Chapitre 30

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Myrte ne cessait de gémir à ses côtés. Et Caes se demandait comment est-ce qu’il pouvait encore trouver la force pour ça. Dans ses bras, la fillette restait silencieuse mais il pouvait sentir ses petits bras se crisper autour de son cou. Il faisait sombre et il prenait garde à ne pas se heurter aux parois hérissées de pierres coupantes. Le bruit de sa course résonnait au sein des hurlements qui lui parvenaient par-delà les parois, ainsi que le grondement de l’eau derrière lui.

La course maladroite, entrecoupée de ses pleurs et de ses jérémiades, Myrte l’avait suivi alors qu’il s’était engouffré dans ce tunnel. Probablement la meilleure décision de la journée pour le valet de l’Écureuil, au lieu de suivre la foule.

Lorsque la clameur les assaillit, le grondement dans leur dos se fit tout aussi fort. Mêlant le tout en un brouhaha assourdissant où il n’était plus possible de discerner un autre son. La lumière perçait au bout du tunnel. Un virage de plus et ils furent aveuglés par la clarté avant d’être témoins du spectacle le plus invraisemblable qui soit. Myrte en tomba à genoux. Devant eux s’étendait un immense lac parsemé de pierres espacées traçant des parcours serpentant les eaux noires. Déjà, des dizaines de participants y évoluaient à toute vitesse et poussaient des cris lorsqu’ils tombaient à l’eau. D’autres types de parcours, où de grands disques de métal remplaçaient les pierres, permettaient de traverser en altitude mais des machines de cauchemar les truffaient. Les pauvres hères qui pensaient y tenter leurs chances restaient statiques sur les premiers disques. Pesant le pour et le contre, évaluant leurs chances sur le parcours d’en bas.

Et tout autour de cette mise en scène, de dantesques tribunes les entouraient. Des tribunes contenant des dizaines de milliers de personnes qui hurlaient, riaient et forniquaient sans la moindre pudeur. Ces tribunes s’élevaient à presque cinquante mètres de haut et étaient elles-mêmes surplombées par une sorte d’anneau de verre elliptique dans lequel d’autres gens semblaient les observer.

Le grondement derrière arracha Caes à son hébétement et il agrippa Myrte par le bras pour aller les plaquer tous trois contre la paroi.

— Mais que…, commença l’adolescent.

L’eau jaillit à son tour du tunnel à quelques centimètres d’eux. Une eau rougeâtre charriant des formes sombres et tentaculaires, ainsi que des silhouettes hurlantes.

— Suis-moi ! hurla Caes à l’attention de Myrte.

Joignant l’acte à la parole, et l’enfant toujours dans les bras, le chevalier s’élança sur le parcours. Bondissant de pierre en pierre en priant pour atteindre les disques avant que… La première gargantine jaillit à sa rencontre dans une vision de cauchemar. Sans même réfléchir, il bondit en direction d’une pierre sur sa gauche puis une autre dans un crochet périlleux. La créature le frôla et il sentit la viscosité de l’un des tentacules sur son avant-bras, de même que la légère prise qu’il y exerça. Caes se dégagea avec un cri d’horreur et éprouva le soulagement d’un court instant en entendant la bestiole tomber à l’eau.

— Dégage de là ! hurla un homme aux habits sales mais que l’on devinait hors de prix.

Ses bras enserrant toujours la fillette, et déséquilibré par son esquive précédente, le chevalier ne put éviter la poussée de l’un des anciens protégés de la garde de l’Échanson. La seconde d’après, il plongeait dans les eaux noires pour en émerger presque aussitôt. En un clin d’œil, il remonta avec la fillette sur une nouvelle dalle et vit son agresseur tomber à son tour, étreint mortellement par l’une des créatures. Avec un regard dans son dos pour vérifier que Myrte suivait, il repartit de plus belle tout en bondissant et slalomant d’un parcours à l’autre. Autour d’eux, les visions d’horreurs se succédaient. Les gens mouraient d’atroces manières et c’était une véritable pluie de monstres qui s’abattait sur eux. Ils étaient des centaines à évoluer dans ce jeu sordide et il se trouvait tout autant de gargantines. Caes aurait même pu jurer qu’elles étaient plus nombreuses. Une femme à sa droite se fit happée, puis ce fut au tour d’un vieil homme. Un couple, en équilibre précaire sur l’une des pierres, se prenait dans les bras, les visages enfouis au creux des épaules de chacun. Caes serra les dents lorsque trois créatures surgirent pour les étreindre à leurs tours. D’autres participants se bousculaient et se battaient entre eux lorsqu’ils se gênaient dans un douloureux rappel du transporteur néritien. Et toujours le public qui hurlait et encourageait ces horreurs.

Il atteint finalement l’un des premiers disques pour en gravir deux de plus avant de s’arrêter.

— Qu’est-ce que vous faîtes ?! s’écria Myrte. Nous ne sommes pas…

— En sécurité, je sais, coupa Caes sur un ton sans équivoque.

Tout en tentant de se calmer, il scruta intensément la foule en train de mourir derrière eux. Des gens continuaient à être éjectés des tunnels par les torrents vrombissants. Mais beaucoup parmi eux ne bougeaient plus et flottaient sans vie avant que l’une des gargantines ne vienne pour leurs cadavres. Du coin de l’œil, il aperçut Jalil et une dizaine de membres de la garde sur le flanc gauche. Ils continuaient d’escorter les quelques rescapés qui ne cédaient pas à la panique et se trouvaient relativement épargnés par les gargantines.

Ezéquiel n’était nulle part… Et Caes sentit son cœur s’emballer.

— Nous n’avons pas le temps, il est… il est certainement…

— Un mot de plus…, l’avertit le chevalier. Et je te jette à l’eau.

Myrte déglutit mais se garda bien de réitérer. Cependant, il ne s’arrêta pas de parler pour autant.

— Je… je suis désolé, bredouilla-t-il. Je ne savais pas, je voulais les aider, vous… vous savez… J’ai voulu aider, c’est… c’est tout. Mais ils ont tué monsieur Branner et… et…

Caes l’ignora, même s’il devinait l’identité de ce monsieur Branner.

— J’ai voulu… trouver une alternative ! Vous devez me croire, je…

Ezéquiel apparut enfin et le chevalier manqua un battement. Le jeune prince venait de déboucher à la sortie d’un tunnel situé juste sous l’une des loges de verre, à presque cinquante mètres de haut. Et visiblement, il s’était aussitôt rendu compte de sa situation précaire après avoir failli entamer une chute mortelle.

Caes le vit se plaquer contre le mur et se débarasser de son premier poursuivant avant que ne débouchent les trois autres. Une expression résignée se marqua sur les traits du chevalier alors que son ami se retrouvait acculé face aux trois gredins. Le jeune prince leva son majeur en direction de ses assaillants et le chevalier sut ce qu’il allait faire. Impuissant, il assista à la chute de son ami.

— Monsieur… je…

Les secondes s’égrenèrent tandis qu’une masse de plus en plus nombreuse de gargantines flirtait avec la surface, formant ainsi un tapis mouvant d’horribles tentacules.

Une demi-minute passa.

— Il faut y aller…

Caes ignora la voix alors que les larmes roulaient sur ses joues mais une pression sur sa main le ramena à la réalité. Il baissa les yeux. La fillette le regardait avec des lèvres tremblantes. Une vision qui fit remonter en lui une foule de sentiments.

Emmène là avec toi, quoi qu’il arrive…

Caes serra les dents avant de prendre à nouveau l’enfant dans ses bras et bondit en arrière lorsqu’une nouvelle créature surgit pour se saisir d’eux. Myrte hurlait et fuyait déjà de disque en disque. Ce fut à un cheveu que le chevalier le rattrapa par la manche avant que la première machinerie infernale, un parcours de balanciers en forme de faucilles aiguisées, ne le mette en pièce.

— Attends ! intima Caes à l’adolescent paniqué.

Moins de dix secondes plus tard, il s’engagea dans le piège en tenant fermement un Myrte aux faibles protestations par le bras. Des protestations qui se tarirent alors qu’ils avançaient sans hésitations entre les faux qui ne les frôlèrent même pas. En effet, Caes leur faisait adopter un pas sûr et régulier qui, tenant compte des balancements et de leur régularité, les fit traverser avec une facilité déconcertante.

— Comment… ? commença Myrte avant que le chevalier ne l’arrête d’un regard sans équivoque.

— Tu me suis, tu fais comme moi et tu t’en sortiras peut-être, tu comprends ?

L’adolescent resta figé sans répondre avant de hocher frénétiquement de la tête. Se retenant de secouer la sienne, Caes avisa les pièges qui les attendaient. Terribles bêtes hérissées de tranchants qui crissaient dans des hurlements de métal frottant les uns contre les autres. Leur propre parcours comptait trois de ces machineries infernales avant de les mener sur un nouveau tracé de pierre serpentant la suite du lac. Ainsi qu’une sortie…

Il inspira un grand coup puis se lança.

Ezéquiel finit de vomir l’eau poisseuse de sang dans la douleur. En larmes, le monde lui apparaissait comme un cauchemar fou peuplé de hurlements et d’effrayantes formes tentaculaires. Lorsqu’il eut fini et que sa vision s’éclaircit, des frissons le parcoururent alors que lui revenait les conditions de sa nage en apnée. Ce qu’il venait de faire, c’était tout simplement…

Au Repenti, un voyageur lui avait narré avoir nagé sous les couches de glace de lacs gelés. Il lui avait parlé de la panique ressentie, de cette lutte pour ne pas y céder, ce qui lui aurait valu une mort certaine. Ezéquiel était persuadé que ce qu’il venait de vivre était d’un autre niveau. Là, il n’avait été nulle question d’une couche de glace mais d’un plafond mouvant de gargantines qui faisait jouer les rayons lumineux du jour au sein des profondeurs dans un ballet terrifiant. Il avait manqué d’air très vite. La violence de son plongeon l’en avait vidé presque immédiatement. Il pouvait s’estimer heureux de ne pas avoir heurté l’une des pierres parsemant les eaux ou ne pas être tombé sur un autre participant.

Ezéquiel roula sur le dos en toussant et repoussa les mèches de cheveux mouillées de sur son visage. Il avait failli abandonner là-dessous. À un moment, lorsque la douleur dans ses poumons avait été insupportable, il s’était recroquevillé en tentant de la faire s’en aller. Dans son esprit, il avait préféré mourir noyé que d’aller vers les gargantines au-dessus de lui. Puis il avait commencé à avaler de l’eau et s’était rendu compte qu’il allait vraiment mourir. Il avait alors nagé, nagé jusqu’à ce que le tapis tentaculaire soit à raisonnable distance. Nagé jusqu’à ce disque qu’il ne voyait même plus sur les dernières brasses.

— Ça peut… difficilement être pire…, hoqueta-t-il péniblement pour lui-même.

— Je te laissserai pas t’en tirer comme ça !

Eh merde…

Il se remit péniblement debout tout en voyant le plus « frêle » des frères sauter dans l’eau à son tour.

Ça m’étonnerait quand même qu’il arrive jusqu’à moi, pas besoin de se presser…, se réconforta Ezéquiel en montant tout de même quelques disques pour ne plus être à portée des gargantines.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsque le frère d’Ulrich émergea presque instantanément. Se hissant sur une des pierres, il progressa dans sa direction à une vitesse effarante. Évitant même les quelques créatures qui tentaient de se saisir de lui et allant jusqu’à utiliser sa lame pour sectionner le tentacule de l’une d’entre elles.

— Voilà qui est embêtant, soupira le jeune prince tout en cherchant Caes du regard.

Ce dernier n’était pas en vue et Ezéquiel espérait qu’il était sauf. Même si le problème immédiat était tout autre et approchait à grande vitesse. Il se tourna vers son premier obstacle, une série de de rondins suspendus à des cordes et qui se balançaient au-dessus d’une passerelle en métal. Un obstacle à première vue inoffensif si l’on oubliait à quel point l’eau, dans laquelle les rondins faisaient tomber les participants, était dangereuse. Certains, parmi ces derniers avaient déjà franchi le passage et Ezéquiel ne mit pas longtemps à faire de même. Le deuxième obstacle était une série de cordes à l’aide desquelles il fallait traverser les eaux. Un parcours facile également, à première vue. Cependant, deux des participants qui précédaient le jeune prince tombèrent dans un bel ensemble en hurlant. Et il fallut quelques secondes à Ezéquiel pour se rendre compte que le problème venait des cordes elles-mêmes. Plusieurs n’étaient raccrochées à guère plus que des fils et choisir l’une d’elles signifiait tomber à l’eau et vers une mort certaine.

Ezéquiel échangea un regard avec le prisonnier à ses côtés. Un être rachitique au regard brumeux qui hésitait lui aussi à s’engager. Une chose était sûre, il n’irait pas en premier. Soupirant et conscient de la menace dans son dos qui lui laissait peu de temps, le jeune homme s’élança. Il agrippa une première corde, éprouvant un bref soulagement en constatant qu’elle tenait bon, puis une autre grâce à laquelle il se balança en direction d’une troisième qui tint bon elle aussi. Derrière lui, le prisonnier cria avant de tomber à son tour. Cinq cordes plus tard et cinq battements de cœur manqués, il atterrit sur un nouveau disque plus large que les autres.

Il poussa un nouveau soupir mais de soulagement cette fois-ci.

— Je vais t’étriper !

Ah…

Ezéquiel se retourna pour voir le frère d’Ulrich attraper la première corde pour grimper jusqu’à la passerelle surplombant le piège à laquelle toutes les cordes étaient raccrochées. Se hissant sur cette dernière, il y progressa avec prudence sans lâcher l’objet de sa haine des yeux.

Il est loin d’être bête.

Le jeune prince avisa le reste de son parcours qui, à son grand désarroi, le menait toujours plus en hauteur et vers une machinerie à côté de laquelle les autres faisaient pâle figure.

Je suis vraiment dans un bon jour, aujourd’hui…, pensa-t-il avant de s’élancer.

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