitaient toute action offensive.

  • T'es qu'un gros connard, Alfred. Tu le sais ça ? Déballa d'un trait Jérémy en crachant de la bave, les yeux injectés de sang avec d'immenses valises noires en-dessous.
  • La ferme ! T'entend, la ferme ! rétorqua-t-il en le menaçant du manche de sa batte. On va causer tous les deux, je peux te l'assurer, mais pas de suite.
  • ...
  • Faut qu'je récupère !

Alfred attrapa une bouteille d'eau avec un embout en pipette. Il lui glissa un biscuit dans la bouche et lui permit de se désaltérer.

  • Voilà, t'as bu. T'as mangé un bout et maintenant... Tu la fermes, dit-il en distinguant chaque syllabe.

Jérémy se sentait impressionné par le sexagénaire... Il commençait même à éprouver une certaine admiration. De son côté, Alfred suçait un bonbon au miel tout en déroulant le film de la rixe.

Une bagnole qui déboule pile poil au bon moment.

Avec deux personnes à bord.

Un gars et peut-être une nana.

Ils interviennent en défourraillant avec des armes à balles en caoutchouc !

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