Chapitre 47

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— Je sens qu’ça va être compliqué.

— Pov’ connard, c’est pas l’moment d’l’ouvrir ! On est mort, un point c’est tout ! Et t’as grandement contribué à nous y mener !

— On allait quand même participer à cette épreuve, chef.

Lombric leva la main pour frapper son nouveau second avant de suspendre son geste. Ulysse venait à peine de disparaître dans l’arche et autour d’eux, le brouhaha ne cessait de s’intensifier alors que les équipes de prisonniers débattaient déjà avec virulence de la stratégie de jeu à adopter.

Le boiteux laissa aller son regard plissé aux alentours, détaillant la caverne où Ezéquiel et Caes avaient déjà patienté pour « Monstre ou proie », comme s’il cherchait une échappatoire. Ce qui était certainement le cas.

— Voyons le bon côté des choses…, commença Ezéquiel.

— Parce qu’il y a un bon côté ?! postillonna Lombric.

— Oui, répliqua le prince sans se démonter. On peut choisir nos postes et donc notre capitaine, nous.

Lombric laissa de nouveau aller son regard mais cette fois sur les prisonniers qui s’avançaient pour plonger la main dans de grosses urnes au verre opaque. Ce qu’ils en retiraient étaient les positions qu’ils allaient occuper dans le jeu à venir.

— Ça me fait une belle jambe, ricana le gredin.

Un concert de gémissements se fit entendre sur leur gauche. Un prisonnier visiblement blessé au teint pâle et soutenu par une béquille de fortune venait de justement tirer la position de capitaine. Autour de lui, ses coéquipiers faisaient entendre un concert de protestations à l’encontre des soldats supervisant le tirage au sort. L’un d’eux tenta même de briser le cou du pauvre homme avant d’être stoppé par la pointe d’une lance qui le maintint à distance.

— Ulysse a dit que si le capitaine était mis hors-jeu, ça signifiait la défaite, chef, fit remarquer son second. Ça fait du capitaine une cible et pour une cible, ça vaut mieux d’être mobile.

— Et une défaite signifie qu’on va tous mourir, plaça Yanis plus renfrogné que jamais.

Ezéquiel et Caes échangèrent un regard entendu. Le jeune prince avait eu raison lors de l’épreuve précédente. Le privilège acquis par le chevalier leur conférait désormais un avantage certain. Car comme venait de faire remarquer le second squelettique, le capitaine allait devoir être mobile.

Lombric continuait de les dévisager tour à tour.

— J’suis capitaine dans la vraie vie, dit-il en avisant sa jambe de bois. Mais j’suis pas l’mieux placé pour l’être dans le jeu.

— Sans rire, rétorqua Caes en s’attirant une œillade assassine du boiteux.

— Je pense que Caes devrait être le capitaine, intervint Jalil. Il a survécu face à pas moins de dix gladiateurs et je vois mal quelqu’un le mettre hors-jeu…

— Nous devons protéger Jalil, intervint Yanis. Ou vous pourrez dire au revoir à la protection de l’Échanson. S’il est capitaine, tout le monde devra y mettre du sien pour qu’il reste en vie.

Caes acquiesça pour lui-même. C’était bien pensé. Cependant, Ezéquiel s’avança tout en secouant la tête et le chevalier sut qu’il avait déjà une approche de la stratégie à adopter. Et il sentit qu’elle n’allait pas plaire à tout le monde.

— Nous ne devons pas nous mettre de boulet au pied, déclara-t-il. Je suis désolé, Yanis mais Jalil devra faire part intégrante de l’équipe et un poste autre que celui de capitaine le rendra moins visible aux yeux des autres et donc plus facile à protéger.

— Je suis d’accord, plaça le médecin alors que le garde ouvrait la bouche. Je veux être utile.

Son ton était sans concession, de même que le regard qu’il renvoya à son protecteur qui vacilla l’espace d’une seconde avant de pointer Ezéquiel du doigt.

— Je ne lui fais pas confiance ! Il sait utiliser les autres à son avantage. Il… il est capable de le les laisser mourir aussi bien…

Le silence s’installa alors que les regards se fixaient sur le jeune prince qui ne cilla pas. Caes savait de quoi le garde parlait. Il avait été présent lui aussi.

Ezéquiel a fait ce qu’il a pu…, commença-t-il par se dire avant de se demander s’il aurait pensé la même chose encore quelques semaines avant. En effet, il se voyait en la défiance de Yanis à l’encontre du jeune prince. Et il revoyait aussi le garde tomber à genoux devant Ulrich. Il n’y avait aucun doute qu’il devait se reprocher beaucoup plus qu’il n’en reprochait à Ezéquiel. Il ne pouvait tout simplement pas le mettre au-dessus de lui et préférait tout reporter sur le jeune prince.

Le chevalier se sentit le souffle plus court à cette déduction. Encore une chose qu’il aurait été bien incapable de percevoir avant qu’ils ne s’embarquent pour cette aventure.

— Laisse-moi deviner, gronda Lombric à l’attention d’Ezéquiel. Le capitaine, ça va être ton petit copain ou toi, hein ?

Ce dernier grimaça.

— En fait, Caes en tant que capitaine nous ferait adopter une stratégie tournée vers la défense. Il est déjà une cible depuis sa performance dans l’arène et nous avons besoin de plusieurs cibles. Je suis convaincu qu’en ce jour, la meilleure défense sera l’attaque. Je comptais plutôt sur l’un d’entre vous…

— Pov’ connard, déclara Lombric sans hésitation.

— Hein ? fit ce dernier.

— Tu es sûr de toi ? demanda Ezéquiel au boiteux sans la moindre considération pour la stupeur du second.

Lombric acquiesça avec conviction.

— C’est un mec insupportable et il est toujours à mes côtés, c’est déjà une preuve en soi, confirma-t-il. Cependant, quand les choses vont pas bien, c’est son instinct qu’on suit et ça nous a sorti de pas mal de problèmes. Il est pragmatique et vachement chanceux. De plus, s’il était pas aussi chiant, on l’remarquerait même pas. Il f’ra un capitaine remarquable.

— C’est l’premier compliment que j’entends d’vous, chef. Et pourtant, j’ressens pas franchement d’satisfaction.

— V’voyez… ? conclut Lombric.

Ezéquiel et Caes échangèrent un nouveau regard alors que Yanis se renfrognait d’autant plus. Surgit alors un concert d’exclamations de joie. Une équipe congratulait certains de ses joueurs à l’air particulièrement imposants.

— Les défenseurs, souligna Ezéquiel. Ils sont là pour empêcher les attaquants de marquer à travers le cercle. Ils sont costauds…

Son regard s’attarda sur Plume qui, sans se départir de son œillade assassine pour le jeune prince, haussa un sourcil.

— Je ne suis pas fait pour défendre.

— Ah…

Un silence pesant prit place alors qu’Ezéquiel avisait Lombric avec insistance. Ce dernier haussa les épaules.

— C’est l’plus rapide d’entre nous.

— Ah.

— C’pour ça qu’on l’appelle Plume.

— Je vois.

Le jeune prince marqua un temps d’arrêt, prolongeant ainsi un silence embarrassant.

— Eh bien, il sera attaquant, finit-il par dire sans grande conviction.

— L’attaque, ça ira, acquiesça Plume toujours fixant l’assassin de ses frères.

Ezéquiel sourit nerveusement, ce qui n’échappa à personne.

— Pour la défense, poursuivit-il. Je pense à Jalil et Yanis. Ce sont des postes utiles et qui semblent présenter moins de risques que les autres.

— Je suis d’accord, admit Yanis à contrecoeur avec un regard d’avertissement pour son protégé qui hocha de la tête.

— Il nous faut deux défenseurs de plus, continua Ezéquiel. Mais j’aimerais d’abord que nous parlions des ravageurs. D’après ce que j’ai compris, ils peuvent marquer des points avec les adversaires. Cela m’a l’air d’être pour des combattants. Caes doit être l’un d’entre eux. Pour l’autre, je vous laisse choisir.

Lombric dévisagea Caes de son regard connaisseur tout en hochant de la tête avant de se tourner vers l’un de ses gars.

— Ladécoupe, c’est pour toi, annonça-t-il avant de se tourner vers Ezéquiel. Il est méchant, Ladécoupe.

L’homme en question était petit et rachitique mais il affichait un air méchant, effectivement. Le jeune prince, lui, restait impassible mais Caes sentait qu’il n’était pas spécialement d’accord avec le gredin.

Ezéquiel rongea malgré tout son frein et déclara à l’attention de Lombric.

— Bien, il nous reste deux postes de défenseurs…

— Ce sera pour Pov’ connard et Grosdur, le coupa le boiteux. Lamenterre et moi, on va être attaquants si ça te dérange pas. Comme j’ai dit, Pov’ connard a de l’instinct, Grosdur est dur, Lamenterre aime l’attaque et moi, après Plume, j’suis l’deuxième plus rapide.

— Ah.

— Et toi, t’es adroit, grimaça le boiteux en découvrant ses dents manquantes. Donc t’es attaquant avec Lamenterre et moi. Sans oublier Plume. On a notre équipe.

— Ah.

— Quelqu’ chose qui va pas ?

Ezéquiel pinça les lèvres tout en soutenant Lombric d’un regard fixe que Caes lui connaissait bien lorsque les choses ne se passaient pas selon son bon vouloir. Et le chevalier aurait souri si son ami n’allait pas être entouré de trois dangereux tueurs. Dont un qui avait toutes les raisons du monde d’égorger Ezéquiel sur place. Le boiteux était décidément un homme intelligent et il tenait à garder le jeune prince bien en vue.

Caes se raidit alors que se poursuivait l’affrontement entre les deux. Se tenant prêt à intervenir au cas où Ezéquiel veuille rompre l’accord. Après tout, ils ne pouvaient pas vraiment faire confiance à ces tueurs.

— C’est d’accord, finit par dire le jeune prince. Après tout, on doit se faire confiance si on veut sortir de là…

Il laissa sa phrase en suspens tout en jetant un regard lourd de sous-entendus à l’encontre de Plume qui darda sur lui ses yeux froids. Cependant, la montagne de gras acquiesça tout de même. Ezéquiel échangea un nouveau regard avec Caes. Aucun d’eux n’était dupe, la vengeance était tout simplement remise à plus tard. Comme le témoignait le sourire édenté bien trop amical de Lombric.

— J’ai un peu plus confiance en l’avenir, maintenant, conclut ce dernier.

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