La rencontre, ce bonheur qu'on croit éternel

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 J'ai dans le cœur une petite musique douce qui m'étreint et me tient éveillé nuit et jour. Elle porte le joli prénom de Sandy, elle suit des études d'assistante sociale. Elle a que vingt-trois ans, mais ses jolis yeux bleus m'enivrent à chaque fois que mon regard croise le sien. Je m'appelle Michel, j'ai trente-et-un ans, je suis écrivain. C'est grâce à ça que je l'ai séduite. Je passais mes nuits sur le net et on a commencé à échanger au sujet de ma prose. J'ai joué de mon talent pour l'éblouir, sachant pertinemment que mes mots la mettait en émoi. Puis, on s'est rencontrés réellement, attirés par un puissant philtre d'amour, ou tout simplement, l'envie de baiser ensemble. Il faut dire que, tous les deux, on a passé de nombreuses heures à poil à se tripoter par webcam interposées. Vous allez me dire que je gâche un peu la beauté d'une rencontre amoureuse, certainement, mais c'est aussi la réalité, on va pas se le cacher.

On a commencé par vivre chacun de notre côté. J'avais mon petit chez moi, un studio de cinquante mètres carré dans lequel j'entreposais ma collection de bières, mon pc, mes livres et un tas de trucs inutiles comme de la vaisselle ou une machine à laver. Elle, elle vivait en colocation dans la banlieue voisine. Nous avions convenu que je passais les week-ends chez elle, et qu'elle pouvait s'inviter autant qu'elle le voulait. C'est rapidement devenu ingérable parce qu'en fait, on en arrivait à payer deux loyers pour rien. On passait notre temps l'un sur l'autre, ou sous l'autre, en fonction de l'humeur. C'était le bon temps, celui où je pouvais rentrer bourré en me tenant aux murs pour pas tomber et ne pas devoir me prendre la tête pour expliquer où j'étais et avec qui je traînais. Mais ça a pas duré. Bien évidemment, quand on est amoureux, on est totalement con. Vous savez, ce genre de sentiment cul-cul la praline qui vous fait dire à votre promise :

— Pucinette ? Et si on vivait ensemble ? Si on partageait encore un bout de chemin tous les deux ?

Et voilà, après ça, t'emménages dans un nouvel appart que t'as mis trois semaines à choisir parce que l'exposition n'était pas la bonne, ou tout simplement parce que il y avait du papier-peint sur les murs. Au final, les ennuis commencent quand tu ranges tes slips et tes chaussettes dans la même commode qu'elle. Par contre, tu t'en rends pas encore compte, parce qu'elle continue à t'aspirer un soir sur deux sans que t'aies rien à demander en échange.

— Mais bordel, pourquoi y a un string dans mes chaussettes ?

— Bah, doudou, c'est pas un string ça, c'est un shorty ! Il a dû glisser...

J'ai passé sept mois avec Sandy, dans notre nouveau chez nous, à me tenir à peu près. Elle a terminé ses études et trouvé un poste dans un service de Protection Maternelle et Infantile. L'endroit où se rendent les pauvre gens qui, généralement, ont pas assez d'argent ou de réseau pour faire venir une sage-femme chez eux. En fait, c'est surtout un moyen de vérifier qu'ils défoncent pas leurs gosses et de leur retirer quand on voit des traces de coups. J'ai passé ce temps-là sur mes projets littéraires, peinard, à laisser mes doigts glisser sur le clavier des heures durant, enquillant les bières pour parfaire ma conscience supérieure. Elle rentrait suffisamment tard pour que je sois plus en état de rédiger la moindre ligne. Ça nous laissait le temps de faire les lapins. J'adorais lui sauter dessus dès qu'elle rentrait, lui peloter les fesses à l'improviste et l'attirer dans mes pièges salaces pour la forcer à me faire dégorger le poireau. Bien sûr, c'est pas très poétique, mais on va pas se le cacher, quand on baise, la poésie, on se la met derrière l'oreille.

Et un jour, j'ai eu la brillante idée de lui faire un aveu. Je sais pas ce qui m'a pris, je devais être sobre et j'avais sûrement un début de délirium tremens, je lui demandé de me faire un enfant. Avec le recul, je pense que j'étais juste con. Parce qu'on a tous ce discours de nos parents, ces menteurs pathologiques, nous disant que le jour de notre naissance a été leur plus beau. Parfois, les mots diffèrent, mais c'est l'idée, en gros. Alors, oui, quand on te ment depuis que t'es gosse, d'abord avec cet enfoiré de Père Noël, ensuite avec cette salope de Petite Souris, et toutes ces conneries de graines dans la plante pour faire éclore le bébé, tu finis inconsciemment par te persuader que tout est vrai. Au moins, que la partie sur les mioches est probablement celle qui se rapproche le plus de la vérité. Et donc, me voilà en route pour devenir un papa gâteau. Ça devait être en février 2009 approximativement. Je m'en souviens parce que c'est la date anniversaire de ma première dépression, à trois ans près.

Le souvenir de la première échographie de couple est encore bien vif dans mon esprit. Le médecin, arrose son ventre avec du gel. Évidemment, j'ai pas pu m'empêcher de faire une blague sur les pets en raison du bruit du tube. Une fille, c'est une fille ! Quelle émotion ! Moi qui rêvait d'en avoir une. Sincèrement, je crois que j'en ai eu les larmes aux yeux, à moins que ça soit à cause de l'odeur du désinfectant, mais quoi qu'il en soit, j'étais content. Ça m'a boosté pour écrire. Les chapitres s'enfilaient comme Sandy et moi à la tombée de la nuit. À la deuxième consultation, j'étais serein. Jusqu'à ce que cet abruti de médecin me demande s'il avait bien dit que c'était un garçon la fois précédente. J'ai cherché à savoir s'il se foutait de ma gueule. En fait, pas du tout. Légère frayeur parce que je m'étais fait à l'idée d'avoir une blonde. Heureusement, il avait pas bien vu et a finalement confirmé qu'il s'agissait bien d'une future citoyenne. À mon avis, il picolait. Sandy et moi, on a donc passé la grossesse dans notre joli appartement de centre-ville. Je la sortais trois fois par jour après que son docteur l'ait arrêté. Oui, parce que, visiblement, la grossesse est pas compatible avec l'état de stress provoqué par les cas sociaux. Bon, moi, j'ai rien dit, je les fréquente pas, mais ça m'a bien fait chier parce que j'étais beaucoup moins tranquille pour écrire. Faut avouer, une femme enceinte allongée sur le canapé du salon à demander de l'assistance toutes les cinq minutes, ça aide pas, niveau concentration. Mais comme je l'aimais et que j'étais encore dans l'euphorie du futur père modèle, j'ai trop rien dit. J'ai commencé à me douter d'un truc quand je devais la traîner dehors et qu'elle restait dix mètres derrière moi à brailler parce que j'avançais trop vite.

Et un jour, sans prévenir, un cri a déchiré la nuit...

— Doudou ! Doudou ? DOUDOU ! Appelle la maternité.

Je regarde le réveil, quatre heure du mat, sans déconner, j'ai la tête dans le cul et je suis même pas sûr que tout l'alcool ingurgité la veille soit totalement éliminé de mon sang. Je me lève à la manière d'un zombie et je la trouve gisant dans la baignoire, tel un cachalot échoué sur une plage.

— Ça fait une demi-heure que je t'appelle, qu'est-ce tu foutais ? J'ai des contractions, faut y aller.

C'est là que tu comprends qu'en fait, t'es pas prêt. Déjà, faut penser à la valise. Oui, cette saloperie de valise que ta moitié à préparé des semaines à l'avance avec toutes les layettes, les couches, et le bordel pour s'occuper du môme qu'est pas encore là. Il parait que c'est pour qu'on s'accoutume à sa future présence. Enfin, moi, je trouvais ça chiant d'avoir une valise dans le salon, surtout quand je me la prenais dans le genou à deux heures du matin complètement pété. Donc, branle-bas de combat, valise, voiture, route, maternité, dépôt à l'entrée du service, parking. Payant. Putain, le parking est payant. Donc, là, tu vois les tarifs et tu réfléchis. Tu commences à imaginer le coût du parking si l'accouchement joue les prolongations. Finalement, tu ressors chercher une place dans la rue parce que c'est quand même vraiment abusif.

J'arrive à la maternité et, évidemment, je me prends une chasse par le personnel parce que j'ai oublié la valise dans le coffre. De toute façon, je vois même pas pourquoi on m'a fait chier puisqu'on nous a dit : "mais non, c'est rien des contractions, un bon bain, deux spasfons, et hop, l'affaire est pliée". Je vous jure, rester calme dans ces conditions, c'est pas donné à tout le monde. Non, parce qu'ils s'imaginaient peut-être que j'allais ramener cet engin qui beuglait sans cesse chez moi ? Par chance, il y avait une infirmière plus compatissante que les autres. Elle a croisé mon regard et y a lu la même détresse qui s'empare du chef Raoni quand la forêt amazonienne brûle. Elle a gentiment avoué que Sandy tiendrait pas quinze jours comme ça et on lui a refilé un dérivé de morphine pour la détendre. Ça, pour la détendre, ça l'a détendue, surtout au niveau du col de l'utérus. À vingt-heures, soit approximativement quinze heure plus tard, y a une sage-femme qui est venu fourrer ses doigts entre ses cuisses pour vérifier si elle avait pas perdu les eaux et, accessoirement, mesurer la dilatation du col. C'est le genre de truc hyper sexy, après, t'y penses pas du tout les premiers mois.

Minuit, les soignants décident que tout est fini, il y a plus moyen d'empêcher la venue de ma fille. J'avoue qu'à part l'envie de pioncer, y a pas grand chose qui me passe par la tête. On me dit que je dois prendre le "couloir des papas". Il faut que je mette une blouse, une charlotte, des sur-chaussures et que j'attende dans ce célèbre corridor. Bonjour la gueule pour le film souvenir, des cernes jusqu'au menton, un sac plastique bleu sur la tête, la future risée des potes. J'attends. Au bout d'un bon quart d'heure, ça me gonfle sévère alors je cherche dans quelle salle d'accouchement se trouve Sandy. Ces crétins ont oublié de me dire le numéro et, bien sûr, les vitres sont toutes opaques, pas moyen de savoir où elle se trouve. Je crois que c'est Dieu lui-même qui m'a envoyé un signe, à moins que ce soit Satan. Je perçois soudain la voix stridente de Sandy. Je rentre pour me prendre une nouvelle chasse par l'infirmière, qui me demande où j'étais parce qu'on attendait plus que moi. C'était pas franchement nécessaire vu qu'on a dû attendre encore quatre heures. Elle aurait pu se passer de me casser les noix. Et encore cette histoire de valise oubliée. Sandy est bien vénère. Elle a mal. Ça fait des heures que j'ai pas fumé la moindre clope et je suis stressé comme pas possible. Enfin, le grand moment arrive. Et là, y a un type qui débarque, l'obstétricien de garde. Il a pas le temps lui. Il déballe la ventouse et il te sort le bébé façon travaux publics. Et le truc qui débarque ressemble à un extra-terrestre avec le crâne allongé. Sur le moment je fais pas trop gaffe parce que bon, ça fait tellement de temps que je poireaute.

Ensuite, c'est les quatre jours les plus éloignés de toute réalité, parce que j'ai pas dormi pendant vingt-quatre heures et que je suis totalement défoncé par la fatigue, le stress et les cris que j'ai dû subir pendant toute la séance de mise à bas. Faut courir aux quatre coins du pays pour faire la paperasse, chercher les crèmes pour les tétons de Sandy qui gercent suite à l'allaitement, donner le bain avec les sages-femmes, apprendre à changer les couches. On nous refile une petite valise avec quelques merdouilles dedans, des couches, des cotons carrés, du liniment pour nettoyer le cul du nourrisson, et à la fin du séjour, hop, on te fout à la porte en te demandant de régler la facture avant de quitter la chambre.

C'est là que les ennuis commencent. Parce qu'en fait, personne te lâche le mode d'emploi pour élever ce machin, tu dois te démerder. Certains racontent qu'il y a l'instinct maternel, un truc qui serait totalement inné et qui ferait que tout obstacle ne résiste pas face à cette puissance cosmique. Mon cul, oui. Au bout de trois jours à la maison, Sandy et moi, on était incapable d'arriver à l'endormir. Au final, elle la gardait dans le lit. J'ai découvert l'érythème fessier, le rot, les couches remplies qui enfument tout l'appartement. C'est là que j'ai compris pourquoi il fallait des poubelles hermétiques, parce qu'à force de foutre les changes crades sur le balcon, ça embaumait dans toute la maisonnée, nuit et jour.

À ces petits inconvénients, il faut rajouter les visites, ma mère, ma belle-mère, se les farcir à la maison alors que je galère déjà à mort pour trouver le sommeil et que j'ai plus la moindre seconde pour écrire. Ça frappe comme un coup de marteau. Ce soi-disant plus beau jour de la vie, en fait, c'est celui où tu te mets à comprendre que plus rien ne sera jamais pareil.

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