Chapitre 27

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Ils débouchèrent sur un espace qui flirtait dangereusement avec le niveau de l’eau montante. Fort heureusement, un large chemin serpentait à flanc de roche pour mener à un nouvel espace quelques mètres plus haut. Un espace d’où leur parvenait un concert de voix en colère.

Caes vit qu’Ezéquiel fronçait les sourcils avant de s’élancer dans le passage. L’arpentant à toutes vitesses, ils eurent la surprise, une fois arrivée, de trouver leurs quelques deux-cents protégés formant un bloc compact devant la garde de l’Echanson qui les avait menés jusqu’ici. En arrière-plan de ce contexte surréaliste, il y avait l’empilement de tunnels dont les grilles ne bouchaient plus les entrées. Source d’un soulagement de très courte durée pour le chevalier.

— Qu’est-ce qu’il se passe ici ?! tonna Victor en s’avançant.

Aussitôt, le brouhaha perdit en intensité avant qu’un grand monsieur corpulent aux cheveux jaunes et bouclés ne s’avance vers lui. Il tenait par la main la petite fille qui rassurait sa mère la veille. À moins que ça n’ait été sa nourrice. À ses côtés, il y avait Myrte.

Une lueur de défi dans le regard, couplée d’une bonne dose de peur, l’homme s’écria.

— On ne mettra pas un pied là-dedans, vous pouvez me croire !

— C’est quoi, ce délire ? souffla Caes tout en jetant un coup d’œil à l’eau qui continuait de monter.

Les échos des voix de prisonniers se faisaient plus proche et le chevalier aurait pu jurer qu’il entrevoyait les formes tentaculaires évoluer statiquement juste sous la surface.

— C’est l’épreuve qui nous attend après ces tunnels ! hurla une femme dans la foule. Nous allons tous y mourir !

— On ne jouera pas à leurs foutus jeux ! renchérit Myrte. Si on reste là, ils ne peuvent pas nous atteindre !

Ezéquiel roula des yeux avant d’adresser un regard lourd de reproches à Jalil qui ferma les siens avec gravité. Le jeune médecin et la garde avait protégé ces gens dès leur arrivée ici. Et ils ne les avaient pas seulement protégés des prisonniers mais aussi de la triste réalité sur ce qui les attendait.

— L’eau monte, gronda Caes en s’attirant plusieurs regards apeurés de la foule.

Le gros homme le dévisagea à son tour d’un air suffisant, mais toujours couplé à une bonne dose de peur. La fillette à ses côtés ne semblait pas comprendre cette agitation autour d’elle.

— Nous sommes en hauteur et…

— Il y a des choses dans l’eau, le coupa le chevalier d’un ton sans équivoque.

L’homme marqua un temps d’arrêt avant d’échanger un regard dubitatif avec Myrte et d’éclater d’un rire qui sonnait terriblement faux.

— Mon garçon…, commença-t-il.

— Je ne suis pas votre garçon, coupa encore Caes en avançant encore d’un pas.

L’homme recula prudemment et le chevalier eut très envie de le frapper. Autour de lui, les gens échangeaient des regards interloqués ou circonspects. Ils se parlaient à l’oreille et semblaient chercher un fond de vérité réarrangée dans les rumeurs dont ils avaient eu vent.

Bon sang, ces gens-là n’étaient même pas au courant pour les gargantines. La principale raison pour laquelle ils n’avaient pas rechigné à dormir si près de l’eau.

Jalil s’avança enfin pour s’adresser à la foule.

— Nous ne pouvons pas rester ici, annonça-t-il. L’eau monte et elle est pleine de gargantines…

— Ils n’auraient jamais capturé ces monstres ! s’écria une voix.

— C’est de la folie ! vociféra une autre.

— Les prisonniers arrivent…, tenta de poursuivre le médecin avec une sanglante détresse dans la voix.

— Nous leur parlerons ! coupa le gros homme qui tenait toujours la main de la fillette dans la sienne. Ils comprendront, ils ne veulent pas mourir non plus ! Les candidats meurent dans les épreuves car ils y participent, ce que nous ne ferons pas !

Une ovation furieuse acclama cette annonce dénuée de sens. Caes n’en croyait pas ses oreilles. Il fallait faire taire ce type qui allait tous les tuer. Il avança d’un pas mais Ezéquiel le retint par le bras. Caes se dégagea avec brusquerie, à deux doigts de diriger sa colère contre son compagnon mais le regard de ce dernier l’en dissuada.

— Tu perdrais ton temps, dit-il le plus sérieusement du monde. Ils ont peur et ne pensent pas clairement. Sans compter qu’ils n’ont jamais vu les coulisses de ces épreuves. Ce sont des spectateurs… Il les avisa du menton avant de poursuivre… Assez idiots pour appeler les participants des candidats, comme si ces derniers agissaient selon leur propre volonté. J’imagine que certains parmi eux n’auront pas volé ce qui leur pend au nez.

Des grognements désapprobateurs de la part de la garde de l’Échanson se firent entendre autour d’eux mais le jeune prince les ignora. Caes s’apprêtait à lui renvoyer une répartie assassine mais son ami leva un doigt.

— On aura pas beaucoup de temps, l’avertit-il. Prends-là à cet abruti et emmène là avec toi, quoi qu’il arrive.

— Qu’est-ce que…

Il s’interrompit alors que surgissait du tunnel en bas une horde sanglante qui s’empressa d’escalader la roche car le premier niveau se trouvait depuis une bonne minute sous les eaux. Aussitôt la foule se mit à crier, laissant libre cours à sa panique.

— Calmez-vous ! s’écria le gros homme en ramenant effectivement un peu de calme. Ce sont des êtres humains, comme nous !

Il s’avança vers le bord, où parvenaient déjà les premiers prisonniers, avec la petite fille toujours à sa main. Cependant, Caes s’interposa et la prit dans ses bras.

— Qu’est-ce qui vous prends ? s’écria le gros homme dont le visage était tout congestionné.

— Lâche sa main ou je te tue, promis Caes.

La lueur dans son regard fit tout de suite obtempérer le gros homme qui délaissa sur le champ la main de la petite. Le chevalier le vit ensuite chercher du regard quelque chose dans la foule et il comprit que l’homme tentait tout simplement de trouver un nouveau bouclier ou sa nouvelle excuse pour ne pas passer pour un lâche. Caes recula précipitamment, la petite fille dans ses bras alors que l’homme et Myrte échangeaient un regard apeuré.

— Pourquoi est-ce que ça court plus comme ça devrait ?!

Des hurlements ponctuèrent cette question suivis par les craquements mouillés caractéristiques en contrebas. L’enfer se déchaînait quelques mètres en dessous d’eux. Un spectacle qu’ils ne pouvaient voir de leur position. Cependant, le propriétaire de cette voix malheureusement connue, lui, était bien en vue.

— Nous ne participerons pas à l’épreuve, déglutit péniblement le gros homme. Et vous devriez faire comme nous. C’est… c’est la mort qui nous attend là-b…

Il fut interrompu brusquement par Lombric qui l’attrapa par l’oreille pour l’amener près du bord et enfin l’y faire basculer dans un cri étranglé.

— Ici aussi, ça fait que mourir ! cria-t-il à l’attention du gros homme disparu ainsi que de la foule. Vous aurez plus de chances là-bas, croyez-moi !

— Traduction, le chef, il a besoin que vous occupiez les bébêtes qui se trouv…

— Pov’ connard, si tu finis ta phrase, tu suis l’gros ! Ulrich !

Le monstre qui lui servait de bras droit se trouvait déjà à ses côtés et leva sa grosse main pour la claque habituelle mais Lombric l’arrêta d’un geste. Son regard était figé sur Caes qui tenait l’enfant dans ses bras.

Le boiteux tendit le bras vers lui.

— Ulrich, tu fais passer le mot aux garçons que ce minet-là doit pas survivre ! Quant à…

Une pierre vint s’écraser contre sa bouche, éclatant quelques dents au passage. Aussitôt, les gars regroupés autour de Lombric cherchèrent le coupable. Coupable qui n’était autre qu’Ezéquiel de l’autre côté de la foule, à l’entrée de l’un des tunnels menant à l’épreuve.

Une autre pierre dans la main, il adressa un signe de la main en direction d’un boiteux aux yeux étincelants de haine.

— Lui ! hurla Lombric dans un nuage postillonnant de sang et de dents. Il doit mourir ! Ce fichu crevard doit mourir maintenant ! Tuez-le, par les Architectes, ou je vous jure que je vous écorche !

Son explosion de colère fut suivie par l’irruption dans les airs de plusieurs gargantines qui entamèrent un vol terrifiant en direction d’une foule figée. Un laps de temps durant lequel Ezéquiel afficha un air confiant en direction de Caes avant de pointer la fillette dans ses bras. Les monstres retombèrent à quelques pas de la foule, entamant des danses de cauchemar dans sa direction à même le sol rocheux. Les gens hurlèrent puis ce fut la débandade. Un chaos qui replongea le chevalier dans le transporteur l’espace d’une seconde. La panique s’était aussi emparée des prisonniers qui, s’extirpant du vide et couverts de sang, se précipitaient en direction des tunnels en bousculant la foule et semant plus de désordre encore. Ils tâchaient également les gens de sang, même s’il s’en trouvait tellement dans les eaux que ça ne devait plus avoir aucune importance pour ces choses.

Il se figea lorsqu’il s’aperçut qu’Ezéquiel n’était plus en vue et qu’Ulrich, suivi de trois autres personnes, s’engouffrait dans le tunnel qu’il avait choisi. Le chevalier serra les dents en repensant à la phrase que lui avait lâchée le jeune prince…

Ezéquiel, espèce de foutu menteur ! T’as pas intérêt à crever, ordure…

L’absence de son épée se faisant toujours cruellement sentir, Caes serra l’enfant silencieuse au milieu de tous ces hurlements. Elle lui offrit même un sourire alors qu’il se dirigeait au pas de course vers un tunnel sur la gauche que personne ne semblait prendre.

Il valait mieux éviter la foule.

Je t’avais dit ce qui arriverait si tu essayais encore de me protéger… Je vais te casser la gueule, c’est juré !

Dans son dos, l’eau débordait à présent. Une eau rougeâtre gorgée de sang qui inondait déjà ce niveau tout en leur faisant la promesse d’une course poursuite cauchemardesque au sein de ces tunnels.

Caes couru plus vite encore.

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