Un autre jour encore

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Mon hôte se nomme Agpe Kär, du moins c'est ce que je comprends. Les jours passent, et les syllabes des diables-blancs me paraissent plus audibles. Je commence à cerner les subtilités de leur langue, leurs tics de prononciation, certains mots aussi.

Les Serteks, c'est ainsi qu'ils s'appellent, vivent à Dœlkürhal, un dédale de galeries souterraines divisées en petits espaces privés, comme des appartements paléolithiques. Ils creusent des canaux à même la roche et bâtissent des aqueducs de terre ou de bois pour acheminer l'eau de la rivière jusque dans leurs logis. Une gouttière s'écoule de façon perpétuelle chez chacun.

Le village se trouve vraisemblablement creusé sous la montagne, dont la roche volcanique constitue un isolant efficace, et le climat est tempéré dans les habitations. Diverses grottes ponctuent les couloirs de Dœlkürhal. L'une d'elles fait office de serre, et il y pousse toutes sortes d'arbres renversés, les racines accrochées au plafond, de sorte qu'il n'y a qu'à tendre le bras pour en cueillir les fruits sur les branches pendantes. Une autre est recouverte d'un tapis herbacé, et elle sert de prairie : c'est là que jouent les enfants et paît le bétail, principalement des iürkos (poulets) et des gœngh (une espèce de chèvres grasses qui semble accoutumée à la vie souterraine). Une colonie de porcellions luisants grouille au plafond de la prairie et dans d'autres excavations. Les Serteks les utilisent pour s'éclairer, en les stockant dans divers réceptacles, comme de petits vivariums. J'étais surprise de constater qu'ils maîtrisent parfaitement la confection du verre, bien que celui-ci soit rugueux et inégal, mais j'ai compris plus tard que le volcan et le sable leur avaient montré l'exemple. Chaque villageois dispose de son thörkold : un petit réceptacle de taille variable grâce auquel il s'éclaire. Les Serteks connaissent le feu, mais ils ne l'utilisent qu'à des fins culinaires ou pour chauffer le verre.

Au plus profond de la ville, un réseau de cavernes s'ouvre sur l'océan. Un immense récif s'étend à l'abri du volcan, peuplé de coraux rares et d'espèces abyssales. Les villageois y pêchent, et parfois remontent des poissons fluorescents, de petits requins ou des poulpes juteux.

Les Serteks dévorent tout, même les os. Il leur arrive aussi de mettre de côté une bête morte, de la pêche ou du pré, sans doute pour en faire une offrande à leur divinité, celle qu'ils appellent Mgsmül, la Gorgone je suppose.

Jusqu'alors, je n'ai constaté chez eux aucun comportement cannibale, comme évoqué dans les légendes. Mais je n'ai pas vu non plus un semblant de cimetière. Que font-ils de leurs morts ? Meurent-ils ? Ils nous ressemblent, ils ont la même morphologie que nous, mais ne sont pas humains. Parfois, la nuit, je rêve qu'ils flottent, comme des esprits autour de moi.

On distingue la nuit du jour, parce que l'on sort aussi, pour cueillir ou chasser dans la jungle. Certains ne rentrent jamais, l’œuvre de Dionaea venenosum.

Agpe Kär me témoigne beaucoup de respect et de charité : elle m'emmène à la cueillette, à la pêche, m'apprend les rudiments de leur gastronomie ou comment traire les gœngh, elle me laisse aussi polir le verre des thörkold qu'elle souffle ou installer les porcellions. Elle apprend certains de mes mots, à commencer par mon nom, qu'elle prononce à sa façon, Clöres. Nous échangeons surtout par regards et par gestes, comme la plupart des amis en fait.

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