Chapitre 54

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— Eh bien, messieurs, je ne vais pas dire que ça a été un plaisir de vous avoir connu…

— Je suis certain que c’est partagé, chef.

— Je l’pense aussi, sourit Lombric tout en donnant l’accolade à son second qui en ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.

Les deux portaient de vilaines ecchymoses sur le visage et la dentition du boiteux avaient encore subi quelques dommages. En effet, n’étaient désormais visibles qu’une incisive, une canine et quelques molaires sur le côté droit. Caes retint facilement le sourire qui lui montait aux lèvres. Si Lombric agissait avec une bonté surprenante, c’est qu’ils devaient penser qu’ils étaient perdus. Et après la partie qu’ils venaient de vivre…

Le monstre marin était sorti à pas moins de six reprises.

— Ladécoupe va m’manquer, chef.

Lombric poussa un long soupir aux mots de son second avant de sourire de nouveau, presque tristement.

— Il était méchant, Ladécoupe, acquiesça-t-il.

Le petit gredin avait été l’un des premiers à être dévoré par le monstre alors qu’il boxait son vis-à-vis depuis une bonne minute. Le sang versé n’avait pas manqué d’attirer la créature et le chevalier avait été effaré de constater que leur coéquipier continuait de frapper son adversaire jusqu’à ce que le monstre ferme sa gueule hérissée de crocs.

Ladécoupe avait été méchant, il n’y avait aucun doute là-dessus.

— Nous avons perdu un frère de plus, grogna Plume en jetant un regard lourd de sous-entendus à Ezéquiel.

Le gros homme avait été d’une remarquable efficacité sur leur dernier match. Rapide comme l’éclair et d’une grâce étonnante pour quelqu’un de sa corpulence, il s’était visiblement découvert de véritables qualités au Drig et avait même été capable de marquer deux points tout en restant précieux sur la bagarre générale.

— Nos frères…, lâcha péniblement Grosdur tout en mâchouillant ses mots.

Son visage semblait être fait de pâte à modeler tant il avait été déformé par les coups. Caes l’avait vu prendre pas moins de trois coups de maillets en pleine figure, quatre coups de bâtons et plus de coups de battes qu’il n’avait pu en compter. Le défenseur avait voltigé d’un bout à l’autre du terrain mais s’était relevé à chaque fois.

Grosdur était un dur, aucun doute là-dessus non plus.

— Je suis désolé, je ne pouvais rien faire de plus, leur parvint la voix de Jalil un peu plus loin.

— Ça suffira, répondit Lamenterre qui tournait et retournait son bras.

Cassé durant les premières actions du match, il était resté serré contre la poitrine de son propriétaire sans que celui-ci n’abandonne le combat. Tel que l’avait précisé Lombric, Lamenterre aimait l’attaque. Jalil lui avait créé un plâtre de fortune à l’aide de morceaux de bois et de tissus. Le gredin n’avait pas bronché.

Plus que quelques minutes…

Caes continuait de glisser sur l’eau tout en se penchant à presque effleurer la surface. Cela le calmait, comme répéter des mouvements d’entraînements. Son propre bras l’élançait, faute à un coup qu’il avait encaissé pour parer une attaque sur Yanis. Il craignait également une fracture bien qu’il se soit décidé à ne pas en parler. L’équipe avait besoin de garder le moral, aussi bas soit-il et ils comptaient sur lui. L’ancien soldat gardait la tête baissée quand il ne jetait pas de regards mauvais en direction d’Ezéquiel, et Caes s’inquiétait sérieusement de ce que l’absence d’un supérieur comme Victor pouvait générer chez Yanis.

Le jeune prince glissait sur l’eau, lui aussi. Sans exécuter les mouvements du chevalier, il esquissait tout de même des rotations et semblait à l’aise également. Cependant, Caes le connaissait assez bien pour savoir qu’Ezéquiel n’était pas avec eux. Perdu dans ses pensées, il réfléchissait à la tâche dont ils allaient devoir s’occuper. Mettre Ulysse Yazak hors d’état de nuire. La raison même pour laquelle Lombric et sa bande pensaient que tout était perdu. Cette finale et ce public qui n’attendaient qu’eux.

— Tu penses qu’on a une chance, p’tit gars ?

Le chevalier se redressa avant de dévisager Lombric qui évoluait non loin de lui. En dépit de sa jambe en bois accrochée au dispositif de Jade, le boiteux restait un coéquipier efficace.

— On ne le saura pas avant d’avoir essayé, lâcha-t-il d’un ton neutre.

Lombric hocha de la tête puis avisa Ezéquiel avant de sourire avec le peu de dents qui lui restait.

— Vous n’êtes pas de simples bonnes gens, vous deux, hein ?

Caes se raidit alors que le boiteux agitait la main pour désamorcer sa méfiance. Curieusement, et bien qu’ils ne puissent pas se faire confiance au vu de leurs antécédents lors des épreuves, la bagarre générale avait créé un lien entre eux. Un lien dont ils allaient avoir besoin avec ce qui arrivait.

— J’veux pas t’mettre mal à l’aise, poursuivit Lombric. J’suis un marin, j’ai vu du pays et j’ai vu le monde dans ce même pays. Des apôtres, des tourmenteurs et même… ces foutus cauchemars d’hémaïdes. Toi et ton ami…

Il marqua une pause tout en avisant encore une fois Ezéquiel qui ne semblait pas avoir remarqué l’attention.

— Vous avez l’air de pouvoir vous frotter à eux.

La corne résonna et le sourire du gredin disparut. L’instant d’après, l’équipe se trouvait réunie sans que personne ne dise un mot. Gredins, soldat, médecin, prince et chevalier échangèrent des regards tour à tour, et tous purent sentir ce lien que partagent des coéquipiers en un moment crucial. Ce sentiment de pouvoir compter sur les autres en plus de soi.

— Moi, j’dis que nos adversaires ont un mental de lapin ! commença à les haranguer Pov’connard avant d’ajouter. Et ils sucent pas qu’des car…

— Bien ! coupa Ezéquiel qui s’était déjà avancé aux côtés de Caes vers le tunnel d’où leur parvenait la clameur d’un public en liesse. On va faire simple, on ne peut pas gagner.

Le chevalier sentit littéralement leur groupe retenir son souffle à cette déclaration.

Bordel, Ezéquiel ! Qu’est-ce que tu fais ?

Il avisa le visage de son compagnon et fut surpris d’y trouver un sourire. Malgré lui, les lèvres de Caes s’étirèrent pour en former un à son tour.

Il savait à quoi pensait son ami.

— Cependant, ajouta le jeune prince avec un éclat dangereux dans ses yeux gris. On peut briser une équipe…

Il marqua une pause après laquelle il ajouta sous les rires des gredins, y compris Plume.

— Et casser de l’apôtre.

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