Chapitre 68

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Cela faisait trois nuits qu’il avait craint les sabots des soldats qui le ramèneraient à l’intérieur de ces murs. Les mêmes qui avaient ramené l’enfant qu’il était jadis dans le giron de ces idées étriqués et castratrices. Ce jour même où il avait vu Clare Vaughn pour la première fois.

Un sourire se dessina sur ses lèvres malgré l’état pitoyable dans lequel il se trouvait. La pire des choses se trouvait sans doute être son odeur. Lors de la première nuit, lorsqu’il s’était faufilé à l’extérieur du mur, un groupe d’homme avait surgi du baraquement qu’il tentait de contourner. Il avait dû plonger la tête la première dans les latrines creusées à même le sol sans se douter qu’il s’agissait là de la destination des soldats. Ce dont il avait été copieusement aspergé par la suite n’était pas grand-chose en comparaison de ce dans quoi il avait atterri. Les jours suivants, tout en atténuant sa nouvelle flagrance, y avaient ajouté une senteur rance qui soulevait le cœur.

Il avait trouvé un point à mi-hauteur des plaines à deux cents mètres au sud de l’un des points indiqués par le soldat Gareth. De hautes herbes camouflaient l’entrée de la petite saillie dans laquelle il avait trouvé refuge. À sa gauche, à quelques kilomètres, des torches se déplaçaient le long du mur, signalant la présence des sentinelles qui y étaient juchées. Et plus loin encore, la lumière des royaumes, en provenance de l’intérieur des terres, semblait s’élever en une brume lumineuse. La nuit était noire et Lorain ne pouvait que deviner la forme massive du Pic des Coranites, ce qui dans son esprit rendait l’aspect de la montagne encore plus tranchante.

Il s’agissait donc de la troisième nuit qu’il passait sur son poste d’observation. Il avait quitté Nabar sans rien dire à quiconque. La raison était que la réaction de son père l’avait terrifié. Ses actions, à travers Gaylor, avait forcé la Bande Centrale à se défendre, matérialisant ainsi un nouveau baron rouge. Et bien qu’il ait lancé les hostilités, François de Nabar comptait bien écraser cette nouvelle résistance. Peu importe le coût en vie humaine et en son for intérieur, Lorain avait peur que ce ne soit guère les débuts de son père.

Dorénavant, la mort du baron Bérigne, ancien maître du Rhondos, prenait un sens nouveau de même que les interdictions autour de ce mystérieux fantôme à la lanterne, ou encore les libertés du Silat ainsi que cette Guerre de la Chair à venir.

Au fond de lui, Lorain avait le sentiment que tout cela était lié et il comptait bien découvrir de quoi il s’agissait. Même s’il devait passer des semaines dans cette taupinière, bien qu’il n’ait emmené que quelques jours de provisions.

Quelques heures plus tard, débouchant d’une colline, la lanterne apparut et Lorain réfréna une exclamation de surprise. Malgré lui, les poils de sa nuque se hérissèrent bien qu’il s’exhorte au calme, tentant par-dessus tout de rationaliser ce qu’il voyait.

Ne te laisse pas intimider par des superstitions, ne laisse pas la peur prendre le dessus…

Le souffle-court, il sortit de sa cachette pour se rapprocher au couvert de la nuit. Entre lui et la lanterne, la distance ne cessait de se réduire avant qu’il ne s’arrête tout en se maudissant. Il ne pouvait en être sûr mais il pensait avoir dépassé la première position indiquée par le soldat Gareth et la lanterne se rapprochait dangereusement de lui.

Jurant intérieurement, il commença à rebrousser chemin avant que son pied ne s’enfonce littéralement dans le sol. Une surface dure lui râpa impitoyablement la jambe et il ravala le cri de douleur qui lui monta aux lèvres. Paniqué, il essaya de se dégager mais c’était peine perdue et dans son dos, il sentait la lanterne qui se rapprochait.

Inspirant profondément, il se força au calme une fois de plus avant de tâter son piège. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il devina une trappe recouverte de terre et de hautes herbes ! Sans attendre, il releva cette dernière qui n’émit qu’un léger bruit assourdit par le sifflement du vent avant de s’engouffrer à l’intérieur sans un regard en arrière.

La panique menaça de le submerger alors qu’il se retrouvait dans le noir. Rasant un mur invisible et tendant les mains, il se dépêcha de s’éloigner de la trappe, tenaillé par un sentiment d’urgence. Une initiative qui le sauva car la minute d’après, cette dernière s’ouvrait et une forme massive s’engouffra à son tour.

Lorain retint sa respiration lorsque retentit un grognement qui ne pouvait être humain. Il ne bougeait toujours pas alors que la chose braquait sa torche dans différentes directions, visant une seconde de plus sur le tunnel de gauche dans lequel le jeune homme s’était enfoncé. Finalement, elle opta pour le chemin en face d’elle et Lorain se força à expirer lentement alors que les pas lourds s’éloignaient.

Après une demi minute, il se lança sur les traces de la créature à la lanterne bien que son instinct lui hurle de fuir à toutes jambes. Une peur primale l’envahissait à mesure qu’il s’enfonçait dans ces tunnels sans la moindre lumière durant ce qu’il lui parut une éternité.

Enfin, la lumière réapparut loin devant lui tel un nuage irisé et il se figea, retenant jusqu’à même sa respiration tandis que résonnait cette voix qui semblait venir de partout à la fois.

— Dis-moi que je n’aurais pas à prendre ce passage plus longtemps.

La voix était calme, dangereuse et étrangement envahissante. Bien que son propriétaire n’élève guère le ton, Lorain avait le sentiment que même à plus grande distance, il l’aurait entendue sans mal. Cependant, il n’en était pas de même avec son interlocuteur et c’est une réponse indistincte qui força le jeune homme à se rapprocher encore.

— Je n’en peux plus de ces odeurs de charogne, elles m’insupportent.

Lorain aurait pu se sentir soulagé de par son odeur corporelle mais ce n’était pas le cas. Il n’y avait pourtant aucune colère dans son ton. On avait l’impression qu’il aurait pu aborder la mort de quelqu’un de la même façon. Il y avait là une sagesse dérangeante, une placidité à faire froid dans le dos.

Encore une fois, il ne put entendre la réponse de ce mystérieux interlocuteur.

— C’est une excellente nouvelle, reprit la voix sans laissait percer le moindre enthousiasme. Cette conquête de la Bande Centrale aura donc eu l’effet escompté. Ils se rebellent et toute chance d’unification tombe à l’eau. Les Hauts-Royaumes sont tout seuls.

Nouvelle réponse indistincte.

— Révéler les secrets du Silat, oui. Assurément. Le Crank Pav Ouran, lui-même, ne pourra retenir le peuple Rolf à la vue de cette ignominie. J’exposerai leurs cadavres devant le mur…

Il fut visiblement coupé par son mystérieux interlocuteur avant de reprendre sur le même ton.

— Tu auras ce que tu désires. Nous ferons passer cela pour l’un des dommages collatéraux de notre vengeance. La prochaine fois que nous nous verrons sera pour statuer le jour qui verra sa mort.

Enfin, Lorain fut assez près pour entendre l’autre voix sous la forme d’un murmure.

— Je la veux morte. Je veux qu’il souffre. Peu importe les conséquences.

— Tu as un potentiel certain, répondit la grosse voix avec un certain amusement cette fois-ci.

— Ne vous moquez pas de moi, Grimjow… J’ai… souffert. Cela fait trop longtemps que ce monde n’a plus de sens pour moi.

Un silence suivit ses paroles. Un silence dans lequel Lorain imaginait sans mal le mystérieux interlocuteur se figer devant le regard d’un chef de guerre Rolf dont les sinistres exactions restaient tristement célèbre.

Qui vais-je, qui vais-je, qui vais-je manger ?

Il se figea à son tour alors que la comptine se poursuivait.

Un cancre, un vilain, qui jure ou n’apprend rien

Qui vais-je, qui vais-je manger ?

Lentement, précautionneusement, il commença à reculer tout en se forçant à rester calme bien que son cœur tambourine si fort dans sa poitrine qu’il craignait que ce bruit seul ne le trahisse.

— Tu auras ce que tu souhaites, continuait Grimjow Ravageur. Notre cher ami aura ce qu’il souhaite.

Ils se cachent de moi, ils sont sous le lit

Mais ils pleurent et gémissent et mon ouïe est si fine

Qui vais-je, qui vais-je manger ?

Lorain inspira profondément et se força à se calmer. Il ne devait pas courir. Il ne devait pas révéler sa position. Le chant semblait venir de partout à la fois. Du fond du tunnel, des murs…, à son oreille.

— Et moi aussi, terminait le terrible chef de guerre alors que Lorain se figeait une nouvelle fois devant cette nouvelle forme surmontée d’une tête de lion qui s’éleva devant lui, bloquant tout passage.

Dans l’obscurité, un sourire terrifiant se révéla, rendant le visage de son propriétaire plus inhumain encore. Repoussant sa peur, Lorain dégaina son épée, prêt à affronter son destin alors qu’une main énorme se tendait dans sa direction.

Un autre qui ne s’est pas bien caché

Oh mais je vais, mais je vais te manger

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