Chapitre 36

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Les Fosses avaient cette fois ci un aspect rassurant. Un fait qui ne manquait pas d’inquiéter Caes. Cependant, il s’agissait là d’une sensation tout à fait compréhensible au regard de ce qu’ils venaient de traverser. Malgré les cris et lamentations qui ambiançaient ce lieu en permanence.

Harlequin marchait devant eux sans dire un mot. Sa grande silhouette longiligne telle un rempart entre eux et la pénombre dans laquelle ils s’enfonçaient. Le chevalier nota que ses chaines ne faisaient aucun bruit. Jamais elles ne s’entrechoquaient ou ne s’enroulaient les unes aux autres. En fait, Harlequin était étonnamment silencieux. En dépit de sa grande taille et musculature évidente, il ne provoquait pas le moindre son tout en progressant. Caes, lui-même, sans pour autant être bruyant, percevait le léger frottement de ses propres pas et de ceux d’Ezéquiel.

Il inspira profondément alors que s’imposait l’image des deux apôtres se faisant face avec Ezéquiel au milieu. Que le jeune prince avait paru fragile à ce moment. C’était la première fois que Caes l’avait vu de cette manière et, bien qu’il ait des difficultés à le reconnaitre, cela l’avait bouleversé. Il avait l’habitude de voir le jeune prince comme quelqu’un plein de ressources, sûr de lui, avec toujours un plan ou deux d’avance sur le plus brillant esprit voulant lui causer du tort. Pour le chevalier, Ezéquiel excellait dans son domaine comme lui-même excellait dans le sien. Bien que ces domaines soient très différents, Caes avait toujours considéré le jeune prince comme une sorte de rival.

Lui-même avait été balayé avec une facilité déconcertante par Ulysse Yazak et Ezéquiel s’était retrouvé comme un enfant sans défense entre deux monstres. Car oui, les apôtres n’étaient pas normaux.

Caes avait senti la puissance du frère d’Amédée et il s’agissait là de quelque chose de démentiel. Ce n’était tout simplement pas possible, inhumain… monstrueux. Il avait dévié le premier coup à l’aide de toute sa technique. Et il avait pu le faire car Ulysse Yazak ne s’y attendait pas, il en était certain. Quant à la bourrade qui l’avait envoyé à plusieurs mètres, Caes savait qu’il ne s’était agi que d’une simple chiquenaude sans intention de le blesser.

Ezéquiel baissait les yeux à ses côtés et son compagnon nota ses poings serrés à l’image des siens.

Soudain, Harlequin fit une halte et ils firent de même alors que la silhouette dégingandée de leur sauveur se tournait vers eux. Caes se mit aussitôt en position de combat devant l’aura assassine qui ne manqua pas d’émaner du personnage.

— Pourquoi me suis-tu ? demanda-t-il.

Le chevalier fronça les sourcils avant de se rendre compte qu’Harlequin ne le regardait pas lui mais quelque chose derrière lui. Ezéquiel avait compris dès le début et s’était déjà retourné. Caes fit de même pour découvrir un grand homme brun au visage sévère et qui semblait à peine plus vieux qu’eux, à l’image d’Harlequin. Ses longs cheveux noirs étaient noués en une natte qui accentuait son sérieux, révélant ses traits fins et durs.

Sans répondre, il continua de s’avancer vers eux. Il se tenait très droit dans le haut de son manteau qui le moulait pour s’évaser à partir de la taille. Une épée à la lame fine mais très longue pendait dans son fourreau à hauteur de hanche. Cependant, le manche, lui remontait jusque sous le pectoral de son propriétaire.

La lame d’Harlequin se planta dans le sol avec fracas.

— Elban.

Elban Feulys s’arrêta enfin à moins de deux mètres d’eux. Et Caes fut frappé par la noblesse du personnage. Sa force de caractère qui transparaissait rien qu’à son attitude. L’homme était entouré d’une aura de mystère à la manière des gens de pouvoirs ainsi que d’une confiance non feinte. Une chose étrange pour quelqu’un qui était supposé avoir perdu face à l’Archevêque et qui se retrouvait désormais en territoire ennemi.

Au bout d’un instant anormalement long ou la tension ne manqua pas de monter de quelques crans, le nouvel arrivant parla enfin.

— Je suis venu leur parler.

Sa voix était grave et profonde. Une voix qui mettait en confiance et ne souffrait de la moindre contradiction.

— Tu veux que je m’éloigne, peut-être ? demanda Harlequin sans l’ombre d’une ironie.

— C’est inutile, répliqua l’Échanson qui ne les quittait toujours pas des yeux.

Il les jaugeait avec attention.

— Es-tu là pour nous donner un moyen de nous échapper ?

Ezéquiel n’y était pas allé par quatre chemins. Son attitude nonchalante avait refait surface alors qu’il avisait Elban avec une évidente familiarité.

— Non, Ezéquiel, Sybille vous veut dans les Jeux.

Caes faillit s’en étrangler de surprise. Il se tourna vers Ezéquiel pour l’assaillir une nouvelle fois de questions mais se figea devant la mine stupéfaite de son compagnon.

— Tu me connais.

Bien que le jeune prince ait dit ça comme une affirmation, sa surprise était sous-jacente et son ton augurait beaucoup d’interrogations.

— Je vous connais, répondit calmement Elban. Ezéquiel Arneil, prince d’Iliréa, ainsi que Caes Craft, le chevalier de l’Ilir le plus prometteur de sa génération et peut-être même plus que cela. Des personnes telles que vous ne passent guère inaperçues, ne soyez pas étonnés.

Sa voix était chaude, caressante et pourtant, il paraissait si dur, si hermétique. Sa sévérité, ainsi que sa rigueur, transparaissait dans toute son attitude. Cet homme faisait l’effet d’un roc.

Dans leur dos, le sifflement d’Harlequin retentit.

— Es-tu certain de ne pas vouloir que je m’éloigne ?

— Inutile, répéta Elban sans lui accorder un regard. Sybille sait qui ils sont. Tu l’écoutes au doigt et à l’œil. Elle ne veut pas qu’ils soient démasqués et les veut vivants pour l’instant.

— « Pour l’instant » reste un détail d’une grande importance, fit remarquer Ezéquiel.

— Donc c’est la raison pour laquelle tu viens nous voir ? demanda Caes. Notre importance aux yeux de cette petite peste ?

— Dans un sens, oui, acquiesça Elban. Je suis venu vous confier une mission.

Le jeune prince laissa échapper un rire sans joie tout en allant s’appuyer contre une stalagmite en forme de banc.

— On a déjà pour « mission » de participer aux Jeux, déclara-t-il. Et c’est déjà suicidaire. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, Ulysse et son adorable sœur veulent notre mort en plus des monstres qui cherchent à nous bouffer. Quoi que tu ais en tête, c’est mal barré.

— Je peux vous protéger d’Amédée et Ulysse, une fois les Jeux terminés.

— On nous a déjà dit un truc similaire en ce qui concernait d’autres gars, ricana le jeune prince. Eh bien, il a quand même fallu que je me coltine deux d’entre eux dans les dernières épreuves.

— Elban, intervint Caes. Aurais-tu quoi que ce soit qui puisse nous aider à survivre aux prochaines épreuves ?

— Non.

— Bien ! s’exclama Ezéquiel qui avait déjà tourné les talons. Et si nous retournions dans notre cellule ? Harlequin ?

— Je sais pourquoi vous êtes là, dit l’Échanson sans se démonter. La menace d’une nouvelle guerre de la Chair, votre crash, vos actions dans le domaine des Vignes…

Le jeune prince s’immobilisa.

— J’ai les informations qui pourraient vous intéresser…

— On veut une alliance entre la Bande Centrale et le Croissant, lâcha Ezéquiel par-dessus son épaule. Et tu ne sembles pas en position de nous la donner.

Une sorte de gloussement étouffé, semblable à un cri de poule, surgit dans la pénombre et Caes se rendit compte qu’il s’agissait d’Harlequin. Là, dans l’obscurité, avec sa chevelure noir ébouriffées ainsi que son allure dégingandée, il était effrayant.

— Tu t’avances, déclara Elban avec un certain amusement. Mais peu m’importe. En effet, je ne te donnerai pas cette alliance même si je le pouvais. C’est une chose que tu devras obtenir par d’autres moyens et je ne t’y aiderai pas, bien au contraire. Cependant, même une alliance comme celle-ci n’aidera pas pour ce qui se prépare. Si tu veux l’empêcher, tu vas avoir besoin de ce que je peux t’apprendre. Et pour cela, Caes et toi allez devoir faire quelque chose pour moi.

— Évidemment…, entendit Caes souffler Ezéquiel.

Toujours le dos tourné, le jeune prince avait mis ses mains dans les poches et avisait la voute rocheuse. Quelques secondes passèrent avant qu’il ne consente à se tourner pour échanger un regard avec le chevalier qui hocha simplement de la tête.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Pour la première fois, une émotion bien réelle traversa le visage de l’Échanson, brisant sa carapace.

— Jalil, dit-il doucement. Je veux que vous le sauviez.

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