Chapitre 62

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Des cris de stupeur parcoururent la cinquième tortue alors que celle-ci s’ouvrait littéralement en deux. Dans un concert de bruits mécaniques, elle se déplia pour border le cirque de la Gargante en un demi-cercle parfait. En moins de trente secondes, un public de dizaine de milliers d’âmes put contempler cette étendue d’eau furieuse avec appréhension. Et nombreuses furent les exclamations paniquées lorsque les sirènes retentirent.

— Cette prouesse technique, nous la devons à notre petite prophétesse ! s’écria Aristide Leor en tournant un regard fanatique en direction de Sybille qui l’ignora.

— Encore une promesse ? devina Lamia.

La fillette mit un instant avant de répondre. Son regard toujours fixé sur l’eau qui n’allait pas tarder à se retirer.

— Je l’ai vu, consentit-elle à révéler.

— La cinquième tortue est vieille, intervint Elban Feulys. Le Croissant lui-même s’est construit autour en des temps lointains.

Après la tentative d’assassinat, et pour palier aux rumeurs, les deux barons avaient décidé de se montrer ensemble devant le peuple. Assis dans des fauteuils identiques, ils formaient une paire bien étrange et ne s’adressaient jamais la parole directement.

— Les secrets de leurs architectes ont été enterrés il y longtemps également, sembla t’il regretter. Cette merveille mécanique est donc une antiquité mystérieuse qui, je le pense, le restera pour des centaines d’années encore.

— Que ça le… reste, soupira Lamia avec sa langueur habituelle. Les mystères perdent irrémédiablement de leur magie lorsque l’on découvre leurs… secrets.

L’air aussi concentré que Sybille sur la Gargante, elle exposait à son ancien mentor un profil à l’impassibilité étudiée. Cependant, il n’était guère difficile de deviner son état d’esprit ainsi que le mépris qu’il lui inspirait.

— Quelle mauvaise foi, lui retourna-t-il. Toi qui chérit les secrets par-dessus tout. Il est difficile de croire qu’il y en ait un à l’abri de ton avidité.

L’œillade assassine qu’elle lui renvoya aurait eu de quoi pétrifier un écorcheur mais le baron du Serpent se contenta de lever sa coupe à son intention. Et le sourire suivant de la plantureuse brune aurait sans aucun doute fait fuir ce même écorcheur. Cependant, il y avait quelque chose de différent chez Elban et Clare n’avait aucun mal à deviner quoi.

L’espoir. Jalil était toujours vivant et il s’agissait là de la dernière épreuve des Jeux. En temps normal, son ressenti aurait été très proche de celui de Lamia en ce qui concernait le maître du Serpent. Pourtant, elle ne pouvait s’y résoudre et cela la dérangeait.

— C’est les femmes, ça…

La dernière perle de Livresse. À l’extrême bord de la loge et à deux doigts de chuter dans la Gargante même, il faisait preuve d’une concentration peut-être même supérieure à celle de Sybille. En effet, il s’agissait de la dernière épreuve et les attentes du baron du Lion étaient considérables. La dame de parage l’ignora alors que le retrait des eaux finissait par découvrir la dantesque créature qu’ils surplombaient. De nouveaux cris de terreur parcoururent la cinquième tortue devant cette apparition.

Un sifflement admiratif sortit de la bouche de Lloris Jax.

— Je ne me lasse pas de voir cette bestiole ! affirma-t-il en adressant son sourire perpétuel à Elban qui soutint son effroyable regard sans sourciller. Y’ a pas grand-chose qui va y passer au travers. Qui sait ? P’tet même que je vais la laisser regarder, ou pas…

Elban et lui se dévisagèrent encore quelques pesantes secondes qui imposèrent un malaise palpable pour les autres barons à l’arrière. Les barons Lassan de l’Écureuil, Triviard de la Fourmi et Croks du Rat se tenaient à bonne distance de Lloris Jax. Derrière eux se trouvaient Harlequin, bien évidemment, mais aussi Lilith. La beauté rousse ne quittait pas du regard la baronne du Paon installée aux côtés du chef des apôtres lui-même. Cependant, Lloris Jax témoignait une déférence étonnante à l’attention de dame Lise. Chose que cette dernière ne paraissait pas remarquer le moins du monde.

Bien que ce soit la deuxième fois qu’elle contemple la Gargantesque, Clare ne s’y habituait pas. La créature était presque cinq fois plus imposante que ne l’avait été la précédente. Ses tentacules étaient aussi plus nombreux et les exhalations des multiples gueules les parcourant donnaient l’impression d’un concert de soufflets de forges. Le monstre occupait une énorme partie du dédale de roche. Sa masse tentaculaire épousant les aspérités, rocs tranchants, saillies et précipices dans lesquels certains de ses membres pendaient.

— Elle est magnifique, murmura Lamia occasionnant un lever de sourcil dubitatif de la part de Tamp.

La grosse dame se trouvait aux côtés de Clare en cette dernière torture visuelle pour sa sensible personne. Entourée d’un nuage de fumée permanent, elle n’avait pas lâché un mot depuis qu’ils étaient ainsi installés bien qu’elle n’ait cessé de lancer des regards furtifs aux maîtres du Serpent. Il aurait été bien difficile de savoir à quoi pouvait bien penser le Tampon.

Autour de la Gargantesque ne tardèrent pas à émerger une multitude de créatures. Des fosses, crevasses et baïnes, elles apparaissaient au grand jour quand elle ne se détachaient pas d’une paroi.

La pupille grimaça en entendant le rugissement de l’horrible scolopendre qui les avait prises en chasse, Lamia et elle. Les cliquetis des mantes ne tardèrent pas à résonner également et une vingtaine ne tarda pas à déboucher de derrière la falaise jouxtant le cirque naturel.

Le silence était de mise parmi les spectateurs et le grondement de la Gargante ne tarda pas à se faire assourdissant. Loin, très loin, à des dizaines de kilomètres, une dantesque vague ne tarda pas à s’élever. Telle une montagne liquide à quoi rien ne pouvait résister.

Devant cet arrière-plan impressionnant, plusieurs trappes encadrées des drapeaux rouges salvateurs faisaient face au cirque. Située à presque deux cents mètres aux frontières même de ce dernier, elles semblaient difficiles à atteindre dans les temps.

— Ces trappes sont aussi vieilles que la cinquième tortue elle-même, s’élança l’Archevêque désireux de supplanter Elban sur ses explications. Nous les utilisions pour capturer les créatures de la Gargante, bien sûr. La vague les rabattra, empêchant ainsi les tunnels d’être inondés. Un concept simple mais efficace.

— Où sont-ils ? s’énerva Livresse en piétinant et ignorant consciencieusement les explications d’Aristide Leor. Quand est-ce que ça va commencer ?!

Quelques secondes passèrent où nul n’osa spéculer avant que Sybille ne consente de nouveau à leur accorder une réponse.

— Ça a déjà commencé.

Au même moment, les premiers participants surgissaient d’une ouverture semblable à une gueule ouverte sur la falaise du cirque. L’instant d’après, nombreux étaient ceux qui, poussés par d’autres, chutaient sur la Gargantesque. Ses gueules rugirent, dans ce curieux concert aux différentes vocalises. Puis ses tentacules s’élevèrent dans le grondement de la Gargante.

Tout serait bientôt terminé.

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