Chapitre 29

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— Quelle merveilleuse façon de… partir.

Lamia, les deux mains étreignant sa poitrine à l’emplacement du cœur, en avait les larmes aux yeux. Un sourire aussi attendri qu’ému plaqué sur son beau visage, elle poussa un long soupir dans lequel perça même un gémissement. Clare, quant à elle, ne respirait plus et fixait les eaux dans lesquelles avait disparu le jeune homme. La clameur, les hurlements, la scène d’horreur à ses pieds, les larmes de Lamia, le terrible regard fou qu’Amédée dardait sur elle… Tout lui semblait secondaire et l’atteignait dans un second temps.

Était-il beau ? Elle n’aurait su le dire. Jeune ? Il lui semblait bien. De quelle couleur étaient ses yeux ? Il avait souri… Combien de temps un humain normal pouvait-il rester sous l’eau et… ? Il l’avait regardé à elle… Amédée portait des ailes, Lamia était magnifique et Ulysse, immense… Mais il l’avait regardé à elle.

Était-il encore vivant ?

— Ma dame… ?

Son cœur battait à la chamade et elle ne pouvait décrocher son regard des eaux noires. Les gargantines continuaient de sauter sur les participants. Continuaient à les presser comme des citrons. Continuaient de les manger… Il n’y avait aucune chance qu’il puisse survivre dans ces eaux. Les trois poursuivants étaient toujours sur la plateforme. Le petit et le gros les dévisageaient avec des regards apeurés tandis que celui du milieu s’était avancé pour observer les eaux à son tour. Elle mit un certain temps à se rendre compte qu’il s’agissait de leurs membres d’équipage survivants. Probablement ce dont Lamia voulait l’avertir.

Clare inspira le plus profondément et discrètement possible, tout en tentant d’apaiser ses battements de cœur.

— J’ai vu, lâcha-t-elle. Peut-être pourra-t-il t’amuser encore s’il survit…

Elle avait adopté un ton monocorde en utilisant le jeune inconnu comme manœuvre pour répondre discrètement à sa dame de parage. Et c’était difficile… En elle se déchainait une tempête. Aurait-elle été au milieu des trois brutes qu’elle surplombait qu’elles les auraient broyées à mains nues. Aurait-elle eu la permission de mettre un terme à la vie de l’Archevêque et de ses apôtres qu’elle s’y serait adonnée avec joie. Elle les aurait humiliés, démembrés et fait souffrir comme…

— Ma dame.

L’avertissement dans la voix de Lamia la fit revenir à la réalité. Et elle doucha aussitôt son aura meurtrière en sentant la présence d’Ulysse dans son dos. Amédée, elle, les poings serrés, semblait suffisamment murée dans sa propre rage pour ne pas l’avoir notée mais ce n’était pas le cas du mastodonte.

— Ulysse, je peux prendre un gâteau ? s’écria Sybille.

Clare se détacha enfin des eaux pour se tourner vers la petite prophétesse. Se faisant, elle prit bien soin de présenter la mine la plus inoffensive qui soit. La fillette, elle, tirait la toge du géant avec une gaminerie mimée à la perfection. Ulysse, lui, regardait Clare avec un air sincèrement intrigué.

— Je prendrais bien un gâteau, moi aussi, sourit-elle innocemment.

Le colosse l’observa encore quelques secondes avant de se rasseoir en secouant la tête comme pour se débarrasser de sa fausse impression.

— Je veux un gâteau aussi, fit-il en retournant au spectacle des malheureux participants.

Sybille fit la moue en piochant une sucrerie qu’elle enfourna dans la seconde tandis qu’Ulysse continuait.

— Une forêt noire.

— Je… ai déwà man…ée.

Le géant soupira sans mécontentement apparent et gloussa même lorsque Sybille lui donna un éclair au chocolat.

— Il l’a regardée, elle… Encore… Ils la regardent, elle…

Amédée. Les poings toujours serrés, elle avait tourné vers Clare un air mauvais. Ses lèvres étaient retroussées sur ses dents trop longues et elle avait l’air d’un rongeur sur le point d’attaquer. Lamia lui posa une main sur l’épaule et elle se détendit subitement. Des larmes ne tardèrent pas à perler à ses paupières ajoutant à son air perpétuellement triste du fait de ses tatouages.

— Dans mes rêves, c’est pareil, bredouilla-t-elle à l’attention de la dame de parage.

— Regarde, fit celle-ci en désignant quelque chose en contrebas.

Pendant un instant, nul ne parla et la surprise qui se refléta sur le visage d’Amédée laissa vite place à une expression de haine farouche. Clare sentit une pression sur sa jambe et avisa la petite prophétesse qui se tenait à ses côtés. Sybille tendit un doigt en direction du spectacle. Au commencement de l’un des parcours de disques, à cinquante mètres des tunnels, une silhouette, couchée sur la surface métallique sphérique, reprenait son souffle.

Le cœur de Clare cessa de battre l’espace d’un moment où elle ne put se concentrer que sur lui. Il semblait si… fragile.

— Le sang les attire en surface, lâcha Sybille avec un air faussement professoral. Il a donc tenté sa chance en profondeur.

— C’est… insensé, murmura Lamia qui souriait à pleines dents. C’est insensé…

— Et venant d’elle, ça vaut son pesant d’or, murmura Sybille à l’intention de Clare.

Cependant, cette dernière ne faisait pas attention à elle et lorsqu’elle se concentra à nouveau sur ce qui l’entourait, ce fut pour voir l’expression terrible d’Amédée Yazak.

— Libère-là, Ulysse…, cracha-t-elle dans un feulement.

Clare sentit le mastodonte se lever et quitter la pièce en un instant. Cela ne prit qu’une seconde en dépit de sa corpulence et Litote fut à nouveau visible bien que toujours aussi silencieux. Sybille se trouvait maintenant aux côtés de Lamia et elle lui prit la main, rivées toutes deux sur le spectacle en contrebas.

— Je te laisserai pas t’en tirer comme ça ! hurla l’un des membres d’équipage juste en dessous d’eux.

— Brick, arrête ! cria Ulrich.

Mais le dénommé Brick avait déjà pris son élan et, avant que ses comparses ne puissent intervenir, avait déjà entamé un formidable saut en direction des eaux sombres.

— Je veux qu’ils meurent…, poursuivit Amédée qui s’en était retournée à sa macabre attraction. Je veux qu’ils meurent tous !

Et Clare se surprit à penser que le dénommé Brick, un homme qui était visiblement terrifié par les apôtres, n’avait pas hésité à poursuivre sa proie dans un lac infesté de gargantines. L’aura meurtrière d’Amédée Yazak ne tarda pas à emplir la pièce et la pupille ne put s’empêcher de se demander si Lamia et elle n’avaient pas sous-estimé les vassaux de l’Archevêque.

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