Chapitre 61

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— Que devons-nous faire ?

Jalil avait posé cette question d’une voix qui se voulait assurée. Cependant, en dépit de cet effort considérable, il ne trompait personne. Certes, le jeune médecin était courageux, mais il y avait des limites. L’immense geôle était remplie des murmures de ses prisonniers. Bien que ce bruit de fond soit loin de pouvoir être considéré comme un vacarme, l’agitation était palpable et envahissante. Tant qu’il était difficile même de s’entendre penser.

— On devrait y aller maintenant, siffla Yanis en attrapant Jalil par le bras. Suivre les lumières avant que la foule ne s’y décide et ne nous gêne.

Il ne cessait de jeter des regards apeurés en direction des eaux sombres dans leur dos. Ces dernières étaient calmes et rien ne semblait même affleurer à la surface. Jalil retira son bras avec brusquerie.

— Nous ne partirons pas sans Ezéquiel ! répliqua-t-il sèchement avant de demander plus inquiet à l’adresse de Caes. As-tu une idée d’où il se trouve ?

Un tic nerveux secoua la joue du chevalier alors qu’il ne répondait ni ne décroisait les bras. Ses yeux étaient alertes et à l’affut.

— On t’a posé une question ! gronda Yanis avant de se pétrifier devant le regard du guerrier.

Ce dernier décroisa finalement les bras et le soldat se figea d’autant plus.

— Nous attendons Ezéquiel puis nous y allons, déclara-t-il. Si Lombric et son acolyte ne se sont pas montrés d’ici là, nous partirons sans eux. Fin de la discussion.

Le garde de l’Échanson se renfrogna devant les manières du jeune homme. Pourtant, il se garda bien de répliquer, se contentant de dévisager Jalil avec un air accusateur.

Caes, lui, n’en n’avait cure. Il tentait de ne plus penser à sa dernière conversation avec le jeune prince et de se concentrer pleinement sur la situation présente. La quatrième et dernière épreuve des Jeux avait peut-être commencé et Ezéquiel ne se montrait toujours pas. Lombric n’était toujours pas visible, lui non plus, et l’angoisse ne tarda pas à serrer la gorge du chevalier. L’instant d’après, il faisait un pas en avant devant les expressions incertaines de ses compagnons avant d’interrompre son mouvement. Fendant la foule de prisonnier rassemblés autour des stalagmites, le jeune prince venait dans leur direction. Et bien qu’il garde un pas mesuré, Caes sentait chez lui un certain empressement.

— Bien ! lâcha Yanis. On va pouvoir y aller maint…

Caes leva la main, le coupant dans son sarcasme et ignorant le regard assassin dans son dos. Quelque chose n’allait pas et lorsqu’Ezéquiel fut assez près, son sentiment n’en fut que renforcé. Le visage du jeune prince était luisant de sueur et une peur bien réelle habitait son regard. Un frisson parcourut le dos du chevalier.

— Ezéqu…, commença-t-il lorsque le prince fut à hauteur.

— Tais-toi, le coupa ce dernier. Vous tous, pas un mot.

Il parlait à voix basse et Caes nota qu’il serrait les poings pour atténuer les tremblements de ses mains. Le chevalier avala péniblement sa salive alors qu’Ezéquiel poursuivait.

— Personne ne le voit. Je ne sais pas comment c’est possible mais personne ne le voit… Et il...

Il s’interrompit, se passant la main sur la bouche avant de ramener ses cheveux trempés de sueur en arrière. Il braqua enfin son regard gris dans celui de Caes pour déclarer avec un sérieux mortel.

— Vous me suivez et ne regardez que mon dos. Ne cherchez pas à regarder tout autour de vous, n’attirez pas l’attention et lorsque les premiers cris retentiront, vous courez !

Sur ce, il se retourna et Caes lui emboita le pas. Derrière lui, il sentit que Jalil et Yanis faisaient de même. Ils n’avaient aucune idée de quoi voulait parler le jeune prince et, en dépit des instructions, le plus naturellement possible, le chevalier commença à observer leur environnement. Rien de terrifiant n’était visible et les condamnés étaient toujours rassemblés en groupes disparates tout en continuant à murmurer furieusement. De l’autre côté de la caverne, à l’opposé de la fontaine, les lumières encadraient l’un des nombreux tunnels parsemant la roche et personne ne semblait se décider à l’emprunter. Au contraire, plusieurs prisonniers se dirigeaient même vers d’autres tunnels et arguaient visiblement pour des solutions différentes.

Lombric et son second n’étaient toujours pas visibles et Caes ne savait trop s’il devait se sentir rassuré à ce sujet. La douleur dans son bras était toujours aussi lancinante et il ne pensait pas être capable de gérer ces deux problèmes.

— Les tunnels sont inondés par là-bas ! entendit-il dire quelqu’un. Il n’y a rien à faire, je vois pas pourquoi ils nous y envoient !

— Il y a les lumières ! rétorqua un autre un peu plus fort. Les lumières, c’est le chemin…

— Le chemin pour mourir, tu veux dire !

Leur discussion se perdit dans le flot des autres voix et Caes se désintéressa d’eux au moment même où il vit le second de Lombric émerger d’une stalagmite. Les mains dans les poches, il semblait les attendre à la manière d’un enfant penaud. Incertain de la façon dont ils allaient l’accueillir.

Aucune trace de Lombric et le chevalier s’apprêta à adresser un signe de tête à son ancien compère quand il réfréna une exclamation de surprise dans une sorte de gargouillement étranglé.

— Ne le regarde pas, murmura Ezéquiel qui l’avait entendu.

La chose se trouvait assise sur l’énorme rocher trônant au milieu de la caverne. Elle leur tournait le dos et ses cheveux hérissés étaient aussi ébène que son corps couvert de cicatrices. Elle semblait manger quelque chose au milieu des condamnés qui continuaient d’argumenter sans prendre l’initiative d’emprunter le tunnel. Le second de Lombric passa juste à quelques mètres du rocher sur lequel elle était juchée lorsque la créature tendit le bras. Se déplia une main aux immenses griffes qui rappelaient la structure des ailes d’un oiseau. Avec un sourire timide à leur encontre, l’homme n’avait rien remarqué.

Caes ouvrit la bouche pour l’avertir.

— Non.

Il se raidit au ton d’Ezéquiel, catégorique alors que la main s’abattait sur un prisonnier que leur compagnon venait juste de dépasser. Toujours avec un sourire de circonstance, le second de Lombric poursuivit son chemin sans ne rien avoir remarquer. Au-dessus de lui, s’éleva le prisonnier qui émit une exclamation étranglée avant que la chose ne l’égorge tout simplement pour le porter ensuite à sa gueule.

— Caes…, l’avertit Ezéquiel dans un autre murmure.

L’autre main de la créature se déplia pour laisser entrevoir les corps tressautant empalés sur ses griffes démentielles. Ils saignaient en surplombant les prisonniers et ouvraient spasmodiquement la bouche dans des cris silencieux. Leurs cordes vocales avaient été tranchées.

— Ne regarde pas !

La chose leva soudainement la tête avant de tourner vers eux un air surpris. Elle mâchonnait toujours la moitié du corps qu’elle avait enfourné dans sa gueule qui se tordit en une moue circonspecte. La créature ouvrit enfin la bouche dans un cri muet, ses yeux braqués sur Caes qui se pétrifia devant ce regard où se lisaient des sentiments qui formaient un cocktail effrayant. Une panoplie entre l’amour, la haine et l’envie qui donnait naissance à une obsession dont le chevalier se sentit immédiatement la cible.

Grâce à ce regard, il sut aussi ce qu’était cette chose.

L’instant d’après, le Scie lui souriait.

— Oh merde, entendit-il Yanis glapir avant qu’il ne prenne Jalil par le bras pour le forcer à courir.

— Caes, on se casse de là ! cria Ezéquiel en le prenant par le bras à son tour.

Le chevalier eut le plus grand mal à ne pas tomber alors que, trébuchant, il parvenait à grand peine à trouver son équilibre dans ce début de course. Le second de Lombric s’était mis à courir lui aussi après un regard en arrière et les premiers cris ne tardèrent pas à poindre avant qu’un rire hystérique ne résonne.

Un instant encore après, les sirènes se firent entendre.

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