Chapitre 41

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La matinée est aussi radieuse que celle du triste jour. Peut-être est cela qui rend l’émotion plus vive. Ou peut-être que, sans son contrôle permanent, ressurgissent avec force les sentiments qu’il a l’habitude de garder en lui.

Des écureuils dévalent les racines des vieux arbres qui s’enroulent autour des tombes et verdissent les stalles. Les oiseaux y font leurs nids, délaissant les hauteurs comme si en ce lieu, il n’y avait nul besoin d’appliquer les bases de leur survie. Plus loin, des enfants jouent en criant à pleins poumons, rendant ainsi ce lieu plus vivant qu’il n’aurait dû l’être. Et ces cris lui parviennent de manière aussi accrue que sa peine.

— J’ai réussi, dit-il.

Sa gorge est nouée et sa propre voix lui fait l’effet d’un croissement. Il lève la tête vers les hautes branches qui s’agitent doucement. Peine perdue, car les larmes qu’il voulait contenir coulent sur ses joues.

Caes les essuie, se rendant compte qu’il n’a pas vraiment pleuré depuis ce jour.

Face à lui, les stalles de ses parents se dressent à l’ombre de deux grands chênes qui s’entrelacent. Entre les deux tombes, les racines de chaque arbre se rejoignent. Bien qu’il ne se l’avoue pas, il a toujours secrètement espéré que ce soit un signe.

— Je suis devenu chevalier, je suis…

Il marque une pause.

— Je suis le plus jeune à avoir été adoubé, continue-t-il. Ils disent que je commanderai très bientôt. Je…

Autre pause. Il ne ressent aucune fierté, seulement une profonde peine. Sa souffrance est toujours là, sous la surface de sa volonté.

— Je fais des efforts, vous savez, dit-il, la voix tremblante. Il en a fallu pour… pour ne pas faire de mal aux autres.

Il regarde autour de lui. Tout paraît si paisible à côté de la tempête qui fait rage en lui.

— C’est injuste et je n’ai personne à blâmer pour ça… J’ai ces moments où… où je veux marquer les autres de la même manière que je suis à l’intérieur. C’est dur de ne pas… de prendre sur soi lorsqu’on ne sait pas où aller. Je suis en colère, je ne…

Nouvelle pause.

— Je suis devenu chevalier alors j’ai… un but, non ?

Il passe sa main sur sa bouche, avant de se mordiller la lèvre inférieure.

— J’avais une idée de ce que serait ma vie et puis… et puis maman est partie elle aussi et… Je n’avais plus rien, ni moi, ni Leati. Avec la chevalerie, j’ai une famille, j’ai un destin mais je… Il y a ces sentiments en moi, il y a cette tempête…

Caes s’interrompt. Au loin, il aperçoit Ezéquiel qui s’approche d’une tombe avant de s’y arrêter, les bras le long du corps, immobile.

Le chevalier brun tressaille lorsqu’une main familière prend la sienne avant que Leati ne pose la tête contre son épaule. Il ne l’a pas entendue arriver. Et bien que le fait qu’il soit bouleversé explique cela, elle a quand même fait d’incroyables progrès. Elle hésite encore à intégrer la chevalerie en dépit de ses qualités exceptionnelles et il comprend pourquoi.

— Tu es là depuis longtemps ? demande-t-elle.

Il acquiesce. Réalisant qu’il lui a fallu presque une heure avant de pouvoir parler. Si son entourage voyait à quel point il était faible à l’intérieur, se fierait-il à lui… ? Certainement pas.

Il désigne Ezéquiel du menton.

— Que fait-il ?

Il y a une certaine aigreur dans sa voix et Leati lui serre la main sur quelques secondes le temps qu’il se tourne vers elle. Sa sœur tord son adorable bouche de son air mécontent qu’il lui connaît bien.

Caes contracte les mâchoires.

— Il ne l’a jamais connu, tente-t-il d’expliquer. Ce n’est même pas son vrai père, il…

— Tais-toi, dit-elle fermement sans que son regard ne se durcisse ni ne s’adoucisse.

Il obtempère et ils restent un instant sans dire un mot avant qu’elle ne reprenne.

— Ezéquiel cherche des réponses lui aussi.

— Lui aussi ?

Elle lui adresse un nouveau regard sans équivoque avant de poursuivre.

— Vous n’êtes pas si différents, toi et lui. Vous cherchez tous deux des raisons d’exister et soulevez des montagnes sans vous en rendre compte. Elle sourit tristement. Vous n’avez de mesure que la profondeur de ce qui vous ronge. Ensemble, je n’imagine pas ce que vous pourriez accomplir.

— Moi non plus, grince-t-il.

Des pas lourds se font entendre alors que Cormack vient d’apparaître dans leur champ de vision. Il rejoint Ezéquiel à ce qu’il croit être des pas de loup. Arrivé à sa hauteur, il s’immobilise, l’air terriblement maladroit en réalisant que l’instant d’une blague est véritablement mal choisi.

Tout à coup, le jeune prince se retourne en criant un « bouh » et le Rolf sursaute en poussant un cri peu viril.

Leati étouffe son rire alors que le colosse ne tarde pas à gesticuler devant Ezéquiel, aussi embarrassé que furieux. Un peu plus loin, les enfants ont cessé de jouer et le pointent du doigt en riant.

— Cormack est différent, n’est-ce pas ? demande Caes avec un léger sourire sur les lèvres. Je ne…

— Comprends pas ? termine Leati à sa place avant de poursuivre. Cormack est différent, c’est vrai.

Son visage s’est éclairé à l’arrivée du Rolf et Caes ressent une bouffée d’amour et d’admiration pour sa sœur. L’espace d’un instant, il se sent bien.

— Alors qu’Ezéquiel et toi êtes des plaies ouvertes capables de soulever des montagnes pour nous protéger et éviter les souffrances, Cormack lui n’est qu’amour. Il est capable d’inspirer le monde et lui apporter l’espoir dont il a besoin. Il a juste besoin…

Elle gloussa encore.

— D’être poussé, sourit-elle.

Caes réfléchit un instant à ce que vient de lui dire sa sœur.

— Il est plus important…

Elle lui assène une claque sur l’avant-bras.

— Crétin ! le sermonne-t-elle. Nous sommes tous importants ! Nous avons nos rôles à jouer pour le monde de demain, j’en suis certaine. Nous sommes complémentaires et nous apportons les uns les autres. Bien que nous puissions nous égarer, je sens au plus profond de moi que les choses sont ainsi pour une raison.

Elle marque une pause tout en avisant les extrémités des racines des deux arbres qui se rejoignent entre les deux tombes. Puis les branches qui se mêlent en hauteur. Enfin, elle se tourne vers lui et lui effleure la joue du bout des doigts.

— Je pense que vous avez d’incroyables destins.

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