Chapitre 32

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— Nous pouvons vous protéger.

Jalil les dévisageait avec une expression chaleureuse. Ezéquiel et Caes, eux, échangèrent un regard beaucoup moins amical. Les cris et lamentations avaient laissé place aux geignements des blessés et râles des mourants. Tous les autres restaient murés dans l’abattement et pensaient certainement à l’épreuve suivante. Celle qui aurait raison d’eux.

Encore plus loin résonnaient les acclamations d’une foule en délire dans l’attente de l’épreuve suivante. Un autre bloc des Fosses n’allait pas tarder à mourir.

— Ces barreaux nous protègent, fit remarquer Ezéquiel.

En effet, suite à cette première épreuve et du fait de leur faible nombre de rescapés, ils avaient été déplacés dans ils ne savaient quelle partie des Fosses. Ici, les cellules s’étalaient à flanc de parois. Les parsemant à la manière de cavités de ruches. Ils y avaient été entassés par pas moins de vingt. Des grappes de prisonniers peuplant les murs rocheux tels des fourmis. Un curieux spectacle qu’ils pouvaient admirer sur le versant qui leur faisait face, séparés du leur par une large allée. Les cellules s’y entassaient jusqu’à la voute qui ne leur était nullement accessible car ils se trouvaient au plus bas.

Et fort heureusement, ils avaient pu choisir leurs colocataires.

— Ils ne vont pas vous protéger longtemps, c’est moi qui vous l’dit ! s’exclama Victor. T’as tué Brick, minet. Et si c’était un gars dangereux, dis-toi que ses frères sont dangereux aussi ! Comme si les monstres de l’arène ne suffisaient pas…

Le jeune prince se leva pour se passer les deux mains dans sa chevelure nouvellement brune. Autour de lui, ce qui restait de la garde de l’Échanson observait le silence tout en attendant sa réponse. Depuis qu’il avait fait tomber la broyeuse sur la Gargantesque, leurs attitudes envers lui avaient changé. Ils le regardaient maintenant avec un respect nouveau teinté d’admiration.

Caes, lui, se demandaient si c’était réellement une bonne chose. Certes, Ezéquiel avait fait tombée la broyeuse sur ce monstre mais cela n’avait pas été pour les sauver. Le jeune prince s’était juste débarrassé d’un obstacle, ni plus ni moins. Bien qu’il l’ait fait d’incroyable manière.

Du moins, ce n’était pas pour les sauver, eux…

La fillette à ses côtés tira sur son tricot et il lui sourit. Elle n’avait toujours pas dit un mot malgré ses efforts et il n’avait aucune idée de son nom. Cependant, elle ne l’avait pas lâché d’une semelle.

— Nous serons plus forts si nous nous unissons, répéta Jalil, toujours aussi calmement. Nous avons passé la première épreuve, nous…

— Nous avons eu un coup de chance, coupa Ezéquiel sans détour. Ce truc dans l’eau était une machine à tuer et mettez-vous bien dans le crane qu’il s’en est fallu de pas mal de circonstances pour que cette chose se mette juste en dessous de la broyeuse ! Gardez aussi à l’esprit que ça n’a pas l’air d’être dans les habitudes des organisateurs de laisser les prisonniers sortir vivants des épreuves. Ils feront en sorte de ne pas nous laisser la moindre échappatoire pour ce qui nous attends !

— Il y aura toujours quelque chose à quoi ils ne penseront pas ! contre attaqua Jalil sans se démonter. C’est là la grande et unique faiblesse de ces Jeux, le spectacle ! Ils veulent nous voir mourir de manières toutes plus horribles et extraordinaires que les autres. Mais nous pouvons utiliser l’une ou l’autre à notre avantage.

— Notre manière de mourir ? railla Ezéquiel.

Le jeune noir croisa ses bras contre sa poitrine.

— Ironise tant que tu veux, dit-il. Je sais que tu as compris ce que je voulais dire car c’est…

— Exactement ce qu’il a fait lors de cette première épreuve !

Le silence s’abattit dans leur cellule alors que tous se tournaient vers les barreaux, ainsi que la petite silhouette qui se tenait derrière.

— Toi.

Jalil avait prononcé ce simple mot et bien que son ton reste calme et mesuré, on y sentait percer une certaine colère.

— Je comprends que tu sois fâché, Jalil, acquiesça-t-elle en lui adressant un adorable sourire.

— Ce n’est pas le mot, dit-il simplement.

Le sourire de Sybille se réduisit à un simple trait sur son visage.

— De la déception, devina-t-elle. À trop voir le bon chez les gens, tu envoies tes hommes à la mort et à ce rythme, tu risques de tuer plus que tu ne sauves…

Une vive douleur se marqua sur le visage de Jalil mais il reprit constance la seconde d’après.

— Je ferai comme je l’entends, répliqua-t-il.

— Tu es ici pour cette raison.

— Non, je suis ici car l’Archevêque et toi vouliez faire plier Elban, rétorqua le médecin sans sourciller.

Cette fois-ci, Sybille éclata de son rire enfantin.

— Pour l’Archevêque, certainement ! hoqueta-t-elle. Ne va pas croire que mes aspirations soient à ta portée…

— Qu’est-ce que tu fais ici ?

Ezéquiel venait d’intervenir d’une voix aussi calme que celle de Jalil, mais plus lasse. La fillette se tourna vers lui les mains toujours jointes derrière son dos.

— Deux ou trois choses, lui accorda-t-elle. Dans un premier temps, vous féliciter pour cette première épreuve. L’Archevêque est ravi, Amédée est furieuse, Ulysse est anxieux et les participants suivants en ce jour vont être plus malchanceux que vous.

— Difficile à imaginer…, soupira Caes en levant les yeux au ciel.

— Vous en aurez un aperçu, fit-elle mine de le rassurer et s’attirant de sa part un regard assassin. Quoi qu’il en soit, c’est un excellent début.

— Des gens sont morts ! hurla Victor en laissant exploser sa colère. Des gens de bien…

— Et des gens moins biens, coupa Sybille. Le monde est ainsi fait, certains destins sont inexorables et d’autres…

Elle fit un signe de la main et ses gardes entrèrent dans leur champ de vision pour venir déverrouiller la grille. Tous se raidirent, se préparant inconsciemment à l’action. Mais Sybille leva encore la main.

— C’est inutile, leur annonça-t-elle avant d’ajouter tout en sortant un lapin en peluche de son dos. Viens donc, ce n’est pas ta place ici.

La colère laissa place au soulagement dans le cœur de Caes alors que la fillette à ses côtés lui adressait un regard interloqué. Elle parla enfin.

— C’est ma peluche.

Il lui sourit.

— Vas, lui dit-il simplement.

Les lèvres de la fillette tremblèrent et elle se jeta à son cou. Quelques secondes passèrent avant qu’il ne la décroche doucement.

— Allez.

Elle acquiesça et rejoignit Sybille à pas mal assurés. Cette dernière lui tendit la peluche et la prit par la main.

Caes fut frappé de voir qu’elles faisaient presque la même taille. Cependant, il devenait difficile de voir Sybille comme une petite fille tant leurs attitudes se trouvaient radicalement différentes.

Il nota qu’Ezéquiel affichait un air curieux, mêlant incrédulité et comme de la fascination. Et alors que Sybille et la fillette partaient, il lança.

— Elle était là pour ça, n’est-ce pas ? On ne s’en serait pas sorti sans elle…

Le chevalier ravala un hoquet de surprise à ces mots. Les évènements précédents s’emboitant en une fraction de seconde. Grâce à la fillette, Ezéquiel et lui avaient été séparés, ce qui avait mis le jeune prince en position de tuer la Gargantesque.

Sybille lui retourna son adorable sourire.

— Es-tu certain qu’elle n’était là que pour cette raison ?

L’incrédulité se peignit sur les traits d’Ezéquiel à cette question. Une incrédulité qui ne dura cependant pas, son impassibilité reprenant le dessus.

— Profite bien du spectacle ! lança-t-il à Sybille. Et d’ailleurs, tu n’aurais pas un petit conseil pour nous, ou un indice ?

— J’ai l’impression que tu me croies de ton côté, rit Sybille en commençant à marcher. J’en aurais bien un, cependant… tu es très convaincant en héros.

Elle affichait un sourire en coin lorsqu’elle sortit de leur champ de vision, tandis que sa compagne offrait un dernier regard d’adieu au chevalier.

Caes s’autorisa un dernier sourire avant de tourner vers Ezéquiel un regard désapprobateur. L’acte du jeune prince n’avait donc eu pour but que de se débarrasser d’un obstacle, comme il l’avait deviné. Et non pour les sauver, y compris la fillette et lui. Bien que les derniers mots de Sybille ne l’aient pas surpris, il aurait voulu se tromper.

Ezéquiel lui alla s’appuyer tête contre le métal froid des barreaux alors que nul ne disait mot. Victor finit par s’avancer vers Jalil pour lui parler à l’oreille avec colère. S’ensuivit une discussion houleuse entre les deux à demi-mots.

Caes lui, se leva pour se poster aux côtés de son compagnon qui ne daigna pas lever la tête.

— T’as une idée de la raison en plus ? demanda-t-il.

— Autre que d’avoir eu la vie sauve ?

— C’est ça, acquiesça le chevalier. Et ne me fais pas tourner en rond, je ne suis pas d’humeur.

— Tu n’es jamais d’humeur.

Le chevalier inspira profondément, le regard fixé sur la très large allée. Avec les cellules creusant les parois, on avait l’impression que des géants avaient aménagé cet endroit pour emprisonner leur nourriture.

Ezéquiel releva quelque peu la tête, le front toujours collé aux barreaux.

— Il pourrait y en avoir plusieurs, en fait, confessa-t-il. La première, c’est que j’ai tué Brick et que ses frangins vont tenter de me faire la peau tout au long des épreuves.

— Oui, ça me semble logique, admit Caes.

Le jeune prince lui adressa un regard en coin avant de poursuivre.

— La seconde est qu’à la fin du tunnel, j’ai…

— Tu as débouché juste au-dessous des loges de verre, coupa Caes.

— Tu m’as vu ? s’étonna le jeune prince.

— Je t’ai vu sauter.

— J’avais pas vraiment d’autre choix, tu sais…

Caes inspira encore, mais acquiesça.

— Tu as vu nos bourreaux ?

— Oui, soupira le jeune prince. Sybille était avec eux et elle tenait la main d’une femme aussi inquiétante qu’elle. Une autre avait de grandes ailes, l’une noire, l’autre blanche. Il y avait aussi un gros homme caché par un autre type immense et…

Il hésita.

— Voilà.

— Ton « voilà » sonne un peu faux. Qu’as-tu fais ?

— Pas grand-chose, se défendit Ezéquiel. Je les ai regardés, j’ai peut-être souri et j’ai sauté.

— Ton sourire a tendance à énerver les gens, tu sais…

— L’homme immense était Ulysse Yazak, intervint Jalil dans leur dos. Aucun doute là dessus et il est vraiment très grand. Ne vous mettez jamais en travers de son chemin. Quant à la femme ailée, il s’agit très certainement d’Amédée, sa sœur. Il avisa Ezéquiel qui s’était retourné. Je ne te souhaite pas d’avoir attiré leur attention.

— Au point où j’en suis…, grommela ce dernier.

— Donc ce sont les apôtres, dit Caes.

— Juste deux d’entre eux, le reprit Jalil. Il y a onze apôtres et ne vous y trompez pas, ils sont terriblement dangereux. Beaucoup vous diront qu’ils ne sont même pas humains.

— Es tu de ceux-là ? demanda le chevalier.

Le médecin resta silencieux.

— Et pour les autres ? plaça Ezéquiel.

— Le gros homme se nomme Litote et il est le protégé de Sybille, les éclaira Jalil qui n’avait pas répondu à la question de Caes. Personne ne sait pourquoi. Pour l’autre femme, il pourrait s’agir d’un autre apôtre.

— Je vois, murmura le jeune prince en se retournant pour s’appuyer de nouveau le front contre les barreaux.

Pour une fois, Caes resta perplexe quant à la réaction d’Ezéquiel. En effet, ce dernier arborait une expression que le chevalier ne lui avait jamais vue et se trouvait bien incapable de déchiffrer.

Il ouvrit la bouche avant de la refermer. Ezéquiel, lui, redressa la tête, l’étonnement marquant ses traits. Jalil, Victor, la garde et même les occupants des autres cellules s’étaient tus eux aussi. Tous s’avançaient vers les barreaux avec appréhension.

— Que se passe-t-il là-bas ? gronda Victor dont la voix contenait malgré tout des accents de peur.

Au loin, la foule s’était tue. Plus aucune d’acclamation d’aucune sorte ne filtrait. Comme s’ils avaient tous disparu en une fraction de seconde et cela faisait froid dans le dos.

Le silence perdura encore quelques secondes avant que ne résonne un hurlement terrifiant, à cheval entre le rire et un cri de douleur. D’autres hurlements y firent échos et ils devinèrent sans mal qu’il s’agissait là des condamnés.

Dominant tout cela, un grondement sourd se fit entendre. Un grondement qui sembla jusqu’à faire trembler le sol sous leurs pieds.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! s’écria l’un des gardes dans leur dos.

Ezéquiel et Caes échangèrent un regard où se lisait une franche angoisse.

Les participants suivants vont être plus malchanceux que vous…

— Merde, souffla Caes.

Les heures qui suivirent furent un calvaire pour tous. Des heures où de longues minutes de silence pouvaient s’écouler avant que ne jaillisse un cri d’effroi ou d’agonie. À certain moment, le même cri perdurait dans des octaves différentes comme si la personne était torturée puis plus rien avant que ne surgisse ce hurlement particulier. À d’autres, les bruits de course de quelque chose d’incroyablement lourd leur parvenaient en un effrayant martellement assourdissant.

L’attente fut interminable, les cris cessèrent et le hurlement reprit, long, très long, avant que le grondement ne fasse à nouveau trembler le sol et ne résonne jusque dans leurs os.

Le silence refit surface. Un silence que nul ne brisa alors qu’ils se regardaient à tour de rôle, l’effroi déformant les visages et caricaturant leurs expressions.

— Que s’est-il passé là-bas ? lâcha Victor d’une voix blanche.

Personne ne fut capable de lui répondre et personne ne pris la parole. La même chose prévalait dans les autres cellules ainsi que dans le public au loin qui n’acclamait toujours pas.

Dans ce silence surréaliste, Ezéquiel et Caes échangèrent un regard qui en disait long. Comme le leur avait révélé la fillette, les participants suivants avaient été bien plus malchanceux.

Ce n’était que le début.

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