Chapitre 60

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Le cloître était plongé dans une semi-pénombre rendue plus obscure encore par les lumières de la ville les entourant. Le cœur de l’abbaye d’Aristide Leor était en deuil et ses murs faisaient office de remparts aux célébrations qui la cernaient. Les cris d’Amédée avaient laissé place à des croassements épuisés. Ils étaient une mélodie accompagnée par les rythmes d’une ville en liesse. Des rythmes sourds et tambourinant qui pulsaient contre la peau et résonnaient jusque dans les os.

Ulysse Yazak reposait sur un bucher, sa sœur malingre blottie contre lui. Ils étaient entourés par des silhouettes encapuchonnées. L’ultime hommage des apôtres de l’Archevêque envers l’un des leurs sur un sol aux dalles noircies par les incinérations qui avaient précédé celle-ci. À l’étage, un balcon sur toute la circonférence du cloître surplombait la scène. Un balcon où se trouvaient les barons des douze à l’exception du Loup. S’y trouvaient aussi Clare et Lamia, en compagnie de Tamp. La grosse dame était immobile, son énorme silhouette cernée par les deux autres femmes. Elle ne regardait pas le bucher, abominant Ulysse Yazak et sa sœur, mais le balcon opposé où se trouvait Elban Feulys lui-même. Statue à l’autorité indéniable dont presque tous les autres barons avaient pris soin de se tenir à distance.

En effet, après la découverte des deux gardes empoisonnés, il avait été aussitôt établi que la tentative d’assassinat était dirigée contre l’Archevêque. De ce fait, l’Échanson avait été le premier suspect.

Cependant, à ses côtés se trouvaient la baronne du Paon ainsi que le baron de l’Écureuil. Ils formaient une paire bien étrange qu’il aurait été imprudent de sous-estimer. Curieusement, et bien qu’il ait commencé par accabler le maître du Serpent, Livresse se trouvait à la gauche de celui-ci, légèrement en retrait. Son imposante et difforme silhouette avait des airs de gargouille alors qu’il observait le silence comme tous ici, à l’exception d’Amédée.

Sous les accusations, le baron du Serpent était resté étonnamment calme. Il avait ensuite demandé à Sybille de révéler s’il était coupable ou non. Cette dernière avait d’abord lâché un petit rire en dépit de ses yeux rougis par les larmes suite au décès d’Ulysse. Puis elle l’avait simplement disculpé sous les expressions ahuries des barons et le regard incertain d’Aristide Leor.

— On dirait que vous n’êtes pas la seule à marcher sur une corde… raide, avait alors soufflé Lamia à l’oreille de la pupille.

En effet, les plans de la petite prophétesse, quels qu’ils soient, laissaient à tous ses pions une marge de manœuvre dont ils étaient libres de tester les limites. Tout comme Clare, Elban savait que la fillette avait besoin de lui d’une manière ou d’une autre. Et bien qu’elle l’ait mis à bas pour un temps, il semblait important qu’il reste vivant.

Une chose que semblait comprendre certains barons, ainsi que Livresse qui, parfois, faisait montre d’une remarquable intelligence. En effet, les raisons obscures de Sybille pouvaient présager un retournement de situation des plus inattendus. De plus, son levier, en la personne de Jalil Lorel, pouvait très bien mourir le lendemain et sans cela, rien n’empêcherait l’Échanson de reprendre les rênes de la plus meurtrière des manières.

La silhouette de Lloris Jax finit par apparaître en contrebas. Muni d’une torche, il s’avançait vers les autres apôtres, troublant ainsi l’immobilité ambiante alors que les flammes projetaient leurs ombres tremblotantes sur les parois.

— Faîte la descendre.

À cet ordre, deux des silhouettes encapuchonnées obtempérèrent et bien qu’elle ne puisse identifier le premier, Clare reconnut sans mal le second comme étant le baron du Loup.

Un grondement rauque sortit de la gorge d’Amédée alors qu’elle s’accrochait vainement à la dépouille de son frère. Elle finit par gémir doucement une fois dans les bras de Sephrat Paria qui avait commencé à la bercer à la manière d’un bébé.

— Ard reaug mit volien, Ulysse, articula Lloris Jax. Une mort exceptionnelle pour une existence incroyable. Ard reaug mit volien.

— Ard reaug mit volien, reprirent en cœur les spectateurs.

Nous gardons tes ailes, traduisit intérieurement Clare avec ses maigres rudiments d’ancien langage. L’instant d’après, Lloris Jax jetait la torche sur le bucher qui prit feu en quelques secondes enveloppant le corps du défunt apôtre dans une tourmente de flammes.

Une mort exceptionnelle pour une existence incroyable… Si son esprit rationnel avait envie de prendre cette déclaration de haut, elle ressentait pourtant au fond d’elle le sens profond de ces paroles. Un sentiment tenace comme un arrière-goût désagréable qu’elle ne s’expliquait pas.

Elle connaissait Ulysse depuis quelques années déjà mais le sentiment de perte occasionné par sa mort lui donnait l’impression de l’avoir eu dans sa vie beaucoup plus longtemps que cela. Et en voyant ce cercle formé par les apôtres pour rendre hommage à l’un des leurs, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle aurait dû s’y trouver elle aussi. Elle retint son souffle en avisant que Lloris Jax avait levé la tête dans sa direction. Elle ne pouvait discerner son regard mais devinait son œil effrayant braqué sur elle. Après un court instant, il quitta les lieux et les autres apôtres, un par un, firent de même. Imités par les barons dans les minutes qui suivirent, ainsi que Clare, Lamia et Tamp.

Ne resta plus qu’un bucher rugissant et tentant vainement de supplanter le grondement d’une ville plongée dans la célébration.

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