Chapitre 53

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Aristide Leor s’était muré dans une tristesse non feinte. Ses yeux avaient perdu leur éclat et ses petites lèvres tremblaient par intermittence comme s’il risquait de fondre en larmes. Lamia avait parlé mode avec un entrain et un engouement qui se trouvaient dynamisés par la peine de leur hôte. La plantureuse brune semblait s’en nourrir à la manière d’un sol fertile se gorgeant d’eau. L’Archevêque répondait alors par de faibles et absentes onomatopées. Il hochait de la tête et clignait des yeux à un rythme irrégulier.

Clare aussi n’avait pas manqué de plonger dans la conversation et les deux femmes avaient très vite convergé sur l’excitation que leur procurait le mariage à venir. Elles avaient aussi énormément débattu au sujet de la robe d’Artance de Nabar devant la mine de plus en plus décomposée du baron de l’Ours. Malgré elle, les lèvres de Clare frémirent. Le petit homme lui avait lui-même demandé comment elle se sentait à l’approche du mariage et voilà qu’il récoltait bien plus qu’il ne l’avait espéré. Tout ceci avait une logique, bien évidemment. Et bien qu’elle se refuse à se l’avouer, Clare s’était toujours secrètement régalée de ses jeux partagés avec sa dame de parage dans le but de glaner de précieuses informations. C’était quelque chose qu’elles partageaient depuis petites. Et c’était aussi ce qui avait déclenché les premiers vrais rires de Lamia.

— Cette robe aurait été encore plus réussie si l’on m’avait laissée séjourner au Rhondos, fit mine de gronder cette dernière. Une prise de risque pour en déclencher une autre !

Clare secoua tristement la tête.

— Mon futur beau-père n’a rien voulu savoir, se lamenta-t-elle. Crois-moi, Lamia, j’ai fait tout ce que j’ai pu…

— Je le sais, ma dame… Croyez-moi, je le sais.

— Et croyez-moi quand je vous dis que François de Nabar a ses raisons de ne pas vous laisser approcher le Rhondos, intervint finalement l’Archevêque avec un brin d’agacement dans la voix. Le « grand » baron des Hauts Royaumes a en tête des projets bien particuliers et ses alliances ne sont pas toutes aussi évidentes que le témoignent vos fiançailles…

Son regard perdit de son absence et il s’arracha subitement au terrain aqueux pour leur exposer un air gêné.

— Je suis désolé, mes dames, se rattrapa-t-il. Je n’aurais pas dû, je suis juste un peu…

Il grimaça, cherchant ses mots.

— Désappointé, finit-il par lâcher avec un pauvre sourire.

— Une autre alliance qu’avec Irile ? demanda Clare en haussant démesurément les sourcils.

Un tic nerveux secoua les joues rebondies de leur hôte et fort heureusement pour lui, c’est à ce moment-là que l’entracte prit fin avec le retentissement de la corne suivie de l’entrée de l’équipe victorieuse du troisième match. Évitant le regard de la pupille, Aristide Leor concentra toute son attention sur les joueurs glissant au-dessus des eaux. Un semblant de sourire reparut même sur son visage alors qu’il s’empressait de les encourager.

Ravalant sa curiosité, ainsi que son agacement, Clare ne manqua pas de remarquer que les prisonniers se débrouillaient déjà bien mieux que lors de leur premier match. L’autre équipe n’avait pas encore pénétré le terrain qu’ils se positionnaient déjà, prêts à la recevoir. Elle croisa le regard de Lamia et y lut sa propre stupéfaction. L’Archevêque venait bel et bien d’évoquer l’existence d’un double jeu auquel se livrait le baron de Nabar. Lamia et elle se devaient de découvrir ce qu’il se tramait. Que savait la Main à ce sujet ? Était-ce pour cette raison que l’ombre d’Irile les avait envoyées sur cette mission ? Un fossé de sombres vérités… Les mots de leur mentor résonnaient encore à ses oreilles. Était-elle à nouveau dans les Baronnies pour dompter encore une fois un baron ?

Son regard se porta inconsciemment vers la loge de Sephrat Paria avant d’être attiré par l’immense silhouette qui venait d’apparaître sur le terrain. Fendant les eaux tel un dieu des mers et suscitant des exclamations dans tout le public.

Ulysse Yazak.

Les coéquipiers du mastodonte n’avaient pas eu le temps d’apparaître que ce dernier se trouvait déjà devant le capitaine adverse pour l’expédier de sa batte dans les airs. Le silence se fit dans le public alors que l’homme voltigeait dans un cri étranglé pour retomber dans un bac d’anguille quelques mètres plus loin.

Au bord du terrain, dans le mutisme général, l’arbitre avait toujours son sifflet au bord des lèvres que l’apôtre le dépassait sans un regard pour quiconque et disparaissait par où il était venu. Sur le terrain, aucun des joueurs n’avait eu le temps de bouger le petit doigt. Ils restaient figés, glacés autant de surprise que d’horreur.

La corne résonna.

— Ma foi…, hésita l’Archevêque avec une moue partagée. C’était rapide.

Quelques applaudissements timides ne tardèrent pas à se faire entendre dans le public qui suivit avant de se transformer en une nouvelle clameur. Une clameur emplie des commentaires sur ce à quoi ils venaient d’assister.

— Ma foi…, répéta Lamia avant que ne résonne dans leur dos le rire de Sybille.

— Ulysse ne peut plus attendre lui non plus, déclara-t-elle en allant se blottir contre la plantureuse brune qui lui sourit gentiment.

Elle ignorait totalement Harlequin, par contre. Ce dernier, presque toujours dans le sillage de la petite prophétesse, se tenait devant la porte de leur loge. Garde du corps inquiétant auprès duquel les deux gardes postés de chaque côté de l’entrée faisaient pâle figure. Après un regard agacé en direction de Clare, il tourna une expression indéchiffrable sur les deux brunes.

— Personne ne veut donc attendre ici ! tempêta l’Archevêque dans un coup d’éclat qui ne manqua pas de surprendre Clare. On veut ses destins, on veut ses proies ! Quand allons-nous faire à nouveau preuve d’humilité et rendre grâce aux Architectes ?! C’est eux que nous devons contenter et non nos peeeeeetites personnes !

Dans son soudain accès de rage, il avait bégayé sur ses derniers mots, paraissant ainsi encore plus capricieux qu’il ne l’avait laissé entrevoir jusqu’à maintenant. Sa mauvaise foi était surprenante et ses contradictions en devenaient alarmantes. Clare en aurait souri si cela n’avait pas été si dramatique.

Cet homme était aussi fou que ses apôtres.

Il continuait à pester tandis que deux nouvelles équipes entraient sur le terrain. Les gagnants du quatrième match, plus bagarreurs que joueurs, et l’équipe de Caes. Si les premiers étaient patibulaires, il allait sans dire que ce qu’il restait de l’équipage de la Perle des Bas-fonds était loin de faire pâle figure. Ils ne manquaient pas d’insulter copieusement leurs adversaires tout en se plaçant et ces derniers leur rendaient la pareille avec âpreté. Caes semblait donner des instructions à Jalil et à ce qu’elle devinait être un garde de l’Échanson. Ils semblaient tendus mais confiants et l’inconnu…

Clare s’attarda sur sa silhouette élancée. Il n’avait guère la virtuosité évidente de Caes, mais ces mouvements étaient harmonieux et il évoluait avec une grâce certaine sur les eaux. Cependant, ce qui frappait était son attitude. Ce n’était pas flagrant mais n’importe quel observateur pouvait voir que ce jeune homme notait tous les détails de son environnement. De même que les caractéristiques des joueurs adverses ainsi que de sa propre équipe. Elle était certaine qu’il gardait un œil sur les loges des apôtres.

La pupille secoua la tête en se rappelant la première fois qu’elle l’avait vu. Ce regard amusé empli de défi à leur encontre alors qu’il se trouvait acculé et à deux doigts de mourir. Un regard qui la hantait dès qu’elle fermait les yeux.

— Qui est-il ? Le tueur de… gargantesque.

Clare haussa un sourcil à cette question de Lamia. Surprise que celle-ci ne soit pas au courant de l’identité du jeune homme.

— C’est une excellente question ! s’écria l’Archevêque en se tournant vers Sybille.

Sa colère s’était subitement envolée et les mains jointes, il couvait la prophétesse d’un regard presque suppliant. Cette dernière, manipulant encore une fois les doigts de Lamia tout en les scrutant avec attention, ne répondit pas tout de suite.

Quelques longues secondes passèrent.

— Sybille ? répéta Aristide Leor avec hésitation.

La fillette poussa un soupir tout en lâchant la main de Lamia. Adressant un regard en coin en contrebas, elle tordit son adorable bouche en une moue incertaine.

— Ezie, finit-elle par dire en déclenchant l’horrible rire de poule d’Harlequin.

Une grimace se peignit sur le visage de Lamia alors que Clare tordait la bouche à son tour.

— Ce n’est pas un nom pour un humain ! s’insurgea la dame de parage.

— Ma foi…, se prononça le baron de l’Ours en hochant plusieurs fois de la tête. Cela n’enlève rien aux qualités de ce jeune homme, je ne suis pas juge…

La pupille ne dit rien, gardant pour elle son commentaire mais se disant tout de même qu’elle aurait préféré continué à ignorer son nom.

« Ezie » s’était déjà placé à l’attaque, non loin de Lombric, de l’énorme frère d’Ulrich ainsi que d’un autre membre de la Perle des Bas-Fonds. Les défenseurs de l’équipe adverse ne manquaient pas de l’invectiver, cependant ce dernier restait calme et leur adressait même quelques sourires qui les mettaient plus en colère encore.

— Je sens que nous allons avoir droit à un grand match ! s’exclama l’Archevêque.

Pendant ce temps, l’arbitre s’était déjà avancé au milieu du terrain à une distance respectable de la gigantesque boule qui y flottait et sur laquelle tous les yeux étaient rivés. La tension était plus que palpable. Après quelques secondes d’attente insoutenable, la corne résonna enfin, suivie du coup de sifflet d’ouverture de l’arbitre.

Et c’est alors qu’une nouvelle bagarre générale éclata.

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