Chapitre 44

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Bien que l’on soit en début d’une journée ensoleillée, il faisait toujours frais dans le Rhondos. La faute en revenait au Pic des Coranites dont la forme massive recouvrait de son ombre tout un royaume et le plongeait dans une semi obscurité la majeure partie du jour. En cette ombre, le barrage nabarois s’étendait sur des kilomètres du pied du Mont jusqu’au Rhondos en lequel il se prolongeait en un mur couvrant les Baronnies sur une autre centaine de kilomètres. Il s’agissait là d’une dantesque construction dépourvue d’esthétique mais qui restait une défense formidable haute de vingt mètres pour pas moins de six mètres d’épaisseur. Une défense contre un ennemi dont la menace était aussi fantomatique que les lointaines falaises de l’Arc au Creux s’élevant dans les Contrées Chantantes.

Lorain reporta son attention sur le soldat qui lui faisait face. Un gaillard aussi grand que le baronnet, à la barbe proéminente et au regard embrumé par la soirée alcoolisée dont il avait été victime la veille.

Il répondait au nom de Gareth.

— À quand remonte la première fois que cette « lanterne » a été vue ? demanda-t-il.

Face à lui, le soldat se gratta la barbe d’un air pensif tout en avisant les plaines à son tour.

— Je ne sais pas trop, seigneur, avoua-t-il en haussa les épaules. Cela fait des années. Nous y sommes même habitués, à vrai dire ! Certains iront même jusqu’à vous dire que voir la lanterne vous indique la venue d’un heureux évènement.

Il grimaça avant d’ajouter.

— Et d’autres, plus pessimistes vous diront que la voire annonce la mort d’un de vos proches… Dans certains cas d’héritage, cela peut aussi s’apparenter à un heureux évènement.

— Combien de fois l’avez-vous vue personnellement ? demanda Lorain sans faire attention à la dernière remarque du soldat.

— Deux fois, répondit ce dernier. La dernière remonte à quelques semaines à peine. Et il n’y a jamais eu d’heureux évènement.

Toujours sans prêter attention aux remarques du soldat, Lorain croisa les bras sur sa poitrine tout en dévisageant le bonhomme d’un regard circonspect. Juchés sur le mur lui-même, ils avaient vue sur l’étendue déserte marquant le commencement des Contrées Chantantes. Pas un véhicule n’était en vue et ceci depuis quelques jours. En effet, bien que les autorités aient gardé le secret le plus longtemps possible, la rumeur d’une nouvelle Guerre de la Chair s’était propagée dans les populations. Les Plateaux Rocheux et les plaines collines, jugées trop proches des plaines de Dunam étaient désormais vide de monde.

La tension était palpable et permanente. Couvant au sein de la population mais aussi au sein de la garde du Rhondos, l’un des royaumes en fer de lance en cas d’attaque.

— Et personne n’a jamais vérifié de qui il s’agissait ?

À cette question, le soldat Gareth secoua négligemment la tête.

— Le fantôme à la lanterne ne se rapproche jamais à moins de quelques kilomètres du mur, seigneur ! Et il nous est strictement interdit de sortir de cette enceinte la nuit et encore moins de s’aventurer dans les plaines. Et surement pas en ce moment.

— Qui a donné cet ordre ?

— Le baron du Rhondos, lui-même, seigneur. Bien que…

Il marqua une pause tout en regardant autour de lui bien qu’ils soient seuls sur le mur.

— Bien que notre précédent baron ait envoyé des patrouilles il y a quelques mois de cela.

— Qu’ont-il trouvé ?

— Rien, seigneur ! Le fantôme disparaît toujours au beau milieu des plaines.

— Où cela ?

— Difficile à dire, seigneur, s’expliqua Gareth en grimaçant. Personne n’est d’accord à ce sujet et je comprends pourquoi. Par exemple, les deux fois où j’en ai été témoin, il a disparu à différents endroits.

Lorain décroisa les bras pour, les mains sur les hanches, se tourner vers les plaines au-delà du mur. Quelques jours auparavant, Elias Creed, le duc de Tisseuses, l’avait entretenu d’un sujet troublant. Une curieuse histoire de fantôme qui prenait place au Rhondos et ceci depuis des années.

Bien entendu, ce n’était pas ce qui avait motivé sa visite au Rhondos. En vérité, Lorain était venu ici dans l’espoir d’intercepter son père, le baron de Nabar. En effet, ce dernier avait passé la semaine à l’éviter. En particulier depuis les premières plaintes de son fils sur les incursions intempestives et de plus en plus récurrentes de la garde du Silat à Nabar. Le baron Graber se permettait l’inacceptable et sa présence se faisait véritablement envahissante. François de Nabar devait impérativement contrôler les ardeurs de son homologue.

Cependant, une fois arrivé au Rhondos, Lorain avait eu la désagréable surprise d’apprendre qu’il l’avait manqué de peu et que son père était déjà retourné à Nabar.

Ravalant sa déception, le jeune homme avait donc pris le parti de vérifier par lui-même les dires du duc Creed. Se heurtant dans un premier temps à un manque de coopération de la part des officiers du Rhondos, Lorain avait très vite deviné qu’il y avait eu des consignes données aux gradés. Il s’était donc empressé d’interroger les soldats du rang, plus volubiles, avant que ces derniers ne deviennent plus hermétiques à leur tour.

— Où cela ?

Le dénommé Gareth grimaça une nouvelle fois en faisant visiblement un effort pour se souvenir. Sa grimace s’intensifiant au fur et à mesure, il pointa deux endroits d’un geste vague dans les plaines collines.

— Là et là, seigneur. Du moins, je crois…

— Merci, soldat. Rompez.

Le soldat Gareth acquiesça puis fit mine de partir avant de se raviser tout en grimaçant de plus belle.

— Désolé seigneur…, hésita-t-il alors que Lorain l’encourageait à parler d’un signe de tête. Si on vous demande, pourriez-vous dire que je n’ai pas parlé de ce dont j’ai parlé… ? Ils sont un peu tatillons ici à ce sujet et j’en connais quelques-uns qui ont eu droit au fouet.

Le visage sombre, Lorain hocha de la tête. Il avait bien compris que quelque chose n’allait pas avec cette histoire de fantôme et il ne comptait pas attirer de problèmes à son informateur. De plus, les soldats précédents avaient eu le même genre de requête.

— Bien entendu, Gareth, affirma-t-il. Je vous remercie de votre aide.

La grimace de l’homme céda presque place à un sourire avant qu’il ne fasse demi-tour pour reprendre sa garde. Alors qu’il s’éloignait, Lorain balaya de nouveau les endroits indiqués, conscient qu’il ne distinguerait pas grand-chose à cette distance. Il ne restait qu’une chose à faire…

Un bruit de sabots le fit se retourner alors qu’un petit groupe de cavalier venait de débouler au sein de la cour dans son dos. À leur tête, il reconnut le sergent Raff, son homme de confiance.

— Capitaine ! s’exclama-t-il d’une voix forte en avisant son supérieur juché sur le mur. Il y a quelque chose que vous devez voir ! Nous devons partir maintenant !

Le jeune homme grimaça à son tour avant de jeter un dernier regard sur les plaines en contrebas qui marquaient le début des Contrées Chantantes. Cette histoire de fantôme allait devoir attendre.

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