Chapitre 22

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— Les Yazaks organisent les jeux, cette année ?!

C’est d’une voix incrédule que Lamia venait d’exprimer sa surprise. Une surprise rayonnante mise en valeur par un sourire éclatant suivie d’un petit rire de ravissement. Face à elle, Tamp restait de marbre dans un silence que son imposante personne rendait plus intense encore. Clare, elle, se contentait de boire son thé avec constance. Ignorant sa dame de parage qui se trouvait incapable de cacher son contentement plus elle en apprenait sur les Jeux de cette année.

Bien que cette dernière se mette un point d’honneur à être au courant de tous les ragots du monde, il en était tout autre en ce qui concernait ces festivités sanglantes. En effet, la plantureuse brune désirait par-dessus tout une expérience inoubliable. Et pour cela, la surprise était indispensable.

Tamp, elle, avait les Jeux en horreur. Tentant chaque année de sauver le plus de participants potentiels possibles. Cependant, elle excusait le comportement de Lamia car celle-ci restait une artiste. Pour Tamp, ces gens-là avaient de curieux passe-temps et distractions.

— Amédée…. ! s’exclama l’artiste en question. Une fibre, un… talent… Cela fait tellement longtemps que j’espère la voire prendre part aux Jeux de plus amples manières. Et voilà qu’elle les organise… Figurez-vous…

Son sourire s’élargit encore alors que ses yeux se perdaient dans le vague.

— Il n’est pas étonnant qu’elle m’ait fait de telles commandes, il y a plusieurs mois de cela…

La pupille leva les yeux au ciel. Sans être pour autant surprise que Lamia compte parmi ses clients de telles personnalités. Après tout, c’était toute la noblesse de ce monde qui s’arrachait ses œuvres.

— C’était… provoquant, osé ! Elle sera telle une dernière volonté, une apparition somptueuse offerte aux condamnés. Quelque chose incarnant le divin…

La dame de parage agita doucement le vin que contenait son verre aux motifs délicats tout en laissant une pause.

— Ou…, conclut-elle, son sourire toujours rêveur sans prendre la peine de finir sa phrase.

Nul besoin, Clare et Tamp avaient bien compris ce qui venait après le « ou » de la plantureuse brune.

Tout en dévisageant cette dernière, l’énorme femme claqua des doigts et c’est un pan entier de ses appartements mouvants qui s’ouvrit. Libérant ainsi une armée de domestiques qui leur apportèrent de quoi se sustenter pour les prochaines heures.

Ou même les prochains jours…, pensa Clare alors que s’entreposait devant elle une quantité impressionnante de pâtisseries, ainsi qu’un assortiment de jus de fruits. Une action qui ne prit guère de temps pour les domestiques qui, comme à leur habitude, s’exécutèrent avec autant de promptitude que de précision. La minute qui suivit les vit de nouveau disparaître derrière le pan de mur qui se referma sans bruit.

Elle repensa aux appartements mouvants d’Elias Creed, pourtant impressionnants. Ces derniers perdaient de leur superbe en comparaison de ceux de Tamp. Ce carrosse-là se trouvait être une véritable maison roulante. À se demander comment celui-ci pouvait bien s’engager dans les rues des royaumes du Croissant, connues pour être aussi larges que tortueuses dans une organisation des plus contradictoires.

Il faut de la place à la personnalité qu’est la mienne, leur avait dit le tampon, toujours avec ses petits yeux absents derrière ses gros verres cerclés de noir.

Lamia et elle avaient tout simplement acquiescé, ne sachant pas s’il s’agissait d’une plaisanterie ou non. Avec Tamp, on ne savait vraiment jamais.

— Les apôtres sont lâchés dans le Croissant, donc…

À ces mots assénés par la pupille, Tamp détourna les yeux de Lamia pour les reporter sur l’amoncellement de nourriture qui les séparait. Elle avait perpétuellement cette curieuse absence marquée sur son visage. Ce qui la rendait particulièrement distante, non seulement avec les gens, mais aussi avec le monde qui l’entourait.

Le croire aurait été une monumentale erreur car Tamp restait l’une des personnes les plus alertes que Clare avait eu l’occasion de rencontrer, sans compter que rien ne lui échappait en ce qui concernait le Croissant.

Elle était aussi l’une des plus sensibles.

— Oui, dit-elle finalement en tendant la main vers une assiette sur laquelle se trouvait une poire nappée de chocolat. Les Moyens-Royaumes se trouvent être leur terrain de jeu à présent. L’Archevêque voit dans leur folie une intervention divine, une manière de penser inaccessible au commun des mortels. De nombreuses variantes ou facettes de sa propre folie, à l’image de l’Équilibre de ce monde. Onze royaumes, pour onze facettes…, et donc onze apôtres. Il est clair qu’il se voit lui-même comme un créateur.

— Dans ce cas, peut-être aurait-il dû en créer plus, fit remarquer Clare en soupirant. Les facettes de l’Équilibre semblent se multiplier depuis quelques temps. À l’image des Baronnies, elles-mêmes.

— Tes fiançailles à venir n’expliquent pas à elles seules vos présences, répliqua Tamp sans la moindre méchanceté. La Main aurait-elle un doute sur les allégations de Nabar au sujet d’une possible guerre ?

— La Main ne croit que ce qu’elle a vérifié de source sûre, répondit la pupille.

— Vous venez donc voir Elban pour lui soutirer des renseignements utiles à cette chose qu’est l’ombre d’Irile. Même venant de vous, c’est osé.

Elle observait toujours sa pâtisserie. Se demandant visiblement si elle allait la manger ou non de son air toujours absent. Face à elle, les deux femmes échangèrent un regard dans lesquels se lisaient des sentiments bien différents. Patience étudiée pour la pupille en dépit de ce que lui procurait la défiance de Tamp envers son maître, et nonchalance non feinte couplée d’une joie mauvaise en ce qui concernait sa compagne.

— Il ne veut ni plus ni moins que sa mort, souligna la grosse dame.

— Il est difficile de savoir ce que veut la Main, fit remarquer Clare. De même que d’évaluer sa portée.

Elle marqua une pause, le temps que ces derniers mots fassent effet.

— Ce que nous voulons ne concerne que Nabar.

Tamp reposa finalement sa poire nappée de chocolat pour se saisir d’un millefeuille.

— En dépit des différentes facettes que présentent les Baronnies, lâcha-t-elle avec une distance plus accrue encore. Ce qui touche les Haut-Royaumes a des répercussions sur le Croissant, ainsi que la Bande Centrale. Vous devez comprendre que vous aider ne sera peut-être pas dans l’intérêt de l’Échanson.

Elle regardait de la même façon sa nouvelle pâtisserie et ne semblait pas faire mine de vouloir la manger.

— D’après ce que j’ai… compris, plaça Lamia. La situation d’Elban en tant que maître de son propre royaume se trouve bien critique. Aurait-il encore la possibilité de s’inquiéter à propos de ces possibles répercussions ?

Tamp délaissa enfin son gâteau pour planter son regard dans le sien. Il était enfin possible d’y discerner une lueur de colère. Lamia était tellement plus qu’une artiste.

— Nous parlons d’Elban Feulys, dit Tamp d’une voix si basse qu’elle ressemblait à un grondement. Ce qui met à bas l’Échanson n’est pas la victoire de l’Archevêque. Elle ne sera que temporaire.

— J’ai pourtant entendu dire que le maître de l’Ours possédait depuis peu une arme bien particulière, rétorqua Lamia avec langueur. Une arme aux attributs… hors du commun.

Elle marqua une pause à son tour tandis que le regard de Tamp perdait de son absence. Clare, quant à elle, penchait la tête, intriguée, alors que la dame de parage poursuivait.

— Il est apparu un nouveau monstre dans le Croissant. Un monstre qui s’est imposé au sommet de la chaine alimentaire, reléguant les apôtres, reléguant… Elban.

Étrangement, le cœur de Clare se mit à battre plus vite à ces paroles et une sensation inquiétante ne tarda pas à lui comprimer la poitrine. Le sang battait à ses tempes et elle continuait de dévisager son amie qui poursuivait.

— Une petite fille… affublée d’autant de talent que de méchanceté.

Son sourire s’élargit.

— Ainsi que d’une clairvoyance sans… pareille.

Un battement de cœur plus fort que les autres fit trembler la pupille. Tel le positionnement de l’un des rouages de sa destinée. Quelque chose n’allait pas. C’est à ce moment précis, et dans un silence de plomb, que le carrosse s’arrêta. Un silence durant lequel Tamp quitta enfin Lamia des yeux pour les diriger par-dessus son épaule. Direction dans laquelle se trouvait son cocher… et leur obstacle.

— Nous n’aurions pas dû nous arrêter, se contenta-t-elle de dire.

Dehors ne tardèrent pas à résonner des exclamations de surprise, ainsi qu’une série de souffles stridents à la manière d’une lame tranchant des membres. Lorsqu’elle se tourna de nouveau vers ces deux invités, ce fut pour les trouver debout face à la porte. Lamia était reculée sur la gauche, à peine visible dans la pénombre, tandis que la pupille faisait front avec une immobilité effrayante.

— Je m’excuse pour les dégâts à venir, Tamp, annonça Clare toujours concentrée sur la porte.

— Faites ce qu’il faudra, répondit cette dernière avant de finalement se décider à prendre une bouchée de son millefeuille.

La porte s’ouvrit et une petite fille entra.

— Ce n’est pas à toi de casser la maison de Tamp, Clare ! dit-elle joyeusement en se dirigeant vers la propriétaire des lieux. Lamia et toi aurez amplement l’occasion de mettre les Baronnies à feu et à sang. Quant à toi, Tamp…

Elle s’installa sur la chaise de la pupille avec un regard avide pour toutes les pâtisseries qui se trouvaient sur la table.

— Il est présomptueux d’énoncer ce qui aurait dû ou non se pas…

— Que fais-tu ici et qu’as-tu fait de mon escorte ? la coupa la grosse dame qui reposa son millefeuille comme si l’appétit venait de lui être coupé.

La petite fille sourit en désignant l’amoncellement face à elle d’un geste évident tout en éludant la deuxième question.

— Tu pensais vraiment qu’une telle cargaison ne m’intéresserait pas ?

Elle s’interrompit avant de lever la tête vers Clare qui la surplombait tout en la dévisageant, une expression curieuse sur les traits.

— Que fais-tu ici ? demanda-t-elle à son tour.

La petite fille se rembrunit.

— Tu es vraiment rapide, Clare. Je ne vois tes actions que dans un écl…

— Que fais-tu ici ?

À cette question répétée, la pièce sembla perdre quelques degrés. Cependant, la fillette ne sembla pas se décontenancer, bien au contraire. Son sourire refit surface, encadré de sa chevelure de jais, et elle finit par éclater de rire. Un rire qui prit fin lorsque Lamia se joignit à elle. En effet, la dame de parage se trouvait d’ores et déjà devant l’enfant. Silhouette aussi inquiétante que celle de Clare, et débordante d’une joie toute diabolique.

— Quelle est donc cette… merveille ? s’exclama-t-elle en s’accroupissant face à la gamine pour lui prendre délicatement le menton du bout des doigts. Aurait-elle donc flairé toutes ces sucreries ?

Elle agita un doigt faussement sévère à son intention.

— Lorsque dame Clare te pose une question, Sybille, tu dois faire preuve de politesse et y répondre. Et si tu réponds comme il se doit, tu auras droit aux gâteaux de Tamp, c’est promis !

Contre toutes attentes, la gamine éclata de rire une nouvelle fois. Ses yeux, aussi noisette que ceux de la plantureuse brune, pétillaient de malice.

— Je ne saurais dire laquelle de vous deux est la plus effrayante ! s’extasia-t-elle. Je suis honorée de vous rencontrer enfin et vous promet de vous donner ce que vous ne vous attendiez pas à trouver.

Les deux femmes échangèrent un regard étrange avant que Clare ne s’adresse à Lamia.

— Une prophétesse dans le Croissant ? Combien de temps comptais-tu attendre avant de m’en informer ?

— Je l’ai appris, il y a si peu…, ma dame.

— Tu as pourtant eu vent de mon existence il y a plusieurs mois de cela…, glissa Sybille en tendant avidement la main vers les sucreries.

La claque de Lamia sur ses doigts fut évitée avec une facilité déconcertante. Cependant, le gâteau convoité fut hors de sa portée dans la seconde qui suivit. Lorsque Sybille leva un regard irrité sur la dame de parage, celle-ci lui en retourna un aussi peu amène.

— Si tu veux qu’on soit amies, il va falloir apprendre à garder ce genre de choses pour… toi.

Elle déposa la pâtisserie, un éclair au chocolat, dans la main de la fillette.

— Qui te dit que je veuille qu’on soit amies ? roucoula cette dernière qui avait retrouvé le sourire.

La diabolique brune sourit également.

— Les prophètes sont censés être endormis et sous la garde des sages, intervint Clare.

Son ton était glacial et ne présageait rien de bon alors qu’elle poursuivait.

— Une telle chose pourrait bouleverser l’Équilibre.

— Cela avait commencé avant moi, rassure toi, rétorqua Sybille en se levant sur sa chaise, les joues gonflées par l’éclair qu’elle venait d’engloutir. Mais ce n’est pas le sujet.

— Le sujet est que tu vas très certainement mourir aujourd’hui, coupa Clare en formulant cette terrible promesse.

Sybille roula des yeux.

— Ne crois-tu pas que je serais au courant si c’était le cas ?

Elle marqua une pause tout en levant un doigt comme pour faire obstacle à l’aura meurtrière de la pupille.

— Mais la raison de mon départ de l’ile, comme pour les évènements qui y sont liés constitueront ta prochaine enquête et mission. Pour l’instant, tu as d’autres chats à… fouetter.

Elle adressa un clin d’œil à Lamia qui échappa un gloussement, s’attirant ainsi une terrible œillade de la part de Clare. Entre temps, Tamp, dont l’imposante présence s’était faite aisément oubliée, claqua des doigts et le pan de mur s’ouvrit pour qu’un domestique apporte une autre chaise. Une chaise que la pupille dédaigna tout en continuant de dévisager Sybille.

— Passer outre la parole d’un prophète est risqué, tu sais ? déclara-t-elle.

— Autant que de l’écouter, rétorqua la jeune femme blonde. Vous, les prophètes, oscillez entre visions et folie.

La fillette rit encore.

— Les tourmenteurs sont mals placés pour parler de folie. Vous deux, qui la combattez de manières si contrastées, plus encore. Ce qui vous différencie des apôtres n’est que la bonde qui vous empêche de l’exprimer pleinement. Enfin… presque.

Nouveau clin d’œil en direction de la dame de parage qui gloussa de nouveau. Clare, par contre, restait de marbre et la pièce perdit encore en chaleur.

— Pour une personne de devoir telle que toi, Clare, sourit Sybille. Cette réaction est plus qu’étrange. Étant la première à te condamner dans un mariage servile pour une paix illusoire. Toi qui accepte sans broncher ton destin lorsqu’il est question de quelque chose de plus grand que ton bonheur et toi.

— Je te conseille de t’arrêter là.

— Et si je te disais que ton bonheur et le sort de ce monde sont étroitement liés, continua la petite fille sans la moindre once de peur. De même que ton malheur, si je puis dire. L’amour, la haine, la joie, le chagrin ! Tout y a sa place. Cela te terrifie-t-il ?

— Tu vas apprendre malgré toi ce qu’est la terreur.

La voix de la pupille était telle la plus tranchante des lames, et même Tamp se réinstalla sur son fauteuil en proie à un soudain malaise. Sybille, elle, et curieusement, afficha un air grave à ces mots.

— Je le sais, figure toi.

L’air grave disparut, remplacé par sa joie infantile.

— Pour trouver vos réponses, il va vous falloir assister aux Jeux !

La pupille grimaça malgré elle alors que Lamia laissait échapper un autre gloussement.

— Vas-tu nous dire pourquoi tu es ici ?

— Non.

— Vas-tu me forcer à t’arracher ces réponses ?

Sybille brandit à nouveau un doigt entre elle et la pupille. Elle avait la bouche pleine d’une nouvelle pâtisserie qu’elle venait d’engouffrer et il leur fallut donc attendre quelques secondes avant qu’elle ne puisse prendre la parole.

— Si je ne sors pas dans les cinq minutes qui vont suivre, une personne de confiance est chargée de faire connaître à tous vos incroyables présences en ces lieux, de même que les détails de vos doubles vies.

Clare haussa un sourcil alors que l’aura ainsi que celle de sa dame de parage prenait en intensité. Tamp, elle, avait troqué son air absent contre une expression aussi intéressée qu’effrayée.

— Tu penses qu’une enfant comme toi va nous plier à sa volonté… ?

La fillette en question sourit.

— Elle est merveilleuse ! s’exclama Lamia qui évoquait un puit de noirceur en ce moment même.

— Vous allez le forcer à casser la maison de Tamp, soupira Sybille en s’emparant d’un autre éclair au chocolat. Il va être en colère car il aurait bien voulu un éclair aussi… et c’est le dernier.

Elle l’enfourna comme le premier et c’est alors qu’une gigantesque lame éventra la caravane dans un effroyable crissement. Aussitôt, plusieurs boules rouges apparurent entre les doigts de Lamia tandis que la pointe effilée d’un couteau se retrouvait contre la gorge de Sybille qui ne cilla pas. Entre temps, l’immense épée eut tôt fait de découper un rectangle approximatif qui, lorsque le pan de mur tomba, révéla une grande silhouette longiligne tout en cuir et chaînes pendantes.

— Ah…, grommela Lamia. Voilà une surprise dont je me serais bien… passée.

— Ma douce, mon adorée, chantonna le personnage qui pénétrait à présent dans la pièce. De tes lettres, je me languissais. De ne point caresser tes formes, je souffrais. Il y eut maintes nuits de tourments auxquels tu m’as condamné.

De longs cheveux noirs encadrant de hautes pommettes, des joues rosées contrastant avec la pâleur de sa peau ainsi que des yeux aux reflets sanguins, l’individu détenait un visage d’ange. De même que la plus grande épée qu’il eut été donné de voir à Clare. Une arme rectangulaire dont la lame mesurait aisément dans les deux mètres et large de trente centimètres au bas mot. Une arme si lourde au premier regard qu’il était surnaturel qu’un être aussi mince puisse la manier avec autant d’aisance.

— J’ai pleuré, en vain. J’ai tué pour assouvir cette faim mais pour moi, il n’est de refuge qu’en tes étreintes et contre tes seins…

— Ta poésie est une horreur absolue, Harlequin ! le coupa la dame de parage. Pire encore qu’avant, comme si c’était possible.

Si sa voix trembla sur sa réponse, les traits harmonieux mais curieusement lisses du jeune homme ne changèrent guère.

— Tu m’as aimé, pourtant…

— Je n’aime pas, Harlequin, ricana la plantureuse brune. Je convoite aussi bien que je dévore. Les failles cachées par ton joli minois m’avaient donné l’envie de te prendre ! Tu m’as… inspiré.

Elle inspira comme pour illustrer ses propos avant d’ajouter.

— Il te faut t’en sentir honoré… et t’en contenter.

L’éclat de rire de Sybille ponctua cette tirade. La fillette ne semblait pas le moins du monde s’inquiéter de l’arme sur sa gorge.

— Tu vas devoir m’escorter, Harlequin, hoqueta-t-elle tant bien que mal, encore secouée par son rire.

— Alors que tu te moques de moi, joli môme ? grinça-t-il tout en ne détachant pas son regard innexpressif de Lamia.

— Je ne suis pas la seule !

Du bout du bras, Harlequin brandit l’épée dans la direction de la brune dont la pointe de la lame finit par se trouver à moins d’un mètre d’elle.

— Si elle ne m’aime pas, annonça-t-il. Je vais tuer encore…

— Nous allons donc nous occuper de toi, ici et maintenant.

Les mots de la pupille tranchèrent l’air avec autant de facilité que la lame lorsque Harlequin la plongea dans le sol.

— Comme d’habitude, tu ne supportes pas de ne pas être le centre de l’attention ! rétorqua-t-il, acerbe. La pupille… pfff, mais laissez-moi rire ! Tu es aussi capricieuse que ce rôle qui te va à ravir !

— Je me souviens pourtant de tout ce fard dont tu t’enlaidissais pour attirer cette même attention lors des ballets d’Irile, pouffa Lamia. De nous tous, je ne comprends pas pourquoi ce fut toi qu’Elban choisit pour fuir dans le Croissant.

— Vous êtes asservis à la Main, voilà pourq…

— Et tu es maintenant asservi à l’Archevêque ! coupa Clare. Ainsi qu’à son horrible valet. Quelle déception pour un tourmenteur d’Irile. Alors qu’Elban faisait dans l’excellence, tu choisis encore et toujours la médiocrité.

L’expression d’Harlequin se chargea de haine en une fraction de seconde. Déformant son visage lisse et innexpressif en un masque terrifiant. Sans un mot, il extirpa la lame du sol comme s’il s’était agi de beurre.

— Non, Harlequin. Tu m’as promis.

Clare fronça les sourcils alors que son poignard, jadis sur la gorge de Sybille, pointait désormais dans le vide. La fillette, elle, se tenait aux côtés de leur assaillant et tirait sur l’une de ses chaînes pendant au cuir qui le moulait. Petit à petit, les traits du jeune homme s’harmonisèrent de nouveau. Comme si la raison lui revenait.

— C’est vrai, j’ai promis, lâcha-t-il d’une petite voix peinée. Mais j’ai mal…

Il marqua une pause alors que son regard se portait vers Tamp. La grosse femme se raidit devant la lueur qui s’y alluma avant de se détendre lorsqu’elle se rendit compte qu’il n’avait d’yeux que pour les pâtisseries.

— Il reste des éclairs ? demanda-t-il.

— J’ai tout mangé, le renseigna Sybille en sautant à l’instant du carrosse.

Il baissa la tête et ses doigts enserrèrent le pommeau de son épée si fort que ses phalanges en blanchirent presque immédiatement. Enfin, il releva la tête en direction de Lamia qui ne se départissait ni de son sourire, ni de ses inquiétantes boules rouges. Clare, quant à elle, conservait sa lame pointée vers le bas sans le quitter du regard.

— Ce monde se détraque…

Sur ces mots, Harlequin disparut dans l’ouverture qu’il avait lui-même pratiquée pour laisser les trois femmes à nouveau seules. Après quelques secondes, un cri d’agonie retentit, puis la voix d’Harlequin à nouveau.

— Il n’était pas mort, celui-ci.

Le silence refit place avant que Clare ne se tourne vers une Tamp au regard de nouveau absent. Il aurait été facile alors de penser qu’elle n’avait cure de sa garde tout juste massacrée par cet homme mais cela aurait été mal la connaître. Il s’agissait seulement là de sa manière de se protéger du monde extérieur et de ses atrocités.

La grosse dame s’empara d’un gâteau qu’elle ne regarda même pas pour l’enfourner dans sa bouche à grand renfort de mastication. Clare et Lamia échangèrent un regard.

Cela et la nourriture…, pensa la pupille. Puisse la Main nous ordonner de tuer cet homme, un jour.

Une phrase qu’elle se garda bien de formuler à voix haute. Bien trop consciente de réagir sous l’effet d’une violente colère. Une colère qui n’était nullement due à ce traître.

Elle repensa à la manière dont la fillette avait échappé à sa vigilance.

— Ce monstre n’est pas sous le contrôle de l’Archevêque…, déglutit finalement Tamp. Et ses plans nous échappent aussi bien que ceux des Architectes !

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