Chapitre 67

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— Je lève mon verre au seigneur Cormack ! Le Champion au Pied d’Or du domaine des Vignes !

Un concert de vivats avait envahi l’estaminet de Bret Petitpieds. Les verres s’étaient levés ainsi que les sourires. Gravis Petitpieds, littéralement juché sur la table, avaient écarté les bras. Dans le mouvement, une partie de son verre s’était renversé sur le bras d’un Cormack au visage inexpressif.

Les acclamations avaient perduré. Le baron Dagobert avait éclaté de rire en assénant une bourrade amicale dans l’épaule du Rolf qui ne se déridait pas. Sans paraître le remarquer, l’énorme baron avait levé son verre à son tour, imité par ceux qui venaient juste de le poser l’instant d’avant. Pendant ce temps, Bret Petipieds avait valsé au milieu de cette bonne ambiance à la manière d’un danseur exécutant la performance d’une vie. En effet, l’abattement des derniers jours avaient disparu avec la victoire de Cormack sur le Buffle de Sel. Une victoire après laquelle – l’instant de récupérer du coup final du baron rouge – le baron Dagobert s’était levé, les jambes encore tremblantes, pour prendre son adversaire dans ses bras. S’était alors déchainée une fête qui avait battu son plein durant presque deux jours.

Un moment durant lequel Cormack, qui aurait préféré se terrer dans son lit et ne plus en bouger pendant une semaine, avait subi ces effusions de joie à la manière de quelqu’un forcé d’assister à trois enterrements successifs.

Il avait porté le verre à ses lèvres sous le regard faussement compatissant de la vieille Magda. Cette dernière, à la fin du combat, avait été victime d’un fou rire qui avait véritablement inquiété le village entier. En effet, la majorité des villageois n’avaient jamais vu seulement la vieille guérisseuse sourire. Alors que dire de cet éclat qui avait littéralement failli mettre fin à ses jours.

Même Boursin Crieur avait semblé être affecté par cette bonne humeur ambiante. Sa dépression chronique éloignée pour un temps et une nouvelle bouteille à la main, il avait effectué de curieuses arabesques comme s’il s’adressait à un public imaginaire. Et ce, durant toute la soirée.

— Je suis en paix, mes amis !

Voilà quels avaient été les mots de Dagobert. Le baron s’était levé à la suite de Gravis Petitpieds face à l’assemblée qui avait fait silence dans la seconde.

— Je suis en paix, avait-il continué. Car j’ai vu un individu capable de tenter le tout pour le tout pour la victoire d’un peuple. J’ai vu un champion capable de remettre en question son honneur pour faire ce que l’on attendait de lui. La victoire ! Je suis honoré d’avoir pu me mesurer à un être promis à devenir une légende !

— Je vois pas ce qu’il y a d’honorable à se faire exploser les burnes…, avait alors grommelé Cormack pour lui-même.

— Pardon, tu disais… ? s’était interrompu Dagobert en se tournant vers lui.

Le Rolf s’était bien sûr raclé la gorge en faisant mine de porter son verre à ses lèvres devant les mines joyeuses de son auditoire.

— Je disais que… hum… que j’étais moi aussi honoré de…

— Non, avait coupé le buffle de Sel. Tu disais qu’il n’y avait rien d’honorable à se faire exploser les…

— Oyez, oyez, braves gens…

Rien ne se passe comme je le voudrais… Rien !

La chaleur était étouffante en cette fin de journée. Humide et sans le moindre vent, l’air semblait comme chargé d’une substance qui collait à la peau et empêchait de respirer proprement. La foule, elle-même, ajoutait à cette sensation d’étouffement sans compter cette armure dans laquelle il se retrouvait une fois de plus engoncé.

— En ma condition de héraut des Hauts Royaumes, j’apporte, en témoin, message de baron à baron, de royaume à royaume…

Il est de ces moments où les rouages du destin semblent perceptibles. Où les concernés pourraient presque entendre les bruits des nombreux mécanismes de cette machinerie universelle.

— … baron du royaume du Silat défie par les textes celui-là même de la Bande Centrale. Revendiquant terres et titre…

En ce moment-même, Cormack était concerné.

— … par l’entremise de son champion…

L’heure était grave.

— … victoire par abandon ou décès…

L’homme n’avait rien à voir avec Boursin Crieur. Grand, athlétique et juché sur son étalon, il faisait preuve d’une prestance certaine au-devant de cette foule silencieuse. Ceci en dépit de l’animal qui, luisant de sueur et renâclant cesse, piétinait le sol avec constance comme s’il voulait impressionner ceux qui lui faisaient face.

Croisant les bras pour certains, les mains sur les hanches pour d’autres, les villageois observaient une retenue étonante. Cependant, les regards étaient habités par des lueurs de défi et de colère.

— … duel héroïque ait lieu d’ici sept jours, lorsque le soleil sera au plus haut dans le ciel. En cas de refus…

Gravis Petitpieds et son oncle se tenaient devant le destrier, qui continuait de piétiner furieusement, et ils ne montraient pas l’intention de céder un pouce de terrain. Le baron Dagobert lui, se tenait à la droite de Cormack, la main sur son épaule cuirassée. Dans son dos se regroupaient les barons de la Bande Centrale, y compris le baron Marnie.

Non, il n’y avait guère de peur. Il couvait là une fureur juste et puissante. Cormack avait le sentiment d’un fardeau gigantesque sur ses épaules.

— … destitution pure et simple du baron déserteur.

Sur ce, l’homme jeta une lettre au sol avant de s’en retourner au trot après un hennissement de contrariété de son cheval. En effet, il n’avait échappé à personne que ce dernier avait l’écume aux lèvres.

La réponse des Hauts-royaumes avait été fulgurante et son messager, d’une concision qui se voulait la marque même du mépris.

Boursin Crieur se trouvait assis sous un porche avec une nouvelle bouteille à la main. Il observa le héraut lorsqu’il passa devant lui avec des yeux absents. Un regard que ne lui retourna pas son homologue alors que l’ancien messager de Gaylor ne faisait aucunement mine de l’interpeler.

L’homme n’avait à aucun moment demandé après Boursin Crieur ou ne serait-ce que poser des questions sur sa disparition. La désillusion de l’ancien héraut devait être grande. À moins qu’il ne soit au-delà de ça. Ou peut-être avait-il finalement choisi son camp… Si la Bande Centrale perdait, il serait accusé de trahison par les Hauts-royaumes.

Une fois le héraut suffisamment loin, Gravis Petitpieds se baissa pour ramasser la lettre. La décochant alors qu’il se redressait, il se dirigea vers eux tout en la lisant.

— Au Silat ! gronda-t-il. Le duel doit se dérouler au Silat même !

La main du buffle de Sel quitta l’épaule de Cormack pour y asséner une tape amicale.

— Ce n’est pas l’endroit pour en parler, Gravis ! déclara-t-il tout en entrainant le Rolf dans la foule de villageois ainsi qu’en direction de l’estaminet de Bret Petitpieds qui avait déjà pris les devants.

Face aux visages résolus qui défilaient, le colosse inspira profondément dans son armure. Essayant de son mieux de refouler la crise d’angoisse qui n’avait pas manquer de surgir.

Il venait d’être défié. Les Hauts-Royaumes avaient pris les devants et ils étaient venus pour lui. Bien que ce soit à lui d’aller à eux.

Il allait combattre l’un des tristement célèbres champions des Hauts-Royaumes. Ceux dont Gravis et son oncle disaient qu’ils étaient imbattables. Et de ce combat allait se décider l’avenir de toute la Bande Centrale, ainsi que celui de centaines de milliers de personnes. À travers sa respiration sifflante et la transpiration qui lui coulait dans les yeux, rendant sa vision encore plus trouble à travers les fentes de son heaume, Cormack se dit que la situation pouvait difficilement être pire.

— Ils veulent nous faire perdre nos moyens ! rugit Gravis Petitpieds qui les avait précédés dans l’estaminet.

De rage, il jeta la lettre sur la table d’un geste sec. C’était la première fois que le Rolf voyait le petit homme dans une colère pareille et cela détonnait chez le personnage.

— Évidemment ! rétorqua Dagobert en allant s’asseoir pesamment sur une chaise dont le bois craqua dangereusement. Une manœuvre comme celle-ci ne me surprend guère, bien que la réponse ait été incroyablement rapide.

— Ils étaient en train de nous conquérir, intervint Bret Petitpieds, déjà occupé à tirer des bières bien mousseuses pour ses invités. Nous sommes une priorité pour les Hauts-Royaumes et c’est bien la première fois !

— Tout cela arrive trop vite, pesta Gravis qui, visiblement incapable de rester en place, faisait les cent pas à travers la pièce. Nous ne sommes pas prêts… Le seigneur Cormack n’est pas prêt !

Il cessa ses petits pas pour se tourner vers Dagobert dont la mine s’était subitement assombrie.

— Les Champions des Hauts-Royaumes sont au Silat et ils sont plus bêtes que hommes ! Ils vont jusqu’à dévorer leurs adversaires !

— Cormack sait ce qu’il risque, déclara posément le baron dont le visage ne s’éclairait pas en dépit de ses paroles apaisantes. Et il reste un sacré combattant ! Il a toutes ses chances !

— J’ai foi en lui, acquiesça Bret.

Tous trois se tournèrent vers le Rolf qui s’était également assis en sur une chaise mais en retrait. Les bras ballants, il portait toujours son armure intégrale. Avec difficulté, il entreprit de leur répondre dans un ensemble de balbutiements étouffés par son heaume et duquel ils ne purent comprendre qu’un « Bien sûr ». Suite à cette révélation, ils purent observer leur champion baisser la tête pour la soutenir de ses deux mains.

— Enlève-moi ce heaume, jeune Rolf et redresse-toi, par les Architectes !

Si tous sursautèrent à cette injonction qui claqua dans la pièce à la manière d’un fouet, ce fut sans commune mesure avec la réaction de Cormack qui bondit littéralement de sa chaise.

— Maître…, balbutia-t-il encore avec difficulté. Maître, je…

— Le heaume, Cormack !

Le Rolf s’exécuta avec une telle précipitation que son casque en chuta au sol avec fracas. Maître Cène s’était avancé d’un pas énergique pour s’emparer de la lettre jetée sur la table par Gravis Petitpieds. Ce dernier, ouvrant et refermant la bouche tel un poisson hors de l’eau, le dévisageait comme s’il voyait un revenant. Ce qui n’était pas tout à fait loin de la vérité.

Le conseiller de la Reine avait troqué sa robe de malade pour des vêtements de villageois. Ce qui ne le rendait pas moins intimidant. En bas de l’escalier ne tarda pas à apparaître la vieille Magda. Les bras croisés, elle affichait un regard grave. Une expression sérieuse qui détonnait lorsque l’on avait eu à subir ses ricanements continus.

— Ce n’est pas le combat dont vous devriez vous inquiéter ! grommela-t-il en adressant un regard noir à Cormack qui se décomposa. Comme l’a dit le baron Petitpieds, les Hauts-Royaumes étaient en train de conquérir la Bande Centrale et vous être une priorité, en effet…

Il laissa sa phrase en suspens pour froisser la lettre de son poing tout en les avisant à tour de rôle.

Il est de ces moments où les rouages du destin semblent perceptibles. Où les concernés pourraient presque entendre les bruits des nombreux mécanismes de cette machinerie universelle.

— Duel ou non, vous êtes en guerre ! déclara-t-il avec aplomb. Alors redresse-toi, jeune Rolf car tu en seras l’un des fers de lance ! Vous êtes en guerre !

Et en ce moment, Cormack se rendit compte qu’il n’était pas le seul à être concerné alors que le conseiller assénait sans concession :

— Et cette guerre, les Hauts-Royaumes n’ont pas prévu de la perdre !

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