Chapitre 63

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Une crevasse éventrait littéralement le hall caverneux sur lequel ils débouchèrent. Une odeur de marée basse empreignait l’air et des flaques d’eau de mer plus ou moins grandes et profondes creusaient les aspérités entre les roches coupantes. Des créatures aux aspects visqueux et aux multiples pattes peuplaient cet endroit. D’énormes crabes aux pinces acérées, d’étranges arachnides aux pattes semblables à des rasoirs et des poissons aux dentitions de cauchemars qui se contorsionnaient à même la pierre. Ici, dans cet espace aux nombreuses colonnes stalagmitiques, l’on avait une impression d’abbaye infernale.

D’autres tunnels débouchaient de l’autre côté du précipice et ne tardèrent pas à en sortir un flux continu de prisonniers.

Le dernier bloc.

— Ne vous approchez pas des baïnes ! hurla Ezéquiel qui ouvrait la marche.

Caes rattrapa in extremis Jalil alors que ce dernier, perdant l’équilibre, menaçait de basculer dans l’une d’entre elle.

— Reste concentré ! lui assena-t-il avant de le pousser vers Yanis.

Il s’exhorta à faire de même. La vision du Scie l’avait secoué. À tel point que ses tremblements déchaînaient des pics de souffrance incroyables dans son bras. Cependant, la douleur ne semblait l’atteindre que dans un deuxième temps. Comme si cette dernière devait d’abord traverser le mur de frayeur pure qui l’entourait.

Les légendes et contes horrifiques qu’on leur racontait enfant étaient vrais. Ils étaient vrais et plus terrifiants encore. Comment avaient-ils fait pour ne pas le voir ? Cette chose mangeait des gens en plein milieu de ses victimes et personne ne l’avait remarquée. Comment pouvait-on manquer un géant des Scies de presque quatre mètres de haut ?!

Derrière eux, les hurlements débouchèrent à leur tour dans la caverne mais le chevalier ne se retourna pas. Slalomant entre les stalagmites tranchantes, il prenait grand soin de rester le plus loin possibles des étendues d’eau et des créatures. Devant eux Ezéquiel shoota littéralement dans une sorte d’oursin de la taille d’un chiot avec de petits bras et jambes courtaudes mais aussi une gueule aux crocs effilés. Plus loin sur leur droite, d’autres spécimens du même genre mais plus grands se précipitaient pour couper la route des autres prisonniers dans leurs dos. Par-delà le précipice, les autres participants avaient la malchance de faire face à de nombreuses choses. Un amas de tentacules, de pinces et de corps hérissés de piques fondait sur la masse compacte de participants en fuite. Les premiers n’étaient que les boucliers des suivants qui ne pouvaient voir ce qui leur faisait face, si ce n’était au dernier moment. Certains tentaient de rebrousser chemin mais ils en étaient empêchés par des centaines d’autres qui formaient ce flot continu. Un flot qui allait jusqu’à faire tomber les participants à son flanc dans le précipice où leurs cris cessaient rapidement alors qu’ils étaient déchirés par les affleurements tranchants.

— Il y a une sortie ! cria de nouveau Ezéquiel.

Aucun soulagement n’envahit le chevalier tandis qu’il avisait la lumière au bout de ce premier périple. Une lumière où s’élevaient déjà les silhouettes des créatures qui n’attendaient qu’eux. Les créatures de la Gargante car oui, c’était dans la Gargante même que se déroulerait la quatrième épreuve.

— Par les Architectes…, souffla-t-il pour lui-même.

Un grondement lointain leur parvenait également et tous ici savaient de quoi il s’agissait.

Ils avaient peu de temps.

Soudain, une forme indistincte jaillit de derrière un rocher sur leur droite. Une forme qui, dans une course claudicante, vint percuter Ezéquiel en pleine course. Déséquilibré, le jeune prince fut projeté sur la gauche avec force avant de basculer en direction du précipice.

— Non ! hurla le chevalier qui s’était déjà mis en mouvement avant même que Lombric ne pousse son ami.

Dans une accélération fulgurante, il arriva à hauteur d’Ezéquiel dont le visage n’était qu’un masque de frayeur avant de plonger en l’agrippant du bout des doigts.

Avec son bras blessé.

Son hurlement de douleur partit dans les aigus alors que le jeune prince agrippait son membre brisé en retour afin de revenir sur la terre ferme. Le chevalier tira de toute ses forces et avec toute sa volonté avant que sa vision ne se trouble… et que tout devienne noir.

Lombric cessa de cogner Yanis pour se débarrasser de Jallil accroché à son dos. Alors que le garde tombait à genoux pour se prendre le visage à deux mains le jeune médecin, lui, percuta le sol avec violence dans un cri de douleur.

Le boiteux se précipita sur lui pour en finir mais Ezéquiel surgit au dernier moment pour assener un coup de la grosse pierre qu’il tenait à la main sur la tempe de leur agresseur. Cependant, ce dernier était d’une incroyable vivacité, en plus d’être un habitué du combat. Du bras, il encaissa le coup avec un grognement avant de frapper le jeune prince au plexus. Ezéquiel lâcha un glapissement étouffé avant de s’écrouler au sol pour ramper à reculons.

- J’ai attendu ça depuis un p’tit moment, tu sais, ronronna Lombric en le suivant avec confiance sans même faire attention aux créatures qui les entouraient. On va crever ici, c’est sûr, mais je vais pouvoir partir l’esprit tranquille.

— Prenez Caes avec vous ! hoqueta Ezéquiel qui se relevait péniblement à l’adresse de Jalil qui venait à son secours. Barrez-vous d’ici !

— On ne te laisse pas…, commença le médecin.

— Barrez-vous, gronda Ezéquiel qui reprit une roche en forme de petit bâton comme arme.

Le flot de prisonnier les rejoint enfin et Jalil dut se détourner d’Ezéquiel pour se précipiter sur Caes afin que la foule ne le piétine pas. Yanis fut à ses côté l’instant d’après et ensemble, ils soulevèrent le chevalier inconscient.

— Ezéquiel ! cria-t-il une nouvelle fois.

Mais le jeune prince ne lui accorda pas un regard. Il ne quittait pas le boiteux des yeux alors que les participants les dépassaient à toutes vitesse.

Les sirènes retentirent encore.

— On y va ! cria Yanis en les forçant à se mettre en route.

Des larmes dans les yeux, Jalil suivit et ils joignirent le flot de participants.

— Je ne crois pas…, commença Lombric avant que la grosse pierre d’Ezéquiel ne l’atteigne à la jambe.

Il hurla alors qu’il chutait au sol. Tentant sa chance, Ezéquiel le contourna en courant mais le gredin le saisit à la cheville.

— Ne crois pas que tu vas t’en tirer comme…

Le jeune prince ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. D’un coup de talon, il lui brisa la dernière incisive qu’il lui restait. Le boiteux hurla encore sans pour autant lâcher sa proie. Vif comme l’éclair, il se mit sur un genou pour la déséquilibrer ensuite. D’un coup de coude à l’arrière de la rotule, il fit tomber son opposant et commença à le marteler de ses poings à même le sol.

— Tu croyais pouvoir t’en tirer, hein ? cracha-t-il alors que le jeune prince étouffait un cri de douleur. Tu croyais que j’allais t’oublier ?!

Il releva Ezéquiel dans un grognement avant de le frapper dans le ventre une nouvelle fois. Sa victime se plia en deux sous la douleur.

— Tu vas passer les prochaines minutes à souffrir, mon garçon ! Jusqu’à ce que la Gargante ne vienne nous prendre !

Ezéquiel tenta de frapper faiblement le boiteux mais ce dernier baissa la tête et son poing vint se briser sur son front.

— Ou qui sait, continua le gredin tandis qu’Ezéquiel agrippait sa main dans un cri de douleur muet. Peut-être vais-je te faire dévorer par l’une des saloperies qui nous entourent ?

Il frappa les côtes brisées du jeune homme et ce dernier tourna de l’œil en s’effondrant.

— Oh non, non, non, jubila Lombric en le relevant. Tu ne vas pas t’évanouir maintenant ! Tu as encore plein de choses à…

L’homme hurla alors qu’une araignée aux pattes de rasoirs s’activait furieusement sur sa jambe valide. Toujours criant, il lâcha le jeune prince pour la chasser.

— Sale petite… merde ! éructait-il.

Il hurla encore en avisant qu’Ezéquiel s’éloignait dans une course chancelante.

— Tu n’iras pas loin ! Je te jure que vous n’irez pas loin ! Je vais vous écorcher ! Vous écorcher ! Je vais…

Sa diatribe haineuse cessa subitement mais Ezéquiel ne se retourna pas. Sa vision était trouble et sa tête n’était qu’un douloureux nuage de gaz qui l’empêchait de réfléchir. Il n’était pas lucide et en était parfaitement conscient. Trébuchant au milieu des roches coupantes, il esquivait les attaques des créatures l’entourant plus par maladresse et chance qu’autre chose. Les derniers participants étaient loin devant lui. Les retardataires malchanceux étaient aux prises avec la faune locale et à plusieurs reprises, le jeune prince sentit leurs mains qui tentaient d’agripper se vêtements. Il entendait leurs suppliques quand à ce qu’il leur vienne en aide. Un concert de bruits de mastications se mêlait à leurs gémissements. Cependant, il ne pouvait rien faire pour eux. Son corps n’était qu’une palette de douleur et le vacarme lui parvenant de la Gargante annonçait qu’il n’avait plus beaucoup de temps.

Il devait retrouver Caes.

La lumière l’aveugla lorsqu’il déboucha dans un véritable cirque naturel rocheux. Il chancela littéralement à la vue de la gigantesque muraille d’eau et résista à la tentation de retourner dans le tunnel. Un rugissement à plusieurs voix lui apprit la présence de la Gargantesque avant que le monstrueux tentacule ne s’élève devant lui. Un tentacule dont les gueules mangeaient déjà à elle seule une dizaine de prisonniers.

La créature était juste en dessous de lui et elle devait être dantesque.

Ezéquiel était encore sous le coup de la raclée qu’il venait de prendre. La peur n’était pas suffisante pour éclipser la douleur dans son corps et il se sentait à deux doigts de s’évanouir. Les cris lui parvenaient comme à travers un brouillard et les vivats d’un public le surplombant rendait tout cela encore plus surréaliste.

À travers sa vision trouble, il tenta d’apercevoir Caes et Jalil dans le dédale de roche mais c’était peine perdue. Ce dernier grouillait de participants aux prises avec les créatures de la Gargante et qui tentaient de rejoindre ce qui ressemblait à des trappes. À deux cents mètres de sa position, elles étaient encadrées de drapeaux rouges comme pour la première épreuve. À la différence du raz de marée comme arrière-plan.

— Toujours plus…, souffla le jeune prince avant de se figer lorsque le Scie le dépassa.

Le monstre s’arrêta à quelques mètres devant lui et observait le spectacle sous ses yeux terrifiants avec un sourire béat. Les bras le long du corps, il tenait un maillet gigantesque dans sa main aux griffes à moitié aussi grandes qu’Ezéquiel lui-même. Ses cheveux sales étaient si hirsutes que l’on aurait pu les prendre pour des armes. Son corps était couvert de poils rêches et ses parties intimes étaient uniquement cachées par un pagne tout aussi sale.

Le jeune prince n’osait même plus respirer, allant jusqu’à croire un instant que la créature ne l’avait pas remarqué. La seconde d’après le monstre lui adressait un sourire avant de tourner son regard trop humain en direction du dédale sous leurs pieds. Suivant ce dernier, Ezéquiel put enfin voir les deux personnes considérablement ralenties dans leur course par le troisième qu’elles soutenaient. Sur la droite, à bonne distance de la Gargantesque qu’ils contournaient, ils étaient au milieu d’une foule de prisonniers fuyant les abominations de la Gargante. D’énormes mantes religieuses creusaient de véritables sillons dans leur groupe alors qu’elles déchiraient littéralement les malheureux sur leurs chemins. À l’arrière, ne tarda pas à apparaître une affreuse scolopendre d’une quinzaine de mètres de long. La chose rugissait en poursuivant ses proies.

Le Scie recula d’un pas avant de s’élancer pour un fantastique saut qui le propulsa loin dans les airs. Dans le dédale. Et Ezéquiel sut immédiatement qui il avait pris pour cible.

— Caes ! hurla-t-il.

Cependant, Jalil et Yanis étaient bien trop loin et ne pouvaient l’entendre. Il lâcha un cri de rage avant de croiser le regard de Lombric. À sa hauteur, le gredin était enserré par une énorme main et son expression était incertaine, comme s’il se demandait s’il ne rêvait pas. Au-dessus d’eux, même les spectateurs s’étaient tus et Ezéquiel se tourna lentement vers la forme incroyablement massive dans son dos. D’une apparence d’obèse vêtus de peau et de chaînes, la géante des Scies dardait sur lui le même air obsessionnel qu’avait eu son compagnon pour Caes. À la différence de la choquante méchanceté qui l’habitait. Son visage gonflé était encadré d’une masse de cheveux également très sales et tout aussi hirsutes.

Le jeune prince fut tétanisé lorsqu’elle lui offrit un horrible sourire, ses énormes lèvres s’étirant grotesquement et plissant son hideux visage. Dans son autre main, elle tenait un gigantesque fendoir dont la lame reposait sur son épaule massive.

Lentement, elle éleva Lombric sans que le boiteux ne lâche un cri ou Ezéquiel des yeux. Et alors qu’elle le portait à sa bouche, le jeune homme se mit à courir.

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