Chapitre 45

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— Il y a des jours où je m’dis que la vie est surprenante. Puis il y a d’autres jour où j’me dis que la vie, c’est d’la merde, vous pouvez me croire ! Eh ben aujourd’hui, figurez-vous que j’me dis les deux !

— Pour faire court, le chef a l’cul entre deux latrines…

— Pov’ connard, tu t’arrêtes tout d’suite !

Le hall concrétionné de leur première geôle leur avait fait un étrange effet. De même que les eaux sombres du lac qui avaient repris leurs places et dont ils restaient soigneusement à l’écart. S’il y avait eu des dépouilles de noyés, elles avaient été enlevées de même que celles des gargantines. Dans les faits, seules deux choses témoignaient des évènements cauchemardesques qui avaient eu lieu ici. Dans un premier temps, la baisse de température après la submersion et le fait qu’ils soient définitivement moins nombreux. Dans un deuxième, ils étaient définitivement moins nombreux, justement.

— Ça ne me plaît vraiment pas non plus, dit Ezéquiel dont l’épaule quitta la stalagmite contre laquelle il s’appuyait. Mais nous n’avons pas le choix. Nous avons perdu beaucoup de monde et vous aussi.

— On s’demande bien à qui la faute…

Le boiteux se leva du caillou qui lui servait de chaise et commença à faire les cents pas tout en jetant de fréquents coups d’œil méfiants à Ezéquiel. Comme si ce dernier pouvait lui faire un mauvais coup à tout moment.

Caes leva les yeux au ciel avant de les reporter sur le groupe hétéroclite qu’ils formaient. Yanis et Jalil se trouvaient côte à côte, se réconfortant silencieusement dans la peine et la présence de l’autre. Le frère d’Ulrich et Brick se trouvait légèrement en retrait de « pov’ connard » qui semblait être devenu le nouveau bras droit de Lombric. Énorme, gras et à l’œillade pour le moins vindicative à l’encontre du jeune prince, il répondait au doux sobriquet de « Plume ». Trois autres gredins complétaient leur groupe de gredins : GrosDur, Lamenterre et Ladécoupe. Des prénoms qui ne devaient certainement pas être du fait des géniteurs. Quoique…

— Nous devons être dix, intervint le chevalier. Et avec nous, vous êtes dix.

— Je sais compter, figure-toi ! s’écria Lombric. C’est juste que j’aime pas les gens avec qui on va être dix ! Il pointa son doigt en direction d’Ezéquiel. Et j’ai pas confiance du tout en celui-là ! Il est peut-être même plus fourbe que moi et définitivement plus intelligent ! J’me méfie des gens intelligents !

— Je ne compte pas me laisser jeter dans le lac, rétorqua Ezéquiel qui lança tout de même un regard incertain en direction de Plume.

Contre toute attente, le boiteux éclata de rire. Un son à cheval entre le cri de l’âne et un gémissement d’agonie.

— Les rumeurs vont vite, vous savez ! dit-il. Ulysse veut votre tête et lorsqu’un apôtre veut une tête, eh bien… il récolte la tête et d’autres aussi ! Je veux pas que ma tête fasse partie des autres aussi !

— C’est bien dit, chef. Mais faut pas oublier qu’on veut notr’ mort à nous aussi…

— Pov’ connard, je te jure que sur la prochaine claque que je vais t’foutre, je vais prendre de l’élan !

— En voilà une surprise, sourit Ezéquiel en mettant ses mains dans ses poches.

Le boiteux pointa vers lui un doigt menaçant.

— Celui qui en a après nous a rien à voir avec ce qui en a après vous, et…

— Il vous a quand même envoyés ici, coupa Ezéquiel toujours sourire. Les Jeux sont une condamnation à une mort horrible. De plus, même si vous en sortiez vivants, qu’est ce qui te fait dire que vous serez saufs ?

Le doigt de Lombric abandonna son horizontalité accusatrice pour une verticalité indécise. Ezéquiel, lui, s’adossa de nouveau à sa stalagmite.

— De la façon dont tu en parles, il s’agit très certainement d’un baron, poursuivit-il. Je ne suis pas d’ici, c’est vrai. Mais j’en ai assez entendu sur les douze pour savoir qu’il vaut mieux les avoir en tant qu’amis qu’ennemis. Si l’un d’entre eux vous a envoyés aux Jeux, c’est parce qu’il voulait vous voir morts et dévorés. Si vous vous en sortez, pense-tu qu’il lâchera l’affaire… ?

Le doigt pointa de nouveau vers le jeune prince.

— Comme j’le disais, t’es fourbe et intelligent. Après les Jeux, c’est un problème auquel on pensera si on surmonte le premier…

— On peut vous protéger, asséna le jeune prince dans un écho des paroles de Jalil.

Le doigt de Lombric pointa une nouvelle fois vers le haut avant de viser Ezéquiel.

— J’te crois pas.

Le jeune prince pointa Jalil du pouce.

— Si on sauve ce gars-là, l’Échanson a juré de nous protéger.

Le gars en question poussa une exclamation de colère.

— Qu’est-ce que c’est que ces… ? commença-t-il.

— C’est la pute de l’Échanson et ça tombe sous l’sens, grommela Lombric.

À ces mots, Yanis se leva pour en découdre mais Caes s’interposa tandis que les gredins se plaçaient aux côtés du boiteux qui continua sans faire mine de remarquer le soldat.

— Mais l’Échanson a le pouvoir du cochon qu’on égorge dans le Croissant en c’moment. Pas vraiment le genre de personne capable de protéger notr’ petit groupe.

— L’Échanson reste un baron, rétorqua Ezéquiel. Et il sera au moins capable de mettre des bâtons dans les roues de celui qui vous veut du mal juste le temps qu’il faudra pour mettre les voiles.

Le doigt du boiteux reprit la direction du plafond.

— Je dois avouer que ça tombe sous l’sens, ça aussi.

— Pov’ connard, tu…

Lombric marqua une pause. Son doigt marquant toujours son indécision. Les yeux plissés en une démonstration de méfiance teintée d’un espoir ténu entretenu par de complexes calculs. Son regard alla de Jalil à Caes, puis à Ezéquiel dans un plissement accentué.

— Garder quelqu’un en vie en plus de nous, ça va pas être évident…

— Nous protéger ensuite ne va pas être évident non plus, rétorqua Ezéquiel. Même pour l’Échanson.

— Certes, certes…

Un long silence s’ensuivit durant lequel tous se dévisagèrent à tour de rôle. Évaluant des probabilités qui ne portaient certainement pas toutes sur la protection de Jalil. Les regards se faisaient plus insistants sur le jeune prince qui ne bronchait pas le moins du monde. Décroisant finalement les bras, ce dernier s’avança même de quelques pas et tendit la main au boiteux qui voulait sa peau par-dessus tout. Si ce n’était sa propre vie…

— Alors ? sourit le jeune prince. Êtes-vous avec nous ?

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