Chapitre 2 : Face à la toile.

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Dans la demeure des rouquins, Elliot et Faye se tenaient au chevet de sa mère. Après de nombreuses séances de chimiothérapie, ils avaient choisi de lui accorder un temps à la maison. Malade, fatiguée, et une perruque sur la tête, Alice souriait malgré tout. Ces moments en famille lui avaient tant manqué. Elle déposa un baiser sur la main de sa fille lorsqu’elle demanda à être seule avec Elliot.

Il s’assit au bord du lit pour passer une main sur sa joue. Des larmes dans les yeux, sa femme continuait de sourire bien que ses lèvres tremblaient :


  • Tu sais que ça ne changera rien si tu y vas ce soir…
  • Ne dis pas ça, lui souffla-t-il.
  • Les médecins ont peu d’espoir… Tu le sais, dit-elle d’un air résigné. Ce n’est pas parce que tu fais don aujourd’hui que je serais guérie demain, il faudra des années de recherches et…
  • Je sais. Mais… même si ça prend des années, ou des siècles, dit-il en serrant sa main, je veux être sûr d’avoir apporté mon aide pour éradiquer cette saleté de maladie. Laisse-moi investir dans ce qui pourra peut-être… en sauver d’autres.
  • Alors laisse-moi y participer également...

Lorsqu’il baissa la tête en guise de réponse, Alice attrapa son visage entre ses deux mains. Ils partagèrent un long regard, puis un baiser qui dura également.

Derrière la porte, Faye mordait violemment ses lèvres pour s’empêcher de pleurer. L’énorme pression qu’elle ressentait dans sa poitrine l’empêchait de respirer convenablement. Elle essuya une larme sur sa joue, en colère, et s’enfuit dans sa chambre le plus silencieusement possible. Les mains tremblantes, elle arracha du dessous du tiroir de sa table de nuit un sachet de pilules. Elle n’avait plus pris d’ecstasy depuis des mois. Depuis qu’Alex s’était porté volontaire comme remplaçant à la drogue. Elle le revoyait jeter le paquet au sol lors de cette fameuse fête et fit de même avec ce dernier, l’envoyant valser à l’autre bout de sa chambre. Il la tuerait si elle en reprenait, la punirait, comme elle le méritait pour être une si mauvaise fille. Comment pouvait-elle se montrer si faible alors que sa mère souffrait bien plus ? Elle refusait de pleurer, de lui montrer sa tristesse. Elle se sentait tellement faible, lamentable.

Une fois calmée, Faye se leva de son lit pour ramasser le paquet. Les yeux rouges et humides, elle prit une des gélules et la jeta sur sa langue. Une fois avalée, elle sentit son corps trembler. Elle courut alors aux toilettes pour se forcer à la recracher. Au-dessus de la cuvette, haletante, elle essuya sa bouche d’une main et attrapa son téléphone dans sa poche de l’autre. En envoyant le message : “j’ai recommencé”, elle ressentit à la fois un mélange de culpabilité et une immense satisfaction à l’idée qu’Alex la malmène pour avoir récidivé.


***


L’arrivée d’Eglantine, suivie de Loyd, dans le musée où les œuvres avaient été exposés pour l’occasion, créa un engouement général. Elle fut accueillie par de nombreux applaudissements et encouragements. Les photographes et journalistes jouaient de leurs appareils lorsqu’elle monta sur une petite estrade en compagnie de son fils. Tandis qu’elle remerciait les invités de leur présence et présentait son projet, Loyd parcourait la foule des yeux. Il était légèrement nerveux. C’était la première fois qu’il s’entourait d’autant de monde. Il reconnut quelques pointures de la télévision, comme la présentatrice du journal ou des politiciens qui partageaient les mêmes idéaux que sa mère. Il tentait de garder fière allure face à toutes ces personnalités. Alors que des chefs d’entreprises et même quelques stars s’étaient présentés, il ne vit aucun Richess parmi eux : “la cause n’en valait-elle pas le coup ?”.


  • Je vous invite à profiter de l’exposition de ma galerie personnelle, ainsi que des amuse-bouches préparés avec soin par le personnel de …

Il l’observa poursuivre son discours, essayant de voir si elle était déçue qu’aucun d’entre eux ne se soit montré. Il se ravisa en pensant que ce n’était que le début de la soirée.


  • La vente s’effectuera plus tard dans la soirée, veuillez vous y inscrire auprès de mon collègue, expliqua Eglantine en montrant un homme en costard. Il s’occupe également de récupérer les dons…

Elle sourit en découvrant une tache bleue apparaître dans le fond de la salle, puis se reprit, plus apaisée. Il était là. Chuck Ibiss s’était déplacé pour l’événement. Loyd frissonna de la tête aux pieds en rencontrant son regard perçant. Dans un magnifique costume noir, il s’avançait en encourageant sa femme à se fondre dans la masse, tout en la tenant par la taille. Loyd porta une main à son nœud papillon quand il vit que ce dernier portait une cravate. Son cœur s’écrasa davantage en voyant Laure apparaître dans un super ensemble blanc. Son père s’assura de la garder à ses côtés le temps d’écouter la fin du discours. En découvrant Loyd à son tour, cette dernière le fixa intensément. Même si elle s’était doutée qu’il serait présent, faire semblant de ne pas le connaître personnellement, alors qu’il avait fourni un tel effort vestimentaire, fut difficile. Mais d’extérieur, Laure réussissait parfaitement à sembler aussi sévère que sa mère.


  • Je vous remercie encore une fois de votre présence…

Dès qu’elle eut fini, les serveurs s’acquittèrent de leurs missions en proposant champagne et gourmandises aux invités. Ils s’éparpillèrent dans la salle, certains s’empiffrant, d’autres s’émerveillant devant les œuvres d’arts, mais tous semblaient attentif aux gestes de la famille Ibiss. Au bras de sa mère, Pris Dechâteau, Laure, qui attirait tous les regards, ne voyait pas à quel point cela pouvait rendre jalouse la femme qui l’avait mise au monde. Loyd se força à ne pas la dévisager, avide de parcourir sa superbe silhouette. À la place, il suivait Eglantine dans son parcours entre les invités qui les saluaient chaleureusement. Il pensa qu’il n’avait encore rien accompli pour être traité avec autant de gentillesse. Pendant qu’un professeur d’université le questionnait à propos de son avenir, il cherchait subtilement l’endroit où Chuck Ibiss s’était réfugié. La réalité s’avéra être à couper le souffle. Alors que l’homme se tenait devant un immense tableau, la salle entière gardait ses distances, jetant des coups d’œil curieux dans sa direction. Plongé dans ses pensées, personne n’aurait osé venir le déranger. Personne sauf l’hôte de la soirée. Eglantine déposa une main sur l’épaule de son fils :


  • Je vais tenter une négociation, tu me rejoins après ? proposa-t-elle en le voyant en mauvaise posture, le monde rêvant de se l’approprier.
  • Oui, dans quelques minutes, répondit-il, soulagé d’avoir une excuse pour leur échapper.

Il sentait également son cœur s’emballer à l’idée de s’approcher du père de Laure. Gardant à l’esprit politesse et courtoisie, il continua de discuter avec plusieurs invités. Il observa tout de même sa mère faire lorsqu’elle l’interpella.


  • Monsieur Ibiss, c’est un honneur de vous recevoir, fit-elle en lui tendant directement sa main.

Une pression s’installa dans la salle, tant parce que certains savaient qu’ils devaient se taire à propos du passé, ayant partagé la même école, que parce que d’autres n’en revenaient pas qu’ils soient face à face. Chuck esquissa un très léger sourire, gardant son professionnalisme :


  • C’est participer à ce gala et à cette vente qui est un honneur. Vous êtes magnifique, dit-il en attrapant sa jolie main pour presque y déposer un baiser.

Elle sourit face à sa courbette et offrit son dos aux invités, admirant à son tour la toile. Il fit pareil. Un silence s’installa entre les deux Richess. Eglantine attendait que les curieux reprennent leur conversation pour parler librement. L’avoir ainsi à côté d’elle lui rappelait tant de souvenirs, notamment l’une de leurs sorties scolaire au musée. Le bruit de fond revenant à un volume adéquat, elle se sentit plus à l’aise :


  • Je suis vraiment contente que tu sois venu, souffla-t-elle.
  • Au plaisir, sourit-il à son tour. J’ai suivi activement toutes les nouvelles concernant l’événement, je n’aurais loupé ça pour rien au monde. Tes efforts auront payé. J’espère qu’après ce soir, vous aurez les fonds nécessaires pour développer les recherches.
  • Je l’espère aussi. Peut-être que nous y arriverons avec un petit coup de pouce de la part de “Monsieur Ibiss”, lui lança-t-elle d’un air taquin.
  • Qui aurait cru que la petite Eglantine Akitorishi deviendrait une telle négociatrice, rit-il. Je compte bien sortir mon chéquier près de ce gentil homme, oui, acquiesça-t-il en montrant son collègue d’un petit mouvement de tête. Je souhaite aussi participer à la vente. Celui-ci est vraiment magnifique. Je crois que ma fille adorerait l’avoir dans sa chambre, ajouta-t-il en venant caresser le cadre de l’immense peinture.
  • Elle aussi est magnifique…
  • Ne parlons même pas de ton fils, lui renvoya-t-il le compliment. C’est un très beau gamin. Il semble avoir la compétition dans l’âme, fit-il en jetant un coup d’œil à Loyd dont il croisa immédiatement le regard.
  • Eh bien, je ne m’en étais pas rendu compte avant aujourd’hui…
  • Est-il possible qu’il veuille me détrôner ? Il m’a l’air très persistant, plaisanta-t-il.

Eglantine rit en retour, mais cette idée la tracassait vraiment. Les deux Richess, qui partageaient un moment calme et apaisant, furent interpellés par de grandes exclamations. Ils se retournèrent pour la découvrir, seule, dans une superbe robe moulante, ses boucles blondes plus scintillantes et remontées que jamais. Marry se redressa davantage en apercevant son ancien amant et s’invita férocement dans la salle quand elle vit Pris. Les deux femmes se foudroyèrent du regard un court instant. Laure suivait l’exemple de sa mère et gardait ses distances avec cette femme qui, dans un tout petit coin de sa tête, l’impressionnait.

Toujours devant la toile, Eglantine et Chuck étaient de nouveau devenus silencieux. Ce dernier fixait la peinture, se perdant dans les couleurs d’un air résigné.


  • Je suis étonnée que tu ne la provoques pas…
  • Oh, tu sais, murmura-t-il en haussant légèrement les épaules. Je crois que si je la regarde maintenant, je risque de ne pas résister à mon envie de lui faire des bébés, dit-il en attrapant le verre qu’un serveur nerveux lui tendait.
  • Je ne pouvais pas attendre une réponse plus honnête de ta part, gloussa-t-elle.
  • Ce sera notre petit secret, chuchota-t-il à nouveau en transperçant le serveur curieux de ses yeux clairs. Bien, Madame Akitorishi, je pense qu’il est temps que nous discutions affaires. Devrais-je devenir un donateur permanent ? Ne serait-il pas mieux que nous construisions un vrai projet ensemble qui amènera des dons réguliers à la lutte contre le cancer ? fit-il en parlant plus fort et en lui tendant une carte de visite tout droit sortie de sa poche de costume.

Les invités autour continuaient de les observer d’un œil admiratif. Si les négociations semblaient en bluffer plus d’un, Pris Dechâteau n’appréciait pas cet échange, et encore moins la présence de Marry qui lui avait volé la vedette avec seulement quelques battements de cils. Les vieilles querelles persistaient, tandis que Laure et Loyd faisaient de leur mieux pour s’éviter. Ce dernier se préparait mentalement à rejoindre sa mère et à saluer Chuck Ibiss en personne quand il reconnut une petite tête blonde qu'il aurait préféré de ne pas voir.

Face à une toile, d’un air tout à fait naturel, Kyle grignotait un toast, l’appareil photo autour du cou. Il s’était fondu dans la masse comme avec brio. Depuis combien de temps était-il là ? Loyd trembla à nouveau, mais cette fois pas d’excitation. Il avait peur et sentait ses poings se crisper en même temps que la colère montait en lui.

Avec quelle idée en tête était-il venu cette fois ?

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