12 juin 2085

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« Imagine, si l'on pouvait doter cette Plante d'une conscience humaine. » Voilà ce que m'a dit Gustav, quand j'ai voulu comprendre son intérêt grandissant pour Mgsmül.

Lorsque nous nous sommes retrouvés, le mois dernier, je l'ai interrogé sur ses motivations véritables. Il m'a confié le secret de ses travaux : un projet d'armes biologiques commandité par les forces de la Pacification. Toutefois, comme moi, mon collègue a commencé à douter du bien-fondé de ses recherches. Du moins, il souhaitait échapper à la main-mise de ses supérieurs pour décider lui-même du devenir des créatures qu'il compose in vitro. La catastrophe que nous nous apprêtions à provoquer était sa meilleure chance.

Gustav est un arriviste. Je l'avais deviné dès notre première rencontre. Le bien et le mal le préoccupent moins que l'objectif insensé auquel il a voué sa carrière, et sa vie en même temps. Tirant profit de ma détresse, il ne s'est pas privé de m'inclure dans ses plans. Il a exigé de moi ce que beaucoup de femmes ont dû lui refuser. Mais, parce que j'avais désespérément besoin de son génie, je me suis pliée à ses exigences : nous avons attendu le moment propice – qui heureusement a eu de l'avance – et je l'ai laissé prélever mes ovules. Il en a demandé autant d'Agpe, mais j'ai refusé de lui vendre mon amie.

Le soir où nous avons quitté la ville, Gustav m'a reconduite auprès d'Agpe, dans la jungle. Pendant ce temps, son robot fonctionnel chargeait secrètement leur embarcation du laboratoire-mobile et de tous les travaux scandaleux chers à mon collègue – mes gamètes comprises. Je crois l'avoir supplié plusieurs fois de ne pas en faire un monstre, mais un être sensible qui adorerait toute forme de vie. Lui, m'a juste demandé comment j'aimerais l'appeler. Sa question m'a prise de court.

Je ne pouvais révéler exactement à Agpe ce que nous avions fait. Elle ne l'aurait pas compris. Alors, je lui ai simplement expliqué que nous avions provoqué la colère de Mgsmül ; qu'à dater de ce jour, la déesse-plante se déchaînerait comme jamais auparavant, que les colons périraient, mais beaucoup des nôtres aussi.

J'ai cru jusqu'alors que tous les Serteks s'en remettaient à la loi de la jungle, que tous étaient résolus à l'issue fatale qui les attendait. Mais pour la première fois, j'ai lu dans le regard d'Agpe cette peur de la mort, comme dans les yeux de Hetll sacrifiée sur l'autel. Peut-être me suis-je trompée. Peut-être ai-je surestimé les vaillants Serteks, leur endurance à toute épreuve et leur mépris de la mort. Dans ses mots hésitants, ma chère amie – celle qui depuis le début m'a intégrée parmi les siens – m'a avoué sa faiblesse, sa crainte de perdre pied et son désir lâche d'une existence tranquille. J'ai pris sur moi en accordant à Gustav ce qu'il espérait le plus au monde : « Emmène-la avec toi. »

Je regagne seule le village camouflé, au plus profond de la jungle, tandis que dans le laboratoire abandonné du savant-fou, Dionaea damnare grandit, prête à décimer l'Agnopole et notre île tout entière.

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